95 pages pour dresser un état des lieux sur les discriminations en France. Personne n’avait jamais fait ça avant l’Observatoire des Inégalité de Tours. Ce mardi 28 novembre, l’association basée au Sanitas a publié un dossier inédit et important qui décortique la situation en matière de racisme, d’homophobie ou encore handiphobie. Il est même question des problèmes de discriminations liées à l’appartenance syndical. Un travail de fourmi pour établir un portrait objectif de la société d’aujourd’hui au moment où le parlement débat de la loi immigration du gouvernement avec des discours souvent loin d’être mesurés.
« Avec les discriminations on atteint l’inacceptable de la dignité humaine » énonce Louis Maurin en ouverture de conférence de presse. L’un des visages historiques de l’Observatoire des Inégalités s’adresse aux journalistes locaux et nationaux avec le ton grave mais l’air satisfait. Si la situation qu’il évoque est alarmante, il est aussi fier d’avoir réalisé un travail inédit en France pour dresser un état des lieux des discriminations dans le pays. « Ce rapport voit le jour grâce à une campagne de financement participatif qui a recueilli 700 contributions » nous dit-il. Signe aussi de l’intérêt que suscite le sujet.
Si les discriminations sont moins répandues que les inégalités économiques – au centre de l’essentiel des rapports de l’Observatoire des Inégalités – elles n’en demeurent pas moins très difficiles à vivre pour les personnes concernées. « Ultras minoritaires mais plus violentes » tranche Louis Morin. « Se faire refuse un logement à cause de questions de revenus on peut le comprendre mais si c’est parce qu’on a la peau noire, il n’y a aucun principe de justification » ajoute-t-il, professant que les inégalités « pèsent sur votre identité, car ce sont des éléments que vous ne pouvez pas changer. »
Quand on écrit ça, on a l’impression que le tableau est très sombre. Louis Maurin nuance : « En France on a de moins en moins de gens qui pensent qu’il y a trop d’immigrés. En 20 ans la part des personnes qui pensent que dans l’idéal les femmes doivent rester à la maison et s’occuper de leurs enfants est passée de 50% de la population à 25% et 85% des sondés pensent que l’homosexualité est une manière comme une autre de vivre sa sexualité contre 65% en l’an 2000. » Des progrès, donc. « La société est plus ouverte, avec une évolution rapide » note le spécialiste. Cela dit « le sentiment de discrimination reste largement répandu » prévient Anne Brunner, rédactrice du rapport.
Ainsi, sur la tranche d’âge 18-49 ans une personne sur 5 se souvient d’avoir subi au moins une discrimination dans les 5 dernières années, et on monte à 32% pour les personnes nées dans les départements et territoires d’outre-mer. Des discriminations qui, avec le temps, sont aussi plus conscientisées. Et donc plus souvent déclarées à la police, ou tout simplement mieux prises en compte par les pouvoirs publics. Cela permet d’avoir des chiffres suite à des enquêtes, comme de savoir que les immigrés originaires d’Afrique ont presque deux fois plus de chances de rester au chômage.
Cependant, les institutions ont encore du mal à s’emparer réellement du sujet. Louis Maurin cite par exemple une grande différence entre les études de l’INSEE consacrées aux discriminations et celles concernant le pouvoir d’achat. Et Anne Brunner embraye sur « les discriminations légales » qui rendent encore 5 millions d’emplois inaccessibles aux étrangers en situation régulière, même si des entreprises comme la SNCF ont levé les interdits. A cela il faut aussi ajouter que la fonction publique d’Etat ne respecte toujours pas l’obligation légale d’employer au moins 6% de personnes en situation de handicap. Sur ce domaine, « il y a une immense hypocrisie entre les discours et les moyens » déplore l’Observatoire des Inégalités (la grande loi accessibilité date de 2005. Il y a 18 ans…).
Conscient que sa légitimité acquise au fil des années et des travaux sérieux lui permet d’être lu par des personnes importantes et influentes au plus haut niveau de l’Etat, l’Observatoire des Inégalités espère que ce rapport permettra un peu de calmer les esprits. Car les discriminations s’affichent en grand dans de nombreux discours publics (politiques et médiatiques) : « On assiste à un naufrage démocratique du côté droit de l’échiquier politique. Le résultat c’est que ça va finir par amener l’extrême droite au pouvoir » lâche Louis Maurin, qui sort de sa relative neutralité pour alerter d’une situation qui le préoccupe grandement. Car les discriminations sociales peuvent entraîner derrière une aggravation des inégalités économiques. Il serait bien de garder ça en tête.
