Communication de la ville de Tours : entre course au like et contournement des médias traditionnels

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S’il y a bien un domaine dans lequel Tours s’illustre face à Orléans c’est celui de l’influence sur les réseaux sociaux. Infos pratiques, idées sorties, reportages ou blagues sur sa ville-soeur : la commune est hyperactive en ligne, au point d’être devenue la municipalité française la plus performante sur Instagram (elle devance Bordeaux, Aix-en-Provence et Lyon). Une réussite incontestable au service du projet politique d’Emmanuel Denis, mais une stratégie qui cherche aussi à s’affranchir des médias traditionnels. Pour atténuer l’effet des critiques ? 

M6, Ouest France, France Bleu, la NR… En ce mois de janvier 2024, la ville de Tours s’est offert un joli buzz sur les réseaux sociaux. Pour rechercher un stagiaire au service communication, elle a publié une vidéo mettant en scène une chaise vide qui s’ennuie dans les bureaux et qui a hâte qu’on vienne l’occuper le temps de quelques mois. Résultat : 2 millions de vues en quelques jours et un plébiscite de la part des pros de la communication. 

Si beaucoup ont découvert le ton décalé de la municipalité à cette occasion, cela fait déjà plusieurs années que ses différents comptes partagent ce type de publications. Et ce avant même l’arrivée d’Emmanuel Denis dans le bureau de maire, lorsque le poste de community manager était dévolu à Alban Cossard.

Son successeur Sylvain Gibey perpétue la ligne éditoriale avec succès : la ville vient de dépasser les 70 000 followers sur Instagram et compte plus de 125 000 likes sur TikTok. Au risque parfois d’en faire un peu trop : la chaise du service com’ est ainsi devenue un véritable personnage avec 4 publications en une semaine, en plus de la vidéo originale. Et la dernière en date laisse imaginer que le feuilleton n’est pas fini…

A côté de ça, les différents comptes en ligne de la ville de Tours publient des infos pratiques, des images d’archives, des idées de sorties ou d’autres offres d’emploi, plus traditionnelles.

Facebook, Instagram, TikTok, Linkedin… A chacun ses posts, même si certains d’entre eux sont similaires. Souvent, les commentaires y sont nombreux. Et le CM passe pas mal de temps à y répondre, avec un ton taquin qui a parfois un peu de mal à passer. L’objectif est limpide : toucher une population qui, jusqu’ici, ne s’informait pas directement sur les actions de la commune. 

Les réseaux sociaux de la ville de Tours forment ainsi une annexe du magazine municipal mensuel (qui finit sûrement fréquemment dans la poubelle sans avoir été ouvert). C’est aussi un baromètre de l’humeur citoyenne sur certains sujets d’actualité, même si l’on sait que les remarques négatives ont tendance à être sur-représentées (on s’exprime plus facilement pour râler que pour féliciter). 

N’y a-t-il pas, dès lors, un risque d’effet tunnel ? En se focalisant sur une communication directe, la ville de Tours est clairement dans l’ère du temps. Elle s’inscrit dans une tendance générale de fond de beaucoup de collectivités. On peut voir le verre à moitié plein avec des nouveaux canaux permettant aux citoyens et habitants de s’informer. On peut y voir le verre à moitié vide avec le risque d’une communication forcément orientée positivement dans un contexte de sursaturation de l’information ce qui ne permet pas forcément au citoyen-lecteur-viewer d’avoir le recul sur les posts qui lui sont partagés… d’autant plus quand ils sont à la frontière entre la nécessaire communication institutionnelle et la publicité politique. 

A l’heure de ce branding de marque, le rôle des médias professionnels (presse écrite, radio, tv ou web) devient d’autant plus prépondérant… d’autant plus quand cette communication est issue d’une collectivité et donc d’un pouvoir politique. Le travail journalistique, avec son obligation de contextualisation et son essentiel esprit critique, permet de prendre du recul sur l’action publique.

Problème le réflexe des collectivités c’est de plus en plus de faire passer son message en priorité via une politique de communication directe « first ». En particulier à Tours. Ces derniers mois, cette tendance s’est accentuée et non pas que par le prisme des réseaux sociaux.

Par exemple, en ce début janvier 2024, la Municipalité de Tours a publié un bilan de mi-mandat de son action via un magazine municipal dédié distribué directement auprès des habitants. Les médias n’auront pas eu le droit à la primeur pour analyser son contenu, ni de point presse pour poser d’éventuelles questions comme c’est traditionnellement le cas. Le service presse nous a bien proposé des interviews en tête à tête… mais après coup, donc avec un intérêt moindre.

Pour la ville de Tours, l’avantage est de promouvoir son action directement, en amoindrissant l’impact de la critique, hormis la publication des traditionnelles tribunes légales obligatoires pour les groupes d’opposition (dans le magazine en question c’est seulement une demi-page par groupe sur un total de 84 pages).

Autre exemple : de plus en plus régulièrement les différents comptes réseaux sociaux relaient des actions publiques avant même les points presse ou avant que les journalistes n’aient accès aux informations. Là encore, cela minimise de fait le rôle des médias et l’impact du travail des journalistes. L’information ayant déjà été relatée en amont. Par exemple, début janvier, Emmanuel Denis a partagé plusieurs visuels de projets urbains à venir et notre demande d’informations complémentaires est restée lettre morte. Nous sommes également toujours en attente d’éléments sur deux annonces réalisées lors des voeux du maire le 24 janvier au Grand Théâtre (cérémonie dont la forme dynamique a d’ailleurs été assez unanimement saluée). 

Le jeu de séduction-répulsion historique entre médias et pouvoirs publics est donc en train de connaître une (r)évolution et chacun doit apprendre à composer avec ces nouvelles tendances. A composer avec, dirons nous, en faisant attention de ne pas tomber dans leurs travers. 

Exemple concret : début janvier le facebook de la ville de Tours révèle un bug de l’appli de stationnement Flowbird et suggère qu’il est possible de se faire rembourser un trop-perçu. Nous relayons l’information sur Info Tours… mais celle-ci s’avère fausse : l’entreprise refuse de dédommager les clients se disant lésés, qui nous contactent pour se plaindre. La ville de Tours finira par s’excuser de sa communication hâtive une semaine plus tard; après deux relances. Une vérification plus stricte auprès de la société et du service presse auraient peut-être pu éviter ce malentendu mais la course à la primeur de la nouvelle a primé. Une précipitation malencontreuse. 

Le marketing territorial : réelle avancée ou gadget 

Mais alors, le succès URL (en ligne) a-t-il un réel impact IRL (dans la vraie vie) ? A voir l’assistance présente lors des réunions publiques, le doute reste permis. Elle reste nombreuse mais ne rajeunit pas et on retrouve souvent les mêmes habitués (membres d’associations, militants politiques…) De plus, l’opposition a formulé de nombreuses critiques sur le manque de concertations avec les habitants. Elles sont parfois de mauvaise foi, mais traduisent tout de même un certain malaise. 

On peut encore s’interroger sur d’autres aspects… Entre 2022 et 2023, la communication intensive de la ville n’a pas permis de booster le nombre de participations au scrutin du budget participatif, pourtant vanté comme un outil primordial pour impliquer les citoyens dans la vie locale. Et puis, pas sûr que la fibre influenceuse de Tours attire plus de monde dans les isoloirs lors des prochaines élections : la tendance à l’abstentionnisme étant en hausse pour tous les scrutins, même les élections municipales traditionnellement plus mobilisatrices. 

On est donc plus dans une stratégie d’image qu’autre chose. C’est loin d’être inutile, car cela permet de faire passer des informations auprès de personnes qui se sont détournées des médias traditionnels (eux-mêmes très critiqués). Mais c’est aussi, surtout ?, un moyen de se faire connaître en dehors des frontières communales. Le sacro-saint désir de rayonnement des pouvoirs publics, pour attirer à elles entreprises ou touristes. Mais, là-encore, l’impact réel reste difficile à quantifier. 

Mathieu Giua et Olivier Collet

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