Cérémonie Michelin à Tours : belle opération de com’ ou réel impact pour le territoire ?

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Après Cognac et Strasbourg, c’est Tours qui a été retenue pour accueillir la 3e cérémonie décentralisée du guide Michelin, soit la grande soirée annuelle de remise des étoiles du célèbre guide gastronomique. Longtemps organisé à Paris, l’événement est désormais proposé en dehors de la capitale… ce qui permet de montrer une image moins parisianiste de la grande cuisine française mais aussi de faire participer les collectivités locales à son montage économique. Le Michelin y voit un intérêt financier et les politiques un vecteur d’image positive… voire de business. Enquête.

Dimanche 17 mars, 19h35. Dans les bars du Vieux-Tours on commence à fêter la Saint-Patrick, cette fête irlandaise où l’on aime descendre de bonnes pintes dans un esprit convivial. Au même moment, un train tout neuf quitte la gare du centre-ville en direction de Blois. A l’entrée du quai, le panneau d’information est mitraillé par les smartphones car il est assez spécial… Contrairement aux habitudes il n’affiche aucun numéro de train, seulement la mention « Train des étoilés ». Juste en dessous on peut lire la mention « ce train ne prend pas de voyageurs ». En réalité, la rame à deux étages est bondée, remplie d’un public spécial qui doit montrer un bracelet rouge pour accéder aux quais. Tout ce monde se rend au grand dîner des étoiles Michelin au Château de Chambord.

Programmé 24h avant la remise des étoiles 2024 du célèbre guide rouge, l’événement réunit 600 personnes. Ont été invités des chefs 2 et 3 étoiles (+ une partie de leurs équipes), l’ensemble des restaurants étoilés de la région Centre-Val de Loire, une délégation de journalistes (dont 37 degrés), le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau ou encore des élus locaux. De la gare de Blois à Chambord, le convoi de cars est escorté par les motards de la gendarmerie qui bloquent les ronds-points et les intersections. On apprendra plus tard que c’était pour éviter de croiser une manifestation, plutôt que pour faire gagner du temps.

A l’arrivée la façade du monument Renaissance est colorée de rouge, couleur guide Michelin. Les cors de chasse résonnent dans la cour. L’escalier à double révolution est magnifiquement éclairé de bleu. Plus de 40 tables sont disséminées dans différentes salles sous les trophées de chasse. Pour qui n’a pas l’habitude, c’est somptueux. Mais une journaliste du Loir-et-Cher nous glisse que ce genre de cérémonial n’est pas si rare en ces lieux, la location de monuments pour des soirées select étant un bon moyen de financer leur entretien coûteux.

A peine assis, on feuillette le menu : silure de Loire et chou en entrée, volaille de Racan avec des pâtes pour le plat, tarte tatin avec caramel au sarrasin pour le dessert. Dans les verres, du crémant issu du lycée viticole d’Amboise, un chinon blanc et un rouge du Domaine de Chambord. Et avant de partir le public peut faire un tour sur les terrasses. Le succès est total.

Cette soirée est entièrement financée par la région Centre-Val de Loire qui a sollicité le Blésois Christophe Hay pour régaler ses convives. Le chef doublement étoilé de Fleur de Loire a imaginé les recettes et leur réalisation a été confiée aux établissements hôteliers du territoire. Par exemple, la Cité des Formations de Tours-Nord s’est occupée du dessert. Le service était également assuré par des jeunes en formation. « C’est une très belle aventure, ils étaient fiers » commente l’élue écologiste tourangelle Cathy Savourey qui était présente. Selon elle, ce simple fait participe à rendre l’événement « moins élitiste ».

De fait, avec un train spécial, des chambres d’hôtels prises en charge, des visites touristiques organisées ou une pléiade de cadeaux (dont du caviar et du champagne), les invités du Michelin ont profité d’un programme de prestige en bonne partie financé par de l’argent public (l’enveloppe totale est estimée à 500 000€ avec une mobilisation de la région Centre-Val de Loire, de Tours Métropole et de la ville de Tours). Quand on sait que le budget cumulé des trois collectivités dépasse le milliard et demi d’euros, l’investissement réel est limité, d’autant plus que pour Tours il s’agit surtout d’une mise à disposition du Palais des Congrès pour la cérémonie en elle-même. Néanmoins, on est en droit de se poser la question de l’opportunité de dépenser cette somme importante pour un tel faste.

Les espoirs de toute une région

Au moment d’annoncer que Tours allait recevoir le guide Michelin, les élus locaux ont justifié leur démarche : organiser un tel événement est vu comme un boost pour l’attractivité du territoire. Au-delà de remplir les hôtels et les restaurants (comme le font chaque année des dizaines de congrès), la médiatisation serait de nature à donner une bonne image de la région et à y faire venir ou revenir des touristes : un prospectus de Tours Métropole affiche d’ailleurs le slogan « Vous avez eu l’occasion de venir. Il y a mille occasions de revenir ».

Par ailleurs, on nous laisse entendre que la venue de centaines de chefs et cheffes de prestige pourrait bénéficier aux producteurs locaux susceptibles de décrocher de nouveaux marchés. Un prospectus a même été édité pour faire la promotion du futur restaurant rooftop qui sera créé dans l’ancienne clinique Saint-Gatien face à la cathédrale, des fois qu’un chef ou une cheffe ait envie d’entreprendre à Tours, en mal de tables gastronomiques de prestige. C’est aussi une publicité pour des marques régionales comme le vinaigrier orléanais Martin Pouret, les sirops Monin ou Terre Exotique basé à Rochecorbon (et qui a offert une boîte de curry aux invités de Chambord).

Pour faire découvrir le savoir-faire gastronomique local, la région Centre-Val de Loire et la Métropole avaient d’ailleurs imaginé un village gourmand installé toute la journée de dimanche entre la gare et le Vinci. Les invités du Michelin y avaient un accès privilégier avec bons de dégustation et le grand public pouvait également y venir, la manifestation ayant été annoncée en amont avec la promesse de déguster des produits d’exception ou de rencontrer des stars de la cuisine. En gros, l’élite de la gastronomie qui s’ouvre à toute la population. On y trouvait, par exemple, le champion du monde de burgers Benoit Sanchez qui a deux restaurants à Tours et organisera un festival de street food mi-septembre au Parc Expo. Il y avait aussi la chocolaterie Fèves de Notre-Dame-d’Oé.

Préparée un peu en dernière minute, cette bonne idée s’est transformée en piège à base de queue monstrueuse, d’espace sur-saturé et d’attente démentielle aux stands. Beaucoup de personnes ont rebroussé chemin. Et plusieurs sources nous ont confirmé que l’événement avait été sous-dimensionné (il n’occupait qu’un terre-plein du Boulevard Heurteloup). Néanmoins, le cofondateur de Fèves Baptiste Cochereau se satisfait de l’expérience. Invité gratuitement, il nous dit avoir réalisé pas mal de ventes et fait des « rencontres professionnelles intéressantes » (il travaille déjà avec le restaurant étoilé Le Château de Pray à Chargé et L’Auberge Pom’Poire d’azay-le-Rideau, également 1 étoile Michelin).

Des influenceurs aux côtés des journalistes

Globalement, l’ensemble des personnes interrogées saluent la venue du Michelin en Touraine. On nous dit que c’est génial, que c’est une fierté, que certains chefs sont venus en amont ou resteront un peu après pour découvrir les bonnes tables du coin. Tout cela permettrait aussi de faire de l’éducation alimentaire. Ce lundi 18 mars, la ville de Tours a ainsi servi un menu imaginé par l’ex-candidat de Top Chef Ambroise Voreux, installé à Bréhémont : il a été servi dans les cantines scolaires, aux bénéficiaires du CCAS et aux agents de la ville dans leur réfectoire. La question qu’on se pose c’est ce qu’il restera de tout cela ? « On fera le bilan » promet le président de Tours Métropole, Frédéric Augis convaincu que « dans le monde dans lequel on vit on n’a pas le choix que d’accueillir ce type d’événement » pour connaître son territoire car « les campagnes de pub dans le métro, ça ne marche plus ». Du coup se payer le Michelin c’est un peu comme s’offrir une étape du Tour de France (et Tours Métropole travaillerait justement à l’accueil d’événements sportifs d’ampleur afin de poursuivre sur sa lancée).

D’après Frédéric Augis, tous les hashtags sur les réseaux, les chefs qui vont dire qu’ils étaient à Tours ou les stories des influenceurs invités sont de nature à faire venir du monde plus tard ici, comme le fameux label « Vu à la télé » fait du bien aux ventes d’un produit.

Les influenceurs, ou créateurs de contenus, parlons-en… Alors que le Michelin a convié 200 journalistes à Tours, ils sont une trentaine à avoir également leur pass, pour la plupart contactés directement par les équipes du guide. Une nouvelle profession parfois mal vue mais devenue essentielle quand on veut communiquer de manière moderne et s’adresser aux jeunes générations, ce que cherche justement le Michelin qui a encore l’image d’un guide un peu ampoulé, qui a du mal à collé aux codes du moment. Ces pros d’Internet viennent de Tours, de Paris, de Lyon, du Pays Basque voire d’Asie. Dans le groupe on échange avec Constance Lasserre alias @hungryconsti sur les réseaux et on l’interroge sur l’impact que peuvent avoir ses contenus sur Tours auprès de sa communauté : « Mes stories sur Tours ont rapidement fait 10 000, 20 000 vues. J’ai eu plein de likes mais je suis consciente que ce n’est que 30 secondes dans leur journée » nous confie-t-elle, dubitative sur son réel impact prescripteur mais consciente que ça peut jouer car elle a déjà eu des retours d’abonnés partis au Maroc après l’avoir vue passer un séjour dans le désert.

« Oui, ça peut faire venir du monde » confirme Alexis Thiebaut (@leparisdalexis) qui constate aussi une émulation soudaine de la part des personnes qui le suivent et viennent de Touraine : « Je reçois plein de messages en mode ‘tu es chez nous’ » ajoute-t-il, indiquant ne pas avoir reçu de consignes particulières de l’organisation pour ce qu’il doit publier. Certes, il ne va pas faire dans le négatif, mais il est libre. Et au passage, pour lui comme pour la presse et les chefs, ces 48h tourangelles sont également un grand moment de réseautage (on revoit des contacts, on s’en fait d’autres). Et peut-être que l’on se souviendra que telle ou telle rencontre a eu lieu à Tours, pouvant véhiculer un bouche-à-oreille positif inconscient.

Avoir la cérémonie des étoiles Michelin chez soi semble donc un vecteur d’ondes positives. « C’est une opération de com’, un pari » résume l’ancien député socialiste Jean-Patrick Gille, toujours élu à la Région et au conseil municipal de Tours. « Cela ne se refuse pas » confirme le maire Emmanuel Denis. Et tant pis si c’est cher ? « La notoriété ne s’improvise pas » répond l’entrepreneur amboisien Christophe Galland qui possède une épicerie, la marque Biscuits des Châteaux et un parcours oenotouristique sur sa propriété. 

Dimanche, il a pu échanger avec Nina Metayer, élue meilleure pâtissière du monde en 2023 et lui faire goûter ses produits. « Elle qui ne finit jamais ses desserts elle a repris 5 gâteaux » se réjouit-il après avoir été très stressé. Leur conversation a dévié sur le beurre : « Elle m’a dit qu’elle était fan du beurre Charente-Poitou, je lui ai parlé des produits de la Laiterie de Verneuil que j’utilise, elle a eu l’air intéressée. » D’ici quelques jours, il se rendra dans une de ses boutiques parisiennes et envisage de chercher à la recontacter pour voir si une rencontre fugace autour d’une gourmandise pourrait permettre de développer autre chose. Et ce serait là tout l’enjeu du territoire tourangeau après le Michelin : entretenir la flamme : « C’est à nous de faire le SAV commercial » lâche Christophe Galland. En gros, les collectivités ont fait le premier pas, au territoire de faire le suivant.

Un degré en plus :

A Chambord nous avons échangé avec Nicolas Stamm-Corby, chef 2 étoiles de La Fourchette des Ducs à Obernai en Alsace. En 2023 c’est lui qui a coordonné le dispositif d’accueil du Michelin sur son territoire. « Le tourisme c’est important mais il faut toucher le plus grand nombre » commente-t-il quand on l’interroge sur les motivations du Centre-Val de Loire sur l’impact de cet événement. Dans la foulée, il explique que la venue du guide rouge en Alsace a demandé près de deux ans de travail (on est à peine sur un an pour Tours, même si la démarche a débuté après 2019 avec la labellisation région Goût de France décernée par le gouvernement).

De ce travail alsacien est sorti une montée en gamme de la restauration sur les lieux touristiques, une progression des visites (sachant que la gastronomie est la première motivation de déplacement dans ce coin de France)… mais aussi tout un programme éducatif avec un concours de chefs de cantines ou encore un livre de 300 recettes du terroir alsacien vendu à 12 000 exemplaires (c’est beaucoup). Le budget total avait alors été d’environ 390 000€ + 200 000€ de partenariats privés comme le géant laitier Lactalis, le grossiste Metro ou le fabricant de vestes Lafont qui s’ajoutent aux 500 000€ d’argent public. Même des montres sponsorisent le Michelin.

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