Ne l’appelez plus « friche Michelin » mais « Quartier Les Carmeries ». Dans les années à venir, la zone que Michelin-Joué-lès-Tours a libéré après le plan social de 2013 est amenée à revivre et à s’urbaniser. Un vaste projet qui se veut innovant et qui pourrait rassembler jusqu’à 2 500 habitants et 5 000 emplois au bord du périphérique, et face au Lac des Bretonnières. Des objectifs ambitieux.
La dernière fois qu’on a parlé du projet de reconversion du site Michelin il était question d’y créer un grand quartier d’affaire avec des bureaux, des commerces et des services. C’était juste après la crise Covid et on n’avait pas encore bien analysé la transformation que la pandémie avait entraîné dans la société. Deux ans plus tard, on oublie l’idée de construction d’un centre d’affaire à la Tourangelle pour privilégier un projet hybride avec des emplois, des logements, du commerce et des services à l’image de ce qui peut exister aux Deux-Lions à Tours.
« On veut offrir un lieu différent, complémentaire au reste de la ville » explique Clément Blanchet, l’architecte en chef du projet. Un secteur baptisé Les Carmeries, du nom d’un lieu-dit jocondien (ce qui permet d’effacer le douloureux passé de Michelin qui a licencié 700 personnes en 2013, après avoir compté jusqu’à 4 000 salariés dans les années 80). Bref, toute la communication veut montrer que l’on repart presque d’une page blanche. « Il n’est plus question de faire un quartier qui dort et où il ne se passerait pas grand-chose comme La Défense en région parisienne. Ce qu’on veut c’est une ville dynamique, agréable à vivre en permanence » commente pour sa part Clément Mignet, le directeur de la Société d’Equipement de la Touraine, associé avec le promoteur privé Exia.
C’est donc « un quartier multifonctionnel et vivant toute la journée » qu’il faut imaginer au bord du périphérique, face à l’Espace Malraux et au Lac des Bretonnières. Au programme : 100 000m² de bureaux et 75 000m² de logements (soit 1 200 à 1 300 appartements). A cela, on ajoute 2ha d’espaces verts et 25 000m² de commerces et services (mais pas d’écoles, car la mairie affirme que les 3 établissements scolaires situés à proximité seront en capacité d’absorber le surplus d’enfants). Au total, 2 500 habitants et 5 000 emplois sont attendus sur cette zone de 17ha.
« A l’heure où l’on dit qu’il faut faire la ville sur la ville, sans artificialiser davantage et prendre sur les terres agricoles voilà un projet qui va recréer un lien entre les différents quartiers de Joué-lès-Tours » commente pour sa part le maire Frédéric Augis. Une liaison qui sera marquée physiquement par la construction d’une passerelle entre Les Carmeries et le Lac des Bretonnières mais aussi par le projet de création d’une ligne de bus « forte » desservant aussi le Campus des Métiers ou la zone d’activité de Ballan-Miré, deux secteurs mal desservis aujourd’hui. Elle pourrait voir le jour à l’horizon 2026.
Même si le terme n’est pas évoqué, Les Carmeries se présente un peu comme un écoquartier. Son aménagement a été pensé pour limiter au maximum la place de la voiture : il y aura deux axes principaux pour desservir les immeubles, et un axe secondaire pour rejoindre les bâtiments plus éloignés. Le reste sera largement piétonnier, à part des accès pompiers ou pour des déménagements exceptionnels. Bien sûr, chaque immeuble aura ses parkings souterrains et des stationnements en ouvrage et surface sont prévus pour les bureaux et commerces. Mais pour Clément Blanchet, il faut que la voiture « s’excuse » lorsqu’elle pénètre dans la zone.
Au total, ce sont une dizaine de prestataires qui ont pensé ce nouveau quartier jocondien, dont un paysagiste. Même s’ils ne sont pas encore dessinés, les futurs immeubles sont prévus pour avoir des toits végétalisés et accessibles, ce qui permettra notamment d’y aménager des potagers. Les bâtiments d’habitation seront limités à 4 étages et 7 niveaux pour les bureaux. Les plus grands immeubles seront situés près du périphérique… avec vue imprenable sur le Lac des Bretonnières mais aussi une fonction de mur antibruit géant pour le reste du quartier. Si le cahier des charges ne prévit pas l’obligation de constructions aux standards écologiques les plus élevés, elles devront quand même respecter au minimum les normes les plus récentes et on nous dit que les premiers clients intéressés se projettent avec des constructions particulièrement exemplaires.
« Il faut qu’il y ait un plaisir d’habiter, que les gens puissent se promener, faire leur parcours santé, qu’ils habitent le paysage » résume Clément Blanchet avec son jargon d’architecte afin de définir l’esprit des Carmeries. La commercialisation des bureaux est déjà lancée avec des prix qui devraient tourner autour de 2 500€ le m² pour des plateaux nus. On sera sûrement proche des 4 000€ le m² pour les logements sachant que les T1 et T2 ne pourront pas représenter plus du quart de l’offre totale. La priorité sera donnée aux appartements traversants ou en angle pour diversifier les sources de lumière.
Au total, ce sont 500 à 600 millions d’€ qui devront être investis pour ériger l’ensemble du quartier, dont 40 millions pour l’aménagement initial. L’enquête publique démarrera le 11 mars, le permis d’aménager est attendu en juillet pour un début des travaux fin 2024-début 2025. En revanche les premiers habitants ne devraient pas prendre possession des lieux avant 2027-2028. Dans le lot il y aura du privé mais aussi, sans doute, du social, de l’accession à la propriété ou encore des projets de type hôtel ou résidence étudiante. Rien n’est encore défini. Plusieurs promoteurs se mettront sans doute dans la boucle mais tous devront se mettre en lien avec Clément Blanchet qui aura à valider chaque projet pour garantir l’harmonie de l’espace.
Ce réaménagement de la friche Michelin avec une grosse surface de bureaux répond en tout cas à un besoin certain dans la métropole de Tours. La question est de savoir s’il ne risque pas de vider d’autres zones d’activité par un effet d’appel d’air. Sur ce point, Frédéric Augis se veut rassurant, expliquant qu’il y a des entreprises locales qui cherchent à déménager aux Carmeries mais aussi des entreprises nationales qui s’y intéressent pour se développer en Touraine. Il voit également le départ potentiel d’acteurs économiques de zones vétustes comme une opportunité de les réhabiliter et, au final, de rendre les emplois plus attractifs dans l’agglomération. Car recruter quand on a un cadre de travail agréable c’est un atout dans un marché du travail de plus en plus concurrentiel.
Reste à savoir à quel point ce projet sera couronné de succès. Invitée à la conférence de presse de présentation du chantier, l’opposition jocondienne est dubitative, le socialiste Francis Gérard notant notamment que la crise actuelle du logement (prix et taux élevés) pourrait contrarier les mises en construction. Il émet également des réserves sur la capacité réelle des plus grands immeubles à bien absorber le bruit d’un périphérique parfois saturé de véhicules. Les premières réponses seront connues d’ici 4 ans. Mais en réalité, ce n’est qu’à l’horizon 2034-2037 que l’on pourra déambuler dans un quartier achevé.