Arrivé en Indre-et-Loire début 2023, le préfet Patrice Latron a rapidement imposé son style. Largement présent sur le terrain, il n’hésite pas à se rendre au-devant des manifestants comme il l’a fait par deux fois lors de la mobilisation des agriculteurs. Très cash dans ses discours, notamment sur la sécurité, il a également initié une communication accrue sur les résultats des forces de sécurité et de contrôle. Nous avons voulu comprendre sa méthode. Entretien exclusif : depuis son arrivée c’est la première fois qu’il parle aussi longuement à la presse.
On interroge d’abord Patrice Latron sur son ressenti après ses débuts en Touraine :« C’était une année dense pour des raisons structurelles et conjoncturelles. Structurelles, car lors d’une prise de fonction il faut découvrir le territoire, ses problématiques et ses acteurs, notamment les élus. Cela nécessite un investissement personnel très important. Conjoncturelles ensuite, avec les émeutes qui ont eu un caractère exceptionnel et un certain nombre d’événements qui ont accaparé le temps et le volume de travail. »
On lui demande alors ce qu’il pense avoir compris de ce territoire. « Ouh là… » lâche-t-il d’emblée avant de réfléchir plusieurs secondes, puis de se lancer :
« Déjà, est-ce que je le comprends ? On ressent des choses. Il y a encore beaucoup de choses que je ne connais pas ou ne comprends pas. J’ai donc ressenti un département industrieux, où les acteurs politiques et économiques s’engagent. Ils ont la volonté d’avancer. Ce sont des travailleurs consciencieux et tout à fait professionnels. Les élus s’engagent de façon assez rigoureuse. Pour un préfet, c’est agréable : il y a du répondant. »
On relance Patrice Latron pour savoir un peu plus ce qu’il pense de l’ambiance en Indre-et-Loire : « Il y a de très beaux projets économiques passés ou futurs, un dynamisme réel et dont j’ai le sentiment qu’il pourrait être perfectible. » Voilà qui devient intéressant. Le représentant de l’Etat détaille :
« J’ai la crainte que la métropole tourangelle se fasse rattraper ou dépasser par ses voisines comme Angers. Pourquoi ? C’est difficile à dire… Un aspect important c’est la présence étudiante. On a une grande force avec la fac de médecine mais j’ai le sentiment qu’on manque d’écoles d’ingénieurs, contrairement à la métropole angevine. Je ne pense pas qu’il faille trop se focaliser sur la rivalité historique avec Orléans mais regarder à l’ouest et prendre exemple sur ce que fait Angers. »
Néanmoins, le préfet souligne de forts atouts pour le développement du territoire, et notamment l’unanimité politique autour du développement du train dans le département via le projet de SERM (qui attend un coup de pouce du gouvernement pour réellement démarrer). Patrice Latron évoque aussi la candidature du Chinonais pour accueillir deux nouveaux réacteurs nucléaires de la génération EPR (des annonces sur le sujet pourraient avoir lieu cet été) ou les territoires d’industrie dans l’Est du département :
« Il y a une capacité à surmonter les différences politiques pour montrer une image d’unité mais je pense que les élus pourraient le faire davantage sur le développement économique pour la recherche de nouveaux investisseurs ou sur le traitement des déchets. Je sens une prise de conscience mais on a 15 ans de retard. Cela frémit mais je sens moins d’unanimité pour installer une infrastructure de gestion. »
Soulignant que sa prédécesseuse Marie Lajus avait nommé une experte chargée spécifiquement de cette question des déchets – sans réelle avancée, donc – Patrice Latron indique qu’il est prêt à signer une déclaration d’utilité publique rapidement pour concrétiser un projet… « mais il faut un emplacement ». Le dernier en date, pensé pour Parçay-Meslay, a réveillé une bronca du maire de la commune et d’un collectif d’habitants.
Au sujet de l’environnement, on entend parfois dire que le préfet d’Indre-et-Loire n’est pas toujours très sensible aux arguments des écologistes. Il s’en défend, rappelant avoir refusé un projet éolien pour préserver la population de cigognes noires du Sud-Touraine. « C’est une politique prioritaire du gouvernement, je ne vois pas comment le préfet pourrait aller contre » assène-t-il, évoquant ses signatures mensuelles pour de nouveaux projets photovoltaïques. En revanche, il s’en remet aux maires pour la question des feux d’artifice, mettant fin à l’arrêté qui définissait des zones d’interdiction :
« J’ai écouté les maires et je leurs fais confiance. Jusqu’avant mon arrivée, ils demandaient une autorisation préfectorale. Là, ils n’auront plus qu’à déclarer. C’est comme ça que ça doit se passer, et je note que l’été dernier on n’avait pas eu d’incendie. »
Des déclarations qui ouvrent la voie au retour d’un feu d’artifice au-dessus de la Loire dans l’agglomération de Tours, après plusieurs années d’absence. St-Cyr-sur-Loire le désire ardemment. Un événement qui, selon des associations, pourrait effrayer les populations de sternes qui nichent sur les îles du fleuve. C’est d’ailleurs pour les protéger que Tours a supprimé son feu d’artifice du 14 juillet depuis l’arrivée d’un maire écologiste.
Avec ces premières déclarations on cible un peu mieux le style de Patrice Latron. Autres caractéristiques : pour l’anecdote, il tape toujours debout à l’ordinateur (« parce que c’est bon pour le dos »)… et sur le plan pro, il communique beaucoup plus qu’avant sur le résultat des opérations de police ou des organismes de contrôle de l’administration, faisant par exemple paraître sur les réseaux sociaux les décisions de fermetures de commerces pour cause de mauvaise hygiène. « C’est ma volonté. Je considère qu’une des principales choses qu’attendent les Français c’est de se sentir protégés. C’est le premier rôle de l’Etat et on ne le fait pas assez savoir » estime le préfet, évoquant également les opérations « Place nette » du ministère de l’intérieur contre le trafic de drogue et l’insécurité dans les quartiers prioritaires.
S’il affiche ostensiblement un discours de fermeté, le préfet tourangeau est tout de même capable de faire preuve de souplesse. Sur la sécheresse par exemple, assurant avoir dressé très peu de contraventions pendant la période de crise estival et estimant que les contrevenants avaient « le droit à l’erreur » lorsque des infractions étaient constatées. Mais aussi sur le dossier des commerces. A Tours, fin 2023, il avait menacé une demi-douzaine d’établissements de fermeture. Il n’en a rien été : des mesures de restriction de vente d’alcool et une forte vigilance des forces de l’ordre semblent avoir suffi. Patrice Latron indique qu’il est beaucoup moins sollicité qu’avant sur des problèmes Rue Colbert ou quartier de la Rotonde à Tours.
Il reste cependant vigilant à l’approche des beaux jours : « Des fermetures de commerces, il y en aura encore. Vous pouvez en être certain ». Et d’embrayer sur le dossier des barbecues clandestins qui ont gâché le sommeil d’habitants du Sanitas l’été dernier à Tours :
« On fera une réunion sur le sujet dès le mois de mars. Le maire s’occupe de proposer des terrains qui ne soient pas sous les fenêtres des habitants pour ls organiser et moi je m’occupe de la partie contrôles et répression. On a été pris au dépourvu l’an dernier, on ne le sera pas cette année. Je ne prétends pas régler le problème mais je vais m’en occuper. Les gens ont le droit de dormir la nuit. »
Cela dit, contrairement au chiffon agité par des élus d’opposition de Tours, Patrice Latron insiste : en 2023, la délinquance a baissé sur la ville, et globalement sur toute la zone gérée par la police nationale. Certes, les dénonciations de violences intrafamiliales restent en nette hausse, ainsi que les atteintes aux personnes (coups et blessures) « mais il faut distinguer les dépôts de plainte des faits constatés, car il y a parfois un décalage de plusieurs années ». Ainsi, globalement, la délinquance a baissé de 12% l’an dernier dans l’agglo tourangelle. Néanmoins, elle progresse en zone gendarmerie avec en particulier un bond de 22% des cambriolages :
« On voit bien qu’on a interpellé des équipes de cambrioleurs étrangers itinérants. Ils viennent de l’extérieur, font des razzias et repartent. C’est un sujet qui me préoccupe : des enquêtes sont en cours et il y aura des interpellations. »
Néanmoins, le préfet l’assure :
« La délinquance augmente un peu mais ce n’est pas pire qu’ailleurs. Objectivement, on vient en Touraine. On court bien moins de risques que dans d’autres grandes métropoles. »
Pour tenter de juguler ces hausses, et calmer le sentiment d’insécurité, Patrice Latron espère passer à 120 voire 150 quartiers d’Indre-et-Loire équipés du dispositif « Voisins vigilants » qui permet de former la population au repérage de comportements suspects. Actuellement, 87 secteurs sont déjà dans le programme (33 pour le Lochois et le Chinonais, par exemple). « Ça ne coûte rien et ça permet aux maires de prendre part à la protection avec l’aide de quelques habitants » estime le représentant de l’Etat. Une douzaine de projets sont très avancés : 3 près d’Amboise, 4 dans le Lochois, 8 dans le Chinonais et un sur l’agglo de Tours.
On attend aussi les nouvelles brigades de gendarmerie promises par le gouvernement. Ce ne sera pas pour cette année « car on n’a pas les infrastructures pour loger les militaires » indique Patrice Latron. Une première ouverture est néanmoins envisagée en 2025, et la totalité d’ici 3 ans. Il est notamment question d’une unité spécialisée sur les délits environnementaux.
Quant à la question des gens du voyage, il semble que les choses bougent si l’on en croit Patrice Latron… à l’écoute de la demande de fermeté des maires, s’ils respectent eux-mêmes la loi. « Un certain nombre d’élus s’aperçoivent qu’ils ont intérêt à se mettre en conformité avec le schéma départemental d’accueil et que dans ce cas je signe une mise en demeure de quitter les lieux sous 48h. » Une aire doit voir le jour dès cette année en Amboisie, une autre est attendue dans le Lochois.
Patrice Latron est également revenu sur la très contestée loi immigration, récemment promulguée par le chef de l’Etat. Alors que des opposants appellent différents organes de décision à ne pas l’appliquer, le préfet n’a aucun état d’âme et nous annonce avoir signé trois premiers courriers indiquant à des personnes condamnées qu’il remettait en cause leur titre de séjour (elles ont 15 jours pour contester la décision). Il s’en explique avec un discours cash :
« Il y a des gens violents, qui cambriolent ou trafiquent. Ils font des peines de prison et parce qu’ils sont arrivés avant 13 ans ou qu’ils avaient la charge d’une famille on ne pouvait pas les expulser. Maintenant on peut. Certains ont un carnet de chanson long comme le bras et n’ont rien à faire en France. Quand je retirerai des titres, je le ferai savoir et il y en aura le plus possible. Les services travaillent bien et me font remonter des propositions. L’objectif est de renvoyer chez elle la minorité nuisible. »
En parallèle, Patrice Latron indique qu’il y aura des régularisations de travailleurs actuellement sans papier mais qui exercent dans des métiers en tension. Il estime qu’il y a une petite centaine de personnes éligibles dans le département.
Un degré en plus : la crise des agriculteurs
« Je comprends et partage la souffrance des agriculteurs » résume Patrice Latron qui a été deux fois sur des manifestations et a organisé une réunion de 3h30 en préfecture fin janvier pour voir si des aménagements locaux étaient possibles. « Quand je vois les normes qu’on leur demande c’est épouvantable » reconnait-il. Ainsi, 4 arrêtés préfectoraux ne seront pas reconduits cette année. Et d’autres réunions de travail sont prévues pour accélérer les processus de simplification.