Retrouvez le dossier principal du magazine papier 37° n°9 printemps-été 2023, consacré au tourisme en Touraine.
En 2022, la fréquentation de la Loire à Vélo a bondi de 14% par rapport à l’année 2021 et de 22% comparé à 2019, avant l’épisode Covid. A Amboise, Le Clos Lucé ne cesse d’impressionner avec ses expositions événementielles. Pendant les fêtes de fin d’année, la fréquentation de l’événement Noël au Pays des Châteaux a progressé de 10% pour sa 6e édition. Cet été, la beauté de la Scénoféérie de Semblançay, la richesse de la programmation des guinguettes et la fraîcheur des Grottes Pétrifiantes de Savonnières accueilleront – à coup sûr – un riche panel de touristes venant de France, d’Europe ou de plus loin encore.
L’Indre-et-Loire est un département touristique dont l’attrait ne se dément pas, voire qui s’amplifie grâce à ses châteaux, ses vignobles, sa gastronomie, ses campings, la possibilité de nombreuses sorties nature… Le tout à des prix encore raisonnables, et sans bétonnisation à outrance. C’est toute une économie qui en vit, et on s’en est bien rendu compte quand on a observé les nombreuses entreprises en difficulté pendant la pandémie. Un secteur partagé entre des mastodontes (le Château de Chenonceau, les grandes chaînes d’hôtels comme Accor…) mais aussi une multitude d’acteurs qui forment une chaîne de compétences.
Nous avons voulu aller à la rencontre de celles et ceux se trouvant un peu en dehors des grands circuits ou qui sont indispensables dans la réussite des séjours en Touraine. Qui sont les guides qui nous distillent leurs connaissances et les tour-opérateurs qui vendent notre destination ? Comment ça marche un hôtel ? Et un château en dehors des sentiers battus ? Voici les questions que nous posons et auxquelles vous découvrirez les réponses dans ce dossier…
On les voit avec leurs groupes dans les rues de Tours, les salles du château d’Azay-le-Rideau ou les espaces naturels du département : les guides touristiques arpentent le territoire avec passion pour en partager l’histoire et les petits secrets. Un métier aux qualités humaines indispensables.
Céline Chaigneau le sait : quand elle détaille l’histoire du centre historique de Tours, le groupe qui la suit ne va garder durablement en tête que quelques bribes de son exposé, « mais chaque auditeur retiendra une partie différente, donc tout le discours doit être parfait. » La Tourangelle est guide professionnelle depuis une vingtaine d’années. « Pas issue d’une famille happée par la culture de visite des musées ou des châteaux », elle a découvert le métier à 18 ans, quand elle a décroché un job d’été aux grottes pétrifiantes de Savonnières : « Je n’étais pas qualifiée du tout mais ce n’est pas grave car il suffisait d’apprendre un texte par cœur. »
L’exercice lui plait et elle le renouvelle sur trois saisons, en parallèle de ses études de langues (elle pensait alors devenir professeure d’allemand). Finalement, Céline Chaigneau intègrera l’une des premières promotions de la licence pro guide conférencier proposée en Maine-et-Loire… mais c’est notamment grâce à sa maîtrise du vocabulaire et de la grammaire germanique qu’elle obtiendra une place à l’Office du Tourisme de Tours, bien content de recruter un profil linguistique différent du classique anglais-espagnol, d’autant que les touristes venus d’Allemagne sont assez nombreux à rejoindre l’Indre-et-Loire pour leurs vacances.
Payé à la prestation, le job nécessite d’avoir la bougeotte : « Je n’ai pas de bureau, pas de local. Du coup les châteaux sont ma deuxième maison, surtout en période estivale » glisse Céline Chaigneau qui partage l’essentiel de son temps entre des visites guidées de la ville de Tours et des plus beaux monuments Renaissance du département… parfois en costume, à Azay-le-Rideau : « C’est quelque chose qui plait énormément. Il y a vraiment un scénario et un personnage que l’on incarne. Cela permet de découvrir un lieu sous un autre angle de vue, le public est détendu. On voit des personnes qui ne seraient pas venues sans ce côté expérience. » Une mission qui nécessite un certain art oratoire ainsi que de la synthèse. « A partir du moment où je commence à prendre la parole je ne suis plus tout à fait moi. J’ai une personnalité différente d’à la maison. C’est bien rodé, mais je suis comme une actrice qui prend toujours plaisir à réciter son texte. Au début on a tendance à vouloir tout dire mais au fil du temps on acquiert une personnalité et on n’a plus peur d’oublier telle ou telle chose. »
Compléter perpétuellement ses connaissances
Céline Chaigneau n’a pas fait d’études d’Histoire. Elle s’est donc formée sur le tard par la lecture, le suivi de conférences ou des visites spéciales organisées pour les guides par les châteaux, par exemple lors de nouvelles expositions. « La Renaissance est une période fascinante avec un foisonnement d’idées. Pour les enfants je la compare à la découverte d’un nouveau satellite aujourd’hui pour qu’ils imaginent le changement que ça peut procurer » dit-elle pour qualifier la période phare du développement de la Touraine. Mais elle se doit également de maîtriser l’art-déco ou l’art urbain, très demandés. « On sait l’exigence des gens et qu’ils peuvent revenir s’ils ont passé un bon moment. »
Investie dans une association professionnelle (ANCOVART), la Tourangelle évoque « un métier de guide qui s’est beaucoup professionnalisé » mais qui reste délicat car c’est souvent l’une des premières prestations qui saute lorsqu’il faut tailler dans un budget voyage et qu’il faut apprendre à maîtriser l’équilibre entre une période hivernale creuse et une haute saison en surbooking. Pour harmoniser son année, et se dégager des temps de repos le printemps ou l’été, Céline Chaigneau participe par exemple à des visites en visio pour des classes qui n’ont pas assez de budget pour louer un autocar jusqu’à Azay-le-Rideau, des écoles françaises de l’étranger voire des résidents d’EHPAD ou des détenus.
Pas que des visites au milieu des pierres
Et si l’on a plutôt envie d’enrichir ses connaissances sur le patrimoine naturel c’est Grégoire Paquet qu’il faut aller voir. Résident à L’Île-Bouchard, il se présente comme un écoguide. « Je savais depuis l’adolescence que je voulais travailler dans le tourisme mais j’ignorais comment » nous détaille ce natif du Grand-Pressigny qui a commencé sa carrière dans le marketing, l’immobilier ou un poste de surveillant de collège à Château-Renault avant de reprendre ses études via un BTS protection de la nature, pour se reconnecter aux racines qui lui faisaient défaut. Il se bourre de connaissances « mais je gardais tout pour moi, il me manquait le partage. Je voulais remettre les plantes dans les mains des gens, leur apprendre à écouter le son des oiseaux… »
Grégoire Paquet poursuit donc avec une année de plus à Saumur, pour se spécialiser en écotourisme ce qui l’amène à encadrer ses premières activités (genre mini-camps) lors d’un stage au CPIE Touraine, une grande association naturaliste basée à Avoine. « J’ai vu vers quoi je voulais aller. L’écotourisme permet de faire passer le public d’un point A à un point B aussi bien physiquement que dans leur construction intérieure » philosophe-t-il aujourd’hui, 7 ans après la création de sa structure Val de Loire Ecotourisme. « Je travaille essentiellement à la demande en Touraine : pour des bivouacs, sur les bords de Loire à Tours pour évoquer la faune et la géologie, dans les forêts d’Amboise, Chinon ou Loches… Ce qui me prend le plus de temps c’est le repérage. Suivre un sentier de grande randonnée ne m’intéresse pas. Tout part du terrain : c’est lui qui me donne la thématique et le parcours. »
Également des séjours à l’étranger
La clientèle vient essentiellement du département, en groupe de 4 à 12 personnes (« et l’idéal c’est 8, parce qu’on reste dans l’intimité, mais en même temps on peut avoir une ouverture »). « Leur motivation c’est de sortir et d’avoir du contenu au-delà d’une balade. Certaines personnes deviennent des amis, reviennent faire des formations… Si je revois des gens un ou deux ans après qui me disent s’arrêter pour voir les empreintes alors qu’ils ne le faisaient pas avant c’est gagné » argumente Grégoire Paquet qui propose en parallèle des séjours à l’étranger. « Au départ mon projet était de ne faire que du local mais plusieurs personnes que j’accompagnais mais demandaient pour des voyages. »
Malgré le gros dilemme du trajet en avion polluant (« j’oscille entre mes convictions et la réalité qui fait que les gens reviennent forcément changés »), l’écoguide a ajouté ce type de prestations à son book. « Il n’y a rien de tel que de se faire accueillir par une famille ouzbèke dans la montagne où les gens nous reçoivent comme si l’on était une cour royale en déplacement » souligne-t-il notamment. De 10 jours à trois semaines, les séjours se font exclusivement dans de petits hébergements « où notre venue à un impact économique énorme » et avec des partenaires engagés, comme une association qui crée une barrière pour éviter l’ensablement au sud de la mer d’Aral ou des écoles du Vietnam. Le Cambodge, Madagascar, le Laos ou le Népal devraient s’ajouter au catalogue en 2024, alors que les demandes repartent à la hausse après de fortes difficultés pour maintenir l’entreprise pendant toute la période Covid. « Les gens me mettent entre les mains un projet de vie. J’ai une responsabilité émotionnelle de ne pas les décevoir » conclut le prestataire.
Un degré en plus : Nicole, greeter : « Le maître-mot c’est la convivialité »
En complément des visites professionnelles, l’Office du Tourisme de Tours – et quelques autres communes telles Amboise ou Rochecorbon – proposent des tours avec des bénévoles que l’on appelle greeters. « L’avantage c’est que je m’adapte aux demandes quand un guide propose un circuit prédéfini » explique Nicole, qui organise des balades en français ou anglais à Tours depuis 2012 (le mot balade est celui qu’elle emploie, pour bien se différencier des autres prestations).
« On a au minimum 2h mais certaines personnes sont tellement bien qu’on prend un pot et qu’on repart pour une heure ou deux » raconte cette ingénieure retraitée du CNRS qui habite l’agglomération tourangelle depuis presque cinq décennies. Amoureuse du jardin des Prébendes ou des sculptures en fer forgé d’Audiard rue Victor Laloux, elle a découvert le projet dans un magazine et a immédiatement rejoint l’aventure pour rythmer sa retraite : « On apprend plein de choses sur les coutumes locales, des informations banales qu’on ne trouve pas forcément dans un guide papier ou lors d’une visite touristique. »
Proposées par une petite vingtaine de personnes à Tours, les balades sont gratuites et s’organisent via une plateforme Internet. Nicole fait en sorte de ne pas dépasser 4 personnes, autre différence avec les guides pros qui ont souvent des groupes plus étendus : « Il y a des gens qui ont vécu à Tours et veulent revoir leur quartier, d’autres demandent les spécialités gastronomiques, il y a aussi des personnes qui veulent s’installer et qui cherchent à connaître les meilleurs secteurs. Le maître-mot c’est la convivialité. Le plus beau compliment qu’on puisse me faire c’est de dire que la fille est sympa et qu’il faut y revenir » glisse la Tourangelle qui assure n’avoir fait que de belles rencontres… dont certaines qui ont, ensuite, réservé aussi une prestation avec un guide-conférencier.