A Tours, quel CHU après la crise du coronavirus ?

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Le CHU de Tours compte environ 9 000 agents ce qui en fait, de loin, le premier employeur d’Indre-et-Loire. Même sans pandémie, l’hôpital est au cœur de l’actualité, plutôt bien noté dans les classements nationaux, mis en valeur par les publications de ses équipes de recherches, mais aussi sujet de nombreux débats sur son fonctionnement, son organisation et ses moyens. Deux mois après le début de la crise du Covid-19 il est encore trop tôt pour tirer un bilan complet de cette situation inédite et de la façon dont elle a été gérée par ses services. On peut tout de même faire un premier état des lieux.

Crise ou pas, le CHU de Tours est omniprésent dans la presse tourangelle. Pourtant sa direction parle peu. Marie-Noëlle Gérain-Breuzard qui manœuvre le paquebot accorde très rarement des interviews et ses déclarations laissent peu de place à l’improvisation. Avec le Covid-19 elle a dû changer de méthode, organisant environ une conférence de presse toutes les deux semaines, toujours en compagnie d’un panel de représentants du corps médical. Opération transparence indispensable avec le désir croissant d’information de la part de la population.

Au cours de ces rendez-vous, on a pu prendre connaissance de nombreux chiffres : 327 personnes hospitalisées en deux mois, 100 malades placés en réanimation dont 18 toujours intubés début mai, jusqu’à 27 nouvelles admissions lors du pic de l’épidémie, un test sur 5 positif… Ces données donnent une idée de l’état des services qui ont dû mettre en place des protocoles de soins stricts pour éviter de nouvelles contagions. Ce qu’elles ne disent pas c’est comment l’Hôpital (au sens large) sortira de cette situation.

Des failles pointées par les représentants du personnel

Au milieu des prises de paroles policées des professionnels du CHU, une voix s’est toujours exprimée sous le spectre de la franchise : celle du Professeur Louis Bernard, chef du service des maladies infectieuses. Dès le début du confinement, c’est lui qui a poussé un coup de gueule retentissant pour demander aux Tourangelles et aux Tourangeaux de rester chez eux. Il ne l’a pas fait avec les mots techniques d’un médecin mais sous le coup de l’émotion. Quelques jours plus tard, c’est encore lui qui faisait part de son incompréhension face au transfert de patients du Grand-Est annulé à la dernière minute alors que le bus qui transportait les brancards avait déjà quitté Reims. Ce mercredi 6 mai, c’est ce même homme qui s’inquiète de la capacité de l’établissement à gérer une éventuelle deuxième vague de l’épidémie : « L’hôpital a été remué dans sa structure et il n’est pas en très grande forme. Une deuxième vague sera assez pénible. »

Quand il dit ça, il fait évidemment référence au moral du personnel, très sollicité, usé par l’accumulation des heures et le côté anxiogène de la situation. « Louis Bernard a signé l’appel du Collectif Interhôpitaux. Il était en grève bien avant le coronavirus. Ça fait du bien d’avoir ce genre de porte-parole qui corrobore ce que l’on dénonce » nous dit Anita Garnier du syndicat Sud. A l’aune du déconfinement, elle évoque une épidémie « mal gérée » en interne, des masques FFP2 « périmés depuis 2016 » aux « recrutements d’intérimaires dans certains services pour remplacer les titulaires envoyés en renfort dans les unités Covid ». La représentante du personnel réclame toujours des tests pour les équipes de l’hôpital : « Nous avons eu 4 cas récemment en pneumologie et on nous a refusé un test de l’ensemble du service alors même qu’on recommençait à accueillir des patients ‘courants’, hors Covid. »

Le projet de Nouvel Hôpital Trousseau modifié ?

Les soignants ont l’habitude de gérer des situations médicales difficiles mais pas sur une si longue durée. La cellule de soutien psychologique qui s’est montée spécialement pour les écouter s’attend à recevoir de nombreuses sollicitations dans les mois à venir. Et ce d’autant plus qu’une bonne part du personnel était déjà échaudée par des politiques locales ou nationales incomprises et jugées injustifiées (suppressions de postes et de lits, notamment). Ainsi, faire la liste des équipes qui se sont mobilisées depuis à peine deux ans est une tâche particulièrement fastidieuse (neurologie, urgences, internes…). « Pour le déconfinement l’hôpital annonce la suppression des chambres pour deux personnes. Cela représente 150 fermetures de lits et on craint qu’ils ne rouvrent pas après la crise » alerte Anita Garnier. « La direction s’apprête à reprendre l’étude des restructurations de services alors que le ministre de la santé a demandé de les suspendre » déplore également Sud.

Un peu éclipsées par l’urgence sanitaire, ces colères couvent et continuent de s’exprimer par le biais de syndicats ou de représentants d’usagers qui n’observent aucune trêve. Au minimum, et sans désigner de responsable, on peut affirmer qu’il existe un fossé entre les différentes visions de ce service public. Il se matérialise notamment autour du projet de reconstruction de l’hôpital Trousseau, pensé pour un monde où le soin ambulatoire (sans nuit à l’hôpital) devient la règle et où un maximum de services sont regroupés au même endroit. Le calendrier prévoit une présentation détaillée du chantier pour cet été, et une inauguration dans 6 ans à Chambray-lès-Tours. Désormais tout le monde s’attend à ce qu’il soit repoussé. Nécessitera-t-il des modifications après l’épisode du coronavirus ? Une seule question parmi tant d’autres : faudra-t-il prévoir plus de lits de réanimation dans le plan de base de l’hôpital de demain, même s’ils sont peu utilisés hors crise ? A plus court terme, on peut aussi s’interroger sur la nécessité de repenser certains services via des investissements qu’il va falloir financer malgré un endettement déjà conséquent.

Une pression forte pour augmenter les salaires

Autre sujet fondamental : l’emploi. En présentant la montée en puissance du service de virologie qui pourra bientôt analyser 2 400 testes quotidiens (au lieu de 400), la directrice du CHU a expliqué qu’il fonctionnerait avec 50 personnes 24h/24 et 7 jours sur 7… Notamment grâce à la présence d’étudiants. « Si nous devons le maintenir en septembre, il faudra recruter » explique Marie-Noëlle Gérain-Breuzard. En effet le recours aux jeunes en formation a été conséquent ces dernières semaines : 1 500 internes et étudiants du 2e cycle + les étudiants en pharmacie, les futurs techniciens de laboratoire, les étudiants des professions paramédicales… Un contingent indispensable et mal payé. « Leur rémunération est insuffisante en temps normal » concède le Pr Patrice Diot, doyen de la faculté de médecine. Il y aura des primes – à priori en juin – mais c’est une revalorisation réelle et durable qui est réclamée, tout comme des hausses de salaires pour les infirmières ou aides-soignantes, leurs payes étant inférieures aux standards européens, qui plus est sur des métiers largement féminisés. La revendication s’exprimait déjà ces derniers mois dans de multiples manifestations.

Malgré des errements, le CHU a su absorber le choc de l’épidémie de Covid-19. Il a toujours pu accueillir de nouveaux malades en réanimation, y compris venus d’autres départements. Avec 34 décès, la mortalité y a proportionnellement été moins importante qu’ailleurs. Mais on n’oublie pas que dans les premiers jours c’est au sein même de l’établissement que le virus s’est diffusé et qu’il y a eu une forte tension sur les protections des équipes (masques, surblouses, charlottes…). Des fragilités à combler sur la durée pour assurer la solidité de l’établissement. « On continue à voyager dans l’inconnu mais il faut que l’hôpital conserve son agilité » estime la directrice dont la priorité est aujourd’hui « d’accompagner le déconfinement » en reprenant progressivement les activités stoppées depuis le mois de mars. Sans doute que cette opération réussira seulement avec un protocole d’organisation largement partagé. De cela dépendra l’efficacité du système de santé tourangeau dans les années à venir.

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