Aéroport de Tours : de nouveaux objectifs (trop ?) ambitieux

Facebook
Twitter
Email

Attendue depuis le mois de juillet, l’information est tombée vendredi 15 septembre : le groupe Edeis conserve la gestion de l’aéroport de Tours. A la barre depuis 2017, il s’offre même un contrat solide puisque le syndicat de gestion de la plateforme lui confie les clés jusqu’en 2035. En contrepartie, les objectifs sont ambitieux. Un peu trop, peut-être.

En 2020, la crise du coronavirus a mis le secteur aérien quasiment à plat. Pendant des mois, les vols se sont faits très rares partout dans le monde et de nombreux avions ont été immobilisés. On disait alors qu’il faudrait bien 5 ans pour que les chiffres remontent à leurs niveaux de 2019. En dépit des débats sur l’impact de l’aviation dans le changement climatique, et une montée grandissante d’une « honte de l’avion » chez une partie de la population qui voyage, ces prévisions étaient trop pessimistes. Dès cette année 2023, certaines compagnies affichent des bilans insolents. Ainsi, Ryanair a transporté 18,9 millions de passagers au mois d’août. Un record absolu pour la compagnie low cost.

Une petite partie de ces personnes ont emprunté les avions de la firme irlandaise au départ ou en direction de l’aéroport de Tours. Ryanair y reste la seule entreprise à desservir la ville de manière régulière, le reste des vols se partageant entre l’aviation d’affaire, les services médicaux (greffes d’organes), l’aviation de loisirs ou encore l’activité de l’école de pilotage Mermoz Academy.

L’aéroport de Tours est donc fortement utilisé. Tous les jours il s’y passe quelque chose et c’est notamment pratique pour accueillir facilement l’équipe d’Irlande de rugby qui a choisi la Touraine comme camp de base pour la phase de poules de la Coupe du Monde. Elle est ainsi arrivée jeudi 31 août à bord d’un vol spécial affrété auprès de la compagnie nationale Aer Lingus. L’Airbus A320 s’est posé en milieu d’après-midi, scruté par quelques fans du XV du trèfle venus accueillir les sportifs. Et tout de suite on entend la fierté de quelques commentateurs locaux qui aiment à penser que sans l’aéroport, la première nation au classement mondial aurait été ailleurs (pourtant d’autres équipes de premier rang sont dans des villes pas forcément équipées d’une piste comme celle de Tours).

L’accueil de l’équipe d’Irlande répond néanmoins à un objectif majeur de l’aéroport de Tours : faire venir du monde à Tours. Aujourd’hui, plus de 60% des usagers de la plateforme sont des Tourangeaux ou des Français qui s’en servent pour partir en vacances ou en voyage d’affaire. Parce que les prix sont moins chers qu’ailleurs/que ça leur évite de faire un trajet jusqu’à Paris ou Nantes/qu’ils ne veulent pas prendre le train jusqu’à Marseille (plusieurs choix possibles).

En gros les lignes régulières vers Londres, Porto ou Marrakech offrent un service de transport subventionné à la population locale. Alors que les pouvoirs publics aimeraient plutôt que l’argent serve à faire venir des étrangers/touristes/voyageurs d’affaire débarquant à l’aéroport dans le but de visiter la Touraine/y dépenser de l’argent. Comment faire pour y arriver ? C’est toute la mission confiée à Edeis d’ici 2035. Présent à Tours depuis 2017, la société a obtenu un renouvellement de son contrat pour 12 ans supplémentaires. Le syndicat mixte qui regroupe Tours Métropole, le Conseil Départemental et le Conseil Régional a renouvelé son bail après compétition avec la société Sealair qui gère déjà d’autres plateformes du Grand Ouest.

Ce prolongement ne se fait pas sans conditions. D’ici 2035, Edeis a pour objectif de faire passer la part de passagers entrants à 80%. Le groupe doit aussi agrandir l’aérogare et développer de nouvelles lignes (on parle de Nice, Toulon, l’Espagne, la Suisse, l’Allemagne…) tout en acceptant une baisse progressive des subventions publiques, même si elles resteront élevées (17,1 millions d’euros annoncés sur les 12 ans d’exploitation, soit 1,4 millions d’euros en moyenne par an, contre près de 3 millions d’euros par an avec le contrat précédent). Et à la fin du contrat, l’idée c’est qu’on compte 326 000 passagers par an à l’aéroport de Tours contre 190 000 en 2022.

Objectivement, on se demande comment c’est possible. On l’a dit plus haut, le secteur de l’aviation connait un retour d’affection inespéré, d’autant plus en période de crise économique. Mais à part Ryanair aucune compagnie ne s’intéresse sérieusement à Tours. On le sait parce que malgré de nombreuses promesses aucun nouveau contrat n’a été annoncé ces dix dernières années, hormis des vols exceptionnels pour des séjours organisés (les derniers en date vers les Balkans). Pour atteindre 326 000 passagers, il faudrait au moins passer de 5 à 10 lignes régulières ayant entre 2 et 4 vols par semaine. Et seules les compagnies low cost pourraient s’intéresser à une plateforme comme Tours. Elles sont nombreuses mais beaucoup d’entre elles privilégient les gros hubs urbains aux villes moyennes (Easyjet, Vueling et Transavia en particulier). Seules Volotea et Ryanair parient vraiment sur des destinations comme Tours, Poitiers, Lourdes ou Carcassonne… souvent grâce à des appels d’airs financiers.

On est donc curieux de voir quelle stratégie Edeis va mettre en œuvre pour remplir cette part du contrat qu’il n’a pas réussie à développer en 6 ans de présence tourangelle. En tout cas le maire de Tours n’y croit pas : « On ne va pas sortir de Ryanair alors que c’était l’objectif » regrette Emmanuel Denis. Sa seule satisfaction réside dans la promesse d’aménagement de 19ha de panneaux solaires sur les terrains libérés par l’armée avec le départ de l’école de chasse vers Cognac. Son parti EELV a aussi tiré à boulets verts sur la décision : « Notre territoire s’obstine à dilapider l’argent public » explique sa section tourangelle.

Il est vrai qu’avec ce contrat, le maintien d’un aéroport commercial avec objectif de croissance a été préféré à un modèle d’aéroport sobre, centré sur les activités médicales, économiques et de loisirs. La décision obligera notamment à entretenir à grands frais une piste capable d’accueillir les Boeing 737 de Ryanair. C’est un choix cohérent avec les ambitions du président du SAMADAIT Bruno Fenet, il n’y a aucune surprise. Mais sincèrement on ne s’attendait pas à un projet de développement aussi ambitieux. Est-il tenable ? Il faudra attendre pour avoir une réponse incontestable mais en bon connaisseur du secteur, le pari nous semble très risqué.

Facebook
Twitter
Email

La météo présentée par

TOURS Météo

Inscription à la newsletter