L’annonce d’Emmanuel Denis de rendre le pont Wilson entièrement cyclable et piéton vendredi soir en conseil municipal a fait fortement réagir. Dès la publication de notre article sur le sujet sur Info Tours, nombreux sont les lecteurs qui ont commenté la décision. Le sujet a également animé de nombreuses discussions au long du week-end. Pourtant, c’est tout sauf une surprise.
En mai dernier, lors de l’annonce de Tours Métropole de la mise en place de voies cyclables transitoires afin de faciliter la pratique du vélo avec le déconfinement, Emmanuel Denis, alors encore candidat aux Municipales, s’était positionné pour le passage du pont Wilson en voie douce, comprendre limiter sa traversée aux piétons et cyclistes et l’interdire aux voitures. Un choix alors non retenu par la Métropole au sein des 40 km de pistes transitoires mises en place. Emmanuel Denis en avait néanmoins fait une promesse de campagne de l’entre-deux-tours, appelant à amplifier ces pistes transitoires en intégrant ce pont symbolique.
Un axe important mais plus vraiment structurant
Si depuis 2013, le pont de pierre comme il est autrement appelé, a perdu en partie son rôle d’axe pénétrant en centre-ville, avec la piétonisation de la rue Nationale suite à l’arrivée de la première ligne du tramway, il n’en reste pas moins un axe important.
Selon les chiffres 2018 de Tours Métropole, le nombre de passage moyens de voitures sur le pont s’élève ainsi chaque jour à 4800, soit seulement 6% des franchissements de la Loire par automobiles par jour selon Emmanuel Denis qui pointe une baisse depuis avec seulement 4600 passages/jours en moyenne actuellement. Un chiffre à mettre en comparaison néanmoins avec les deux autres ponts urbains de l’agglomération (Mirabeau et Napoléon) pour qui le nombre de passages moyens de voitures par jour s’élève à 31 700 pour Mirabeau et 23 700 pour Napoléon.
Depuis l’arrivée du tramway c’est tout le schéma de circulation qui avait été déjà revu, renvoyant l’essentiel du trafic de passage vers les deux ponts cités, voire ceux du périphérique et de l’A10 pour les plus extra-urbains. Depuis les années 90, la voiture réduit ainsi peu à peu son emprise en ville. Le phénomène n’est pas lié à une certaine mouvance écologiste, ni même limité à Tours. Beaucoup de villes ont entamé leur transition depuis une vingtaine, voire une trentaine d’années. Un mouvement de longue durée qui s’appuie aussi sur le développement en parallèle de solutions alternatives : parkings en abords de centre-ville, réseau de transports en commun efficace et efficient, mise en place de voiries douces…
Une suite logique vers une plus grande piétonisation du centre-ville
On pense à Montpellier, Nantes, Strasbourg, Grenoble… pour celles régulièrement citées dans les classements et articles de presse comme étant à la pointe du mouvement. A regarder les classements justement, Tours se retrouve à la traine. Ainsi en 2019, deux classements (un du Cerema, l’autre d’un site marchand allemand de location de vacances) pointent les dix villes de France ayant le plus d’aires piétonnes au prorata du nombre de kilomètres de voiries. On y retrouve des villes comme Grenoble (10,20% de la voirie), Annecy (9%), Montpellier (5% mais 34 km cumulés), Rennes (4,25%)… A Tours en revanche, l’aire piétonne reste restreinte à quelques rues et places autour de la place Plumereau et de la rue Colbert. A l’inverse nombre de rues restent traversantes en voitures à l’image de la rue des Halles, rue de la Scellerie, ou même une partie des rues du commerce et Colbert dans le sens est-ouest ou dans le sens nord-sud celles Voltaire, Marceau, des Halles… Des rues qui ne servent pas qu’à alimenter le centre-ville mais qui servent pour certaines également de voies de transit.
Loin de l’image d’une ville apaisée, Tours garde ainsi une voirie très marquée par les 30 Glorieuses et l’époque du tout voitures et cela se ressent dans les comportements et l’état d’esprit. Encore aujourd’hui, on l’a vu avec les débats sur le stationnement début 2018, l’impression que pour que les commerces du centre-ville fonctionnent il faut des parkings presque devant les devantures et vitrines, perdure.
Pourtant, qui aujourd’hui reviendrait en arrière en repassant la rue Nationale accessible aux voitures ? Personne évidemment, et pourtant les commerces ne s’en portent pas mal. Qui rebasculerait la place Plumereau en parking comme au début des années 80 ? Là encore, personne et la place est devenue un élément fort du commerce, du tourisme et du sacro-saint rayonnement.
Alors en campagne, Emmanuel Denis nous expliquait il y a un peu plus d’un mois sa vision pour la ville : « L’objectif c’est de redonner des espaces aux piétons. On a eu des échanges intéressants avec les commerçants : on observe que les mentalités changent, qu’ils voient l’intérêt d’avoir des rues pacifiées » nous disait-il. Cette croyance, Emmanuel Denis veut aujourd’hui la tester : cela passera par les estivales commerçantes mises en place à partir du week-end prochain, avec une piétonisation d’une partie des rues de l’hypercentre. Cela passera aussi donc par la piétonisation du pont Wilson. A chaque fois, le nouveau maire de Tours évoque des expérimentations et la possibilité de revenir en arrière.
Dans les faits, on peut y voir à l’inverse une façon de ne pas brusquer les choses et d’habituer la population à une évolution. Emmanuel Denis l’a dit lui-même ce lundi soir en Conseil Métropolitain : la décision de fermer le pont Wilson aux voitures va « dans le sens de l’histoire », la circulation automobile étant responsable selon lui de « 30% des émissions de CO². » Allant plus loin, ce dernier évoque même une action légitimée par son élection qui a validé son programme reposant sur la transition écologique et qui « implique des décisions importantes à prendre rapidement. »
Pour les opposants : un mauvais signal pour les habitants hors centre-ville
D’un autre côté, d’autres voix s’élèvent pour s’alarmer de cette décision qu’ils jugent pénalisante notamment pour ceux habitant au nord de la Loire. Ce lundi soir en conseil métropolitain, Christophe Bouchet a ainsi relancé le débat sur cette décision qu’il estime cette décision est ainsi mauvaise dans sa forme mais aussi sur le fond, ce dernier craignant un basculement des flux automobiles vers les ponts Napoléon et Mirabeau, avec une congestion éventuelle, ainsi que dans certaines rues de Tours Nord. Il a été rejoint en partie par Philippe Briand sur le sujet qui bien que reconnaissant « à la municipalité de Tours le fait de tenir des engagements de campagne » s’est inquiété sur une éventuelle saturation des autres ponts.
De son côté, Armelle Gallot-Lavallée, adjointe aux mobilités évoquait auprès de nous, une décision qui pourrait changer les habitudes, cette dernière espérant que sur les 4600 passages jour de voitures sur le pont Wilson, certains optent désormais pour d’autres modes de transports. Et pour les accompagner cette dernière de rappeler que l’idée est surtout celle d’un parcours sécurisé via les rues Voltaire, Buffon, le boulevard Heurteloup… Car pour aller vers la ville apaisée que la nouvelle majorité appelle, il faudra en effet revoir les aménagements, mais aussi le plan de circulation… en clair repenser la ville : vaste chantier.
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