A la fac de Tours, 4 ans de recherches pour éviter une pénurie de médicaments anticancer

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C’est un sujet assez complexe mais capital pour la médecine. Depuis le début de l’année, la fac de pharmacie de l’Université de Tours mobilise 9 personnes dans un projet de recherche autour de la pervenche de Madagascar. Cette plante tropicale est réputée pour ses vertus médicinales mais il est difficile de la produire en quantité suffisante pour les besoins de l’industrie du médicament. Tours participe donc à un programme européen avec une ambition : produire artificiellement les molécules anticancer de cette plante mais sans que ça coûte trop cher. On vous explique.

« La pervenche de Madagascar on en trouve sur le marché aux fleurs du Boulevard Béranger, c’est une belle plante ornementale qui peut monter très haut » : Audrey Oudin connait cette espèce par cœur car ça fait des années qu’elle en étudie les moindres détails. Maître de conférences à la fac de pharmacie de Tours, elle nous guide dans les couloirs du laboratoire BBV (Biomolécules et Biotechnologies Végétales) situé au 1er étage d’un des bâtiments du campus de Grandmont. Tout au fond, il y a les serres : une maintenue en permanence à 18°, l’autre chauffée à 28 toute l’année. A l’intérieur, de belles plantes tropicales à différents stades de développement. Certaines n’ont que quelques feuilles, et d’autres plein de belles fleurs blanches.


Les pervenches cultivées à la fac de Tours.

Ces plantes constituent le point de départ du projet de recherche MIAMI. Malgré son nom aux consonances américaines, il s’agit exclusivement d’un programme européen. Pendant 4 ans, des équipes de recherche d’Allemagne, du Danemark ou de Tours vont étudier la meilleure façon de concevoir des médicaments anticancer avec une molécule présente dans la pervenche de Madagascar… mais sans qu’il soit nécessaire de cultiver la plante. Leur objectif c’est de mettre au point un procédé de développement artificiel du produit, que l’on puisse développer à grande échelle et à moindre coût dans un laboratoire pharmaceutique.

Une tonne de feuilles à ramasser pour produire 1g de médicament

Les propriétés de la pervenche de Madagascar sont connues depuis bien longtemps comme nous l’explique Vincent Courdavault, autre Maître de conférences de la fac de Tours engagé dans ce programme :

« Dès les années 1920, on s’est rendu compte que cette plante était utilisée pour soigner à Madagascar, notamment en tant qu’antidiabétique. Rapidement, on lui a aussi trouvé des propriétés anticancer. On l’utilise ainsi pour traiter des lymphomes, les tumeurs chez l’enfant, le cancer du foie, du poumon ou du sein avec un gros boom à partir des années 80. »

Pour fabriquer les médicaments, inutile d’utiliser toute la plante (en plus manger ses feuilles serait une mauvaise idée, elles sont toxiques). Il faut en fait extraire une molécule des feuilles. Une molécule parmi quelques milliers, en l’occurrence un produit issu de la famille des alcaloïdes, comme la caféine ou la nicotine. Une fois qu’on a isolé cette molécule, on l’administre par perfusion aux patients qui suivent une chimiothérapie. Deux solutions :

  • en monochimie (toute seule)
  • en polychimie (en association avec d’autres produits)

Problème : ce procédé est très lourd : « Il faut une tonne de feuilles pour 1g de médicament » explique Vincent Courdavault. Et une feuille, ça ne pèse pas lourd…

Matériel d'expérience de la fac de Tours.

Originaire de l’océan indien, la pervenche de Madagascar est principalement cultivée en Inde et dans les pays tropicaux. « Comme toute ressource naturelle, on est soumis à la fluctuation de son approvisionnement. Depuis longtemps on cherche une manière d’homogénéiser la production » racontent Audrey Oudin et Vincent Courdavault. « Avec le changement climatique, on se doute que cela va devenir plus compliqué de cultiver la pervenche qui pourrait être remplacée par des cultures pour l’alimentation » poursuit le duo de chercheurs. Le risque c’est de se retrouver avec une pénurie de médicaments : « D’ailleurs on observe déjà une rupture de certaines plantes à usage médical. Pour éviter cela, il faut un moyen de s’affranchir des cultures dans le futur. »

Un futur médicament produit à Pithiviers dans le Loiret

A Tours, en Allemagne, au Danemark, en Italie et aux Pays-Bas : au total une cinquantaine de personnes travaillent sur le projet MIAMI, financé à hauteur de 6,8 millions d’euros par des fonds européens. La fac de pharmacie de Tours a spécialement recruté deux personnes pour cette aventure qui va durer 4 ans.

Production d'un médicament aujourd'hui
Production d'un médicament demain

Pendant tout ce temps, les équipes de recherche doivent s’employer à mettre au point la « recette » pour générer artificiellement la fameuse molécule anticancer contenue dans les feuilles de la pervenche de Madagascar. Elles vont s’appuyer sur des levures : le même genre de levures dont se servent les boulangers pour faire du pain. L’idée c’est d’y placer les gênes nécessaires à la fabrication de la molécule puis de laisser agir. Un procédé « qui ne se limite pas à la pervenche, on peut également s’en servir pour d’autres plantes à intérêt pharmaceutique » précise Vincent Courdavault. Les premières expériences se font dans des bidons de 2 à 5l, les suivantes dans des contenants beaucoup plus gros mis à disposition au Bio3, le grand laboratoire universitaire tourangeau situé sur le site du Plat d’Etain. Un bâtiment exclusivement dédié aux recherches sur les biomédicaments.

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« Le vrai challenge il est sur la quantité de molécules produite pour savoir si ce procédé est rentable. »

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Car la fac de Tours travaille pour un laboratoire pharmaceutique, la société Axyntis. Basée à Pithiviers dans le Loiret, elle vient d’y racheter l’ancienne usine de l’entreprise 3M avec le projet de créer une chaîne de production de biomédicaments. Cet investissement est lourd, il se doit donc d’être rentabilisé. Il faut aussi faire en sorte que le produit fini – le médicament – ne soit pas à un coût trop élevé ce qui est parfois le problème des traitements anticancer (à la fin, c’est bien la sécurité sociale ou les patients qui payent). Même s’ils n’en sont qu’au début de leur travail, les chercheurs tourangeaux que nous avons rencontrés se disent confiants sur leur capacité à mener ce projet à terme : « Cultiver en levure ce n’est pas cher par rapport à la culture de la plante. »


Un degré en plus :

Vous pouvez en apprendre davantage sur ce programme de recherche en consultant le site miami-project.eu

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