Au cœur de la manifestation des agriculteurs à Tours

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Débuté le week-end du 20 janvier dans le Sud-Ouest, le mouvement des agriculteurs a gagné l’Indre-et-Loire mardi 23 avec une première action à Neuillé-Pont-Pierre et Maillé. Depuis, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont bloqué l’autoroute A10 à Monnaie et Sorigny (le 26), accueilli le 1er ministre à Parçay-Meslay (le 28) et envahi le centre-ville de Tours ce mardi 30 janvier. Nous y étions.

Les agriculteurs tourangeaux ont déjà manifesté pour défendre leur métier, dénoncer le trop-plein de normes ou les bas revenus. Mais en général, il s’agissait d’actions ponctuelles. Là, cela fait 10 jours que ça dure et cela pourrait encore se poursuivre un moment. Surtout, le nombre et l’ampleur des mobilisations impressionnent avec des campements sur les autoroutes ou un grand convoi parti du Lot-et-Garonne direction la capitale. Ça, c’est inhabituel. Peu commun aussi, le fait que tous les syndicats de la profession se sentent concernés. S’ils ne protestent pas ensemble en raison de divergences politiques, FNSEA, Jeunes Agriculteurs, Confédération Paysanne et Coordination Rurale se rejoignent sur certains points.

Ce mardi 30, ce sont les syndicats majoritaires qui ont pris la main à Tours. FNSEA et Jeunes Agriculteurs se sont installés Place Jean Jaurès à la mi-journée après deux opérations escargot mené depuis le rond-point de l’Avion à Parçay-Meslay et le rond-point de l’hippodrome à Chambray.

Au cœur de l’après-midi, ce sont plusieurs dizaines de tracteurs qui étaient garés devant le tribunal et l’hôtel de ville, ralentissant sérieusement la circulation sans la couper totalement. En parallèle, du fumier a été déversé par la préfecture et plusieurs véhicules agricoles ont occupé le parking du Leclerc de Tours-Nord.

Se montrer sans trop perturber, c’est la priorité du mouvement depuis son origine. Les exploitants mobilisés tiennent à garder une bonne image auprès du public qu’ils cherchent à convaincre du bien-fondé de consommer des produits français, en comparaison à des produits étrangers qui ne sont pas forcément soumis à des normes aussi restrictives, constituant selon eux une concurrence déloyale. Pour engager la conversation, les manifestants ont même distribué du vin, du lait ou du fromage aux passants. Parmi les personnes venues leur rendre visite : le préfet d’Indre-et-Loire Patrice Latron, et le maire de Tours Emmanuel Denis.

Dans la foule, on engage la conversation avec Françoise Bertrand. Parfois interrompu par un concert de klaxons (un tracteur s’amusant à nous mettre en tête le ridicule tube d’Internet Baby Shark), le dialogue résume bien le malaise ressenti par une grande part du monde rural.

Installée à La Chapelle-Blanche-Saint-Martin, Françoise Bertrand est éleveuse de lapins. « Nous ne sommes que deux dans le département » nous dit-elle, précisant dans la foulée : « On était trois il y a encore un mois mais il y en a un qui a arrêté ». Son exploitation, cela fait plus de 30 ans qu’elle y travaille. Et avant, elle était déjà salariés dans le milieu agricole. Son entreprise, elle la définit comme plutôt petite : réalisant l’élevage de A à Z, de la naissance des lapereaux à leur abattage pour la viande, elle dispose de 450 cages, quand certaines fermes bretonnes dépassent les 2 000 ou 2 500 cages, indique-t-elle.

Son activité n’étant pas si connue face au porc roi rose ou à la géline de Touraine, la quinquagénaire se sent obligée de nous convaincre de l’intérêt de consommer du lapin : « Les kinés les conseillent aux sportifs car la graisse est à l’extérieur » argumente celle qui vend ses produits en coopérative et en direct, une activité à succès car « on n’arrive pas toujours à faire face à la demande ».

Néanmoins, Françoise Bertrand avoue être dans le dur. Lassée. A 58 ans, elle commence déjà à réfléchir à la transmission de l’exploitation familiale. « On va commencer à chercher », soupire-t-elle. Ses enfants font des études agricoles mais ils ne sont pas très chauds pour reprendre à cause d’un manque de confiance en la pérennité économique de l’activité. « En 1993 on n’avait pas ces craintes-là » se remémore l’agricultrice.

Encartée FNSEA, « un syndicat où il n’y a pas que des gros, et celui où il y a le plus d’agriculteurs bio », ce n’est pas la première fois qu’elle manifeste. En revanche, ce coup-ci, elle est prête à aller plus loin que les opérations escargot ou les opérations coup de poing devant les grilles de la préfecture : « S’il le faut on retournera bloquer l’autoroute et on videra les camions étrangers pour contrôler leur marchandise » tonne-t-elle. D’autres l’ont fait ailleurs, pour tenter de prouver que des produits non conformes sont vendus en toute impunité sur le marché français.

Également céréalière, François Bertrand fait partie de ces voix qui pestent contre l’empilement des normes. « Maintenant quand je me fais livrer de l’engrais, je dois signer un papier où je m’engage à ne pas m’en servir pour fabriquer d’explosifs » nous assure-t-elle devant la mine effarée d’une femme postée sur la place. Si elle valide la nécessité d’avoir des règles pour pouvoir prouver que ses lapins sont de qualité, l’éleveuse déplore d’avoir l’impression que chaque contrôle réalisé se déroule avant tout pour dénoncer ce qui pourrait sortir des clous (elle affirme que ça n’est jamais arrivé chez elle). « Les normes garantissent notre travail mais il ne faut pas qu’elles soient ridicules » résume-t-elle.

Ce mardi soir, les agriculteurs FNSEA et JA ont poursuivi leur mobilisation jusqu’en début de nuit, via un banquet en centre-ville de Tours. Ils pourraient bien se remobiliser dans les prochains jours tant qu’ils n’auront pas obtenu des avancées significatives de la part du gouvernement. De son côté, la Confédération Paysanne appelle à une action ce jeudi 1er février, également au cœur de Tours. Elle y dénoncera les bas revenus de la profession ainsi que les accords de libre-échange internationaux (comme ceux avec l’Amérique du Sud ou le Kenya).

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