Une hausse des visites dans les musées de Tours : pourquoi ça marche aussi bien ?

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Nommée au moment de la crise Covid, Hélène Jagot a la charge de diriger les 4 musées de Tours (Musée des Beaux-Arts, Musée du Compagnonnage, Muséum d’Histoire Naturelle et Château de Tours). Cela représente la gestion de 90 équivalents temps plein et au total une centaine de personnes, mais aussi l’organisation de plusieurs dizaines d’expositions annuelles ou encore la surveillance de près de 20 000 œuvres rien que pour le Musée des Beaux-Arts. Une tâche prenante mais passionnante et couronnée de succès puisque la fréquentation progresse globalement. Cela méritait bien une interview long format pour une personnalité très rare dans les médias.

Le bureau d’Hélène Jagot est situé au premier étage du Musée des Beaux-Arts de Tours et parsemé d’œuvres. La directrice des lieux a-t-elle fait une sélection dans les archives pour assurer la décoration de son espace de travail ? Pas du tout. Elle nous confie que les personnels de l’établissement viennent de temps à autre décrocher l’un des tableaux et qu’elle réclame alors leur remplacement parce qu’il y a « un clou vide » sur le mur. Arrivée de Vendée il y a 4 ans, la responsable des musées de la ville est aujourd’hui bien installée dans son poste et à la tête ‘une machine qui roule relativement bien : 183 000 entrées en 2023 soit une hausse de 6% en un an.

« Je connaissais les musées de Tours avant d’y venir, j’étais venue régulièrement voir des expositions, j’avais une appétence pour les collections » commente Hélène Jagot, discrète mais à l’aise dans son costume avec une volonté ferme d’accentuer la bonne dynamique des institutions qu’elle coordonne : « Il y a un gros travail à faire pour la modernisation des équipements sur le plan administratif et sur l’approche des publics parce que le monde a changé » relate-t-elle. Parmi les évolutions : une baisse de la fréquentation des personnes âgées – plus réticentes à sortir depuis la crise Covid – mais une progression du public jeune, notamment les moins de 26 ans attirés par la gratuité mise en place par la municipalité sous l’impulsion de la majorité écologiste d’Emmanuel Denis.

« Pour certains, les musées deviennent un lieu de promenade » commente ainsi Hélène Jagot. C’est également un prolongement de l’école avec quasiment 20 000 entrées d’enfants, ados ou étudiants en 2023. Une sur neuf. Rien qu’au Musée des Beaux-Arts, les visites des scolaires et étudiants représentent 13 000 visites (sur un total de 63 00). Plus globalement, le public tourangeau est majoritaire aux Beaux-Arts avec 39 000 entrées l’an dernier, et 8 000 pour les touristes étrangers (pour qui des commentaires en anglais, allemand ou espagnol sont désormais disponibles via l’application mobile We Visite, qui sera prochainement étendue aux autres musées de la ville).

Le grand succès auprès de la communauté éducative (jusqu’à la fac, l’IUT ou des BTS menant des projets tuteurés) entraîne quelques contraintes. « Parfois il faut qu’on fasse attention à ne pas changer trop vite nos collections si des classes en ont besoin pour un cycle de visites » explique Hélène Jabot au cours d’une déambulation dans le Musée des Beaux-Arts. « C’est toujours intéressant de pouvoir transmettre nos métiers et les enjeux de société liés aux musées » poursuit-elle, ravie de voir des enfants revenir avec leurs familles plus tard pour leur montrer une œuvre sur laquelle ils ont flashé. Certains jeunes témoignent également auprès du personnel de leurs bons souvenirs de sortie scolaire, justifiant ainsi leur retour entre les murs.

Pour diversifier les publics, les musées de Tours multiplient également les événements (conférences, spectacles, visites guidées spécifiques). Le succès semble au rendez-vous avec plus de 2 500 entrées au Musée des Beaux-Arts en 2023, soit environ 5% du total. « Les visites en petit groupe de 15 personnes de nos souterrains sont complètes 2 à 3 mois à l’avance » note la directrice. « On a un public attentif à ces propositions comme pour les visites ‘Girl power’ menées par notre conservatrice Jessica Degain qui font écho à des événements nationaux et se remplissent vite » détaille Hélène Jagot. Une satisfaction pour une institution au budget communication très limité. « L’été, on se fait bouffer par les châteaux. On ne peut pas rivaliser » retient-elle.

Pourtant, en plus du succès du Musée des Beaux-Arts (+14% en 2023), la ville de Tours n’a pas à rougir de la fréquentation de ses autres établissements. Le Musée du Compagnonnage ayant récemment inauguré sa nouvelle entrée face à la station tram Porte de Loire dispose désormais d’une vitrine qui pourrait lui permettre de redépasser les 60 000 entrées. Un cap atteignable également parce qu’il s’agit d’un établissement unique en son genre à l’échelle française, donc en mesure d’attirer le public extérieur à la ville de Tours, au département et à la région :

« On a vraiment un public qui vient spécifiquement pour ce contenu. A son ouverture, notre boutique a même été dévalisée. »

Le site bénéficiera prochainement de la réouverture de sa salle pédagogique, condamnée depuis son remplacement par la boutique provisoire.

A côté, le Château de Tours peine un peu avec ses expos photo ou peinture – notamment pour attirer les étrangers – mais le Muséum d’Histoire Naturelle est, lui, quasi à saturation grâce à des expositions populaires comme Les As de la Jungle « où on a eu jusqu’à 200m de queue » rappelle Hélène Jagot. Le tout avec une com’ à minima.

« Avec davantage de communication on pourrait avoir une fréquentation beaucoup plus importante au Musée des Beaux-Arts » professe sa directrice. Problème : au-delà du coût des campagnes, la ville de Tours n’a pas la compétence tourisme qui est dévolue à la Métropole, au Département ou à la Région. Ce qui prive au passage l’établissement de rentrées d’argent qui pourraient lui être bénéfiques pour des travaux de rénovation ou de mise en accessibilité. Jugez plutôt : actuellement, certaines statues ne peuvent pas être montrées… à cause de sols pas assez solides pour supporter leur poids. Mais les chantiers nécessaires sont extrêmement onéreux et contraints à cause de la réglementation sur les monuments historiques. Clairement, la directrice ne les envisage pas avant de longues, longues années.

En attendant, les efforts se concentrent sur l’accueil de publics jusqu’ici assez éloignés des musées. Un travail est notamment engagé avec les associations Cultures du Cœur ou ATD Quart-Monde afin de faire venir leurs bénéficiaires auprès des œuvres. La médiation va également être améliorée. C’est déjà le cas avec la création d’un 2e poste dédié au Muséum d’Histoire Naturelle. Il y a un projet similaire au Château de Tours. Et pour le Musée des Beaux-Arts, des textes génériques vont prochainement être accrochés à l’entrée des salles, en plus des commentaires de tableaux, meubles ou sculptures : « Il faut donner des clés de lecture, du contexte. Par exemple savoir si l’on se trouve dans une salle dédiée à la peinture italienne, ou à une époque en particulier » explicite Hélène Jagot.

Ce travail passe également par l’éditorialisation. Le Musée des Beaux-Arts cherche par exemple à renforcer sa collection d’œuvres clairement identifiées comme provenant d’artistes féminines (aujourd’hui à peine 2 ou 3%, même si on sait que des femmes ont travaillé sur des œuvres inscrites comme réalisées par un homme ou un atelier). « On essaie d’acheter des pièces pour compléter habilement notre fonds » commente la directrice qui traque en particulier les productions de la Tourangelle Elisabeth Sonrel (« qui marchent très bien » et peuvent dépasser les 50 000€).

En attendant, l’institution a récemment fait l’actualité avec l’achat de L’Archange Gabriel de l’Italien Vivarini grâce à un legs, au soutien de la ville, à du mécénat et à une souscription populaire couronnée de succès en 2023. Il complète ainsi une série de possessions déjà entamée par le passé. Une aventure qui réjouit Hélène Jagot :

« Je n’aurais pas forcément pensé qu’on réussirait à fédérer autour d’une peinture du XVe siècle issue de l’art italien primitif méconnu du public. L’accès à cet art est plus difficile que sur Claude Monet ou Eugène Delacroix. Cela permet de faire vivre notre collection. »

Sur le millier d’œuvres présentées en simultané au Musée des Beaux-Arts, plusieurs dizaines évoluent régulièrement pour dynamiser le parcours de visite (dont le cheminement – complexe – est d’ailleurs soumis à une étude en vue de son amélioration). Il faut dire que les réserves de l’établissement sont composées de pas moins de 18 000 peintures, sculptures, objets, dessins ou tissus. Une vingtaine de possessions sont restaurées chaque année, un travail d’ailleurs accentué sous la direction d’Hélène Jagot (notamment en vue d’une prochaine exposition sur les portraits programmée fin 2024.

En parallèle, la patronne des musées de Tours s’acharne à préparer « le musée de demain » avec une intensification des présentations de créations plus récentes (les plus contemporaines qu’il détient remontent aux années 1980) : « Pour nous, Olivier Debré c’est déjà du passé » justifie la responsable qui souhaite au maximum « faire résonner le présent et le passé » lors des visites. « Cela permet de renouveler l’intérêt du public » complète-t-elle à l’heure de présenter la dernière exposition du Musée des Beaux-Arts : « Le Sceptre et la Quenouille », proposée dès ce vendredi 8 mars, et justement axée sur la place des femmes dans l’art.

Pour cet événement à découvrir jusqu’au 17 juin, l’institution a fait avec ses collections et les prêts de 34 autres partenaires dont le Louvre ou la Bibliothèque Nationale de France. « C’est notre plus grosse exposition depuis celle que nous avions faite autour de Martin de Tours. C’est un peu nouveau car c’est plus axé sur la société que strictement l’histoire de l’art » indique Hélène Jagot. On découvrira le rôle social des femmes et de la condition féminine à l’heure du Moyen-Âge et de la Renaissance. Une exposition « qui se veut grand public et permet de mieux comprendre pourquoi on en est là aujourd’hui. On voit vraiment que le changement des mentalités est extrêmement long. » Un discours qui résonne évidemment dans le contexte de l’actualité puisque le début de l’exposition coïncide – volontairement – avec la Journée Mondiale des Droits des Femmes.

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