Com sur Saint-Martin : l’histoire, la laïcité et la sémantique enterrées

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Un slogan de com c’est bien, un slogan de com qui a du sens c’est mieux. Avec sa grande campagne de quête pour que Saint-Martin retrouve sa place sur la coupole de la basilique, non seulement la Ville de Tours fait mumuse avec les limites de la Loi de 1905, mais en plus elle publie au grand jour ses faiblesses en histoire tout en étant plus qu’approximative avec le sens, vous savez ce machin qui devient secondaire quand on veut à tout prix jouer sur les mots #lolcoiffeurs

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«Venez découvrir qui a inventé le partage»

«Ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont inventé le partage»

  1. Laïcité R.I.P

Bon d’accord, même si je bouffe du curé, je dois avouer que la silhouette de Tours sans sa statue sur la Basilique a beaucoup moins de gueule, faut être honnête. Malgré tout, voir la Mairie porter à bout de bras (et de main d’œuvre payée par des contribuables pas forcément chrétiens) la promo pour récolter de l’argent pour ledit Saint-Martin me hérisse un tantinet les poils (et Dieu sait que j’en ai, justement).

Installer la bête dans la cour de l’Hôtel de Ville avec un fléchage poussif incitant à sortir son carnet de chèque me fait un peu mal à la République, d’autant plus que si demain on proposait d’installer une signalétique 50 % fun – 50 % mystère (du style «C’est pas les réseaux sociaux qui ont inventé la misère humaine» à proximité de chaque mendiant assis en ville ou «Venez découvrir qui a inventé la pauvreté récurrente à l’époque formidable du CAC40» à proximité de chaque agence bancaire), je ne suis pas sûr que la Police Municipale nous laisserait faire.

Bref, trêve de gauchisme primaire (c’est bien connu, dans notre belle époque, tout coup de gueule humaniste rempli de bons sens est perçu comme du gauchisme primaire), disons pour finir qu’à la lecture des slogans, on a l’impression que la religion et toute sa littérature sont tout à fait universels et que des faits historiques avérés et des légendes de saints, c’est, pour la municipalité, kif kif bourricot. Hein.

  1. Histoire R.I.P.

Pas besoin d’avoir pondu une thèse de 400 pages sur l’Antiquité Tardive pour comprendre assez vite qu’il paraît peu probable que Saint-Martin a réellement inventé le partage un soir de l’hiver 338 à Amiens (enfin à peu près aussi crédible qu’il ait rencontré le Diable en 356, c’est vous dire). On peut en rigoler ou trouver ça carrément dégueulasse pour toutes celles et tous ceux qui ont eu, dans les périodes précédentes, l’idée de donner des pièces, du pain ou des habits aux nécessiteux qu’ils croisaient dans la rue. Ou d’inviter à bouffer à sa table son voisin qui n’a rien avalé depuis trois jours. Non, sérieux : sans Martin, jamais aucun être humain n’aurait pensé à faire ça. Promis, juré, craché si on ment on va en Enfer.

Certains tribuns romains au IIe siècle avant Jésus-Christ (oui, oui, encore lui) ont par exemple voté des lois afin de redistribuer des terres aux plus pauvres et de baisser le prix du blé. Même si on partait de loin dans le mépris des plus faibles par l’élite, dans le genre partage, ça a quand même une autre de gueule que de couper un seul manteau en deux pour le filer à un seul pauvre, une seule fois dans sa vie. Bon d’accord, Saint-Martin a continué après à partager sa solde, le gars, mais de là à l’ériger en héros international et en précurseur incontestable, il faudrait voir à arrêter de fumer la moquette.

Autre exemple, de nombreux évêques, pour rester dans la thématique religieuse (j’adore), ont beaucoup fait pour «partager» avec les pauvres et n’ont pas attendu ledit Saint-Martin. D’ailleurs on frôle le blasphème dans cette histoire car c’est d’abord Jésus qui a inventé le partage (Luc 22/14-23), faut pas déconner non plus.

Enfin dernier point, sans vouloir être négatif ni désagréable, puisqu’il a «inventé» le partage ce brave type et qu’il faut aujourd’hui payer pour l’en remercier (toujours d’après ces subtiles slogans), j’aimerais juste qu’on me dise, quand on voit la gueule de notre système économique basé sur l’actionnariat à outrance et qu’environ 5% de la population se gave pendant que le reste peut aller se faire foutre, où il se trouve donc ce putain de partage ? Il est mort avec et l’a emporté dans sa tombe Saint-Martin, ou bien ?

  1. Sémantique R.I.P.

Non, chers communicants pressés et forcément plus cultivés que la moyenne, ceci n’est pas un gros mot ! Et il y a aussi un truc qui s’appelle les «fausses bonnes idées», un truc que seuls les gens vraiment intelligents savent déceler et abandonner en route.

Comparer le «partage» dans son acception liée aux réseaux sociaux (qui, rappelons-le, consiste à cliquer sous un post/un tweet qu’on aime tellement qu’on ne veut pas se limiter à le liker), et celle du «partage» qui consiste à arrêter un peu de regarder ailleurs quand on est confrontés aux différents problèmes de son prochain, c’est… comment dire… juste très con. Ou très «com», mais entre les deux je m’y perds assez souvent, excusez-moi, y’a qu’une patte de différence après tout.

«Oui mais c’est parce que tu comprends, il va y avoir plein de com sur les réseaux sociaux, donc le lien il est là.» Ouais super, putain, waow, trop bien le lien, c’est un truc de ouf, je suis vraiment trop con, j’avais pas compris.

Les réseaux sociaux n’ont donc pas plus «inventé le partage» qu’ils ont inventé le grille-pain, la tétrapiloctémie ou la Manif pour tous, donc ce slogan génial repose sur un postulat inepte, c’est-à-dire qu’avant même d’être naze, il ne tient même pas debout, absolument personne n’ayant proclamé à grande échelle ces dernières années que les réseaux sociaux avaient «inventé le partage» ; à part sans doute ces communicants qui l’ont asséné avec force lors de leur dernier repas de famille devant une Tante Janine émerveillée par son brillant neveu. Mais là je m’égare.

Bref, après le fiasco du logo, voici venu le temps du fiasco des slogans. La racine «log» (raison, rationalité, logique, parole, pensée…) ne semble décidément pas sourire à la Ville de Tours.

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