Tours est une ville de musique. On connait les salles de concerts ou les écoles mais elle compte aussi de nombreux studios. La plupart proposent des services très variés qui dépassent largement l’enregistrement. Vidéo, sonothérapie, répétitions, ateliers… Une diversification souvent nécessaire financièrement et parfois exacerbée par l’épidémie de covid.
Lunettes de soleil et cheveux gominés, les Bad Chili and The Crabs font résonner avec force leur rock garage. On aurait presque oublié la sensation des accords de guitares dont les vibrations soulèvent le thorax. Aucun public dans la salle, comme on peut l’imaginer, mais des caméras, celles d’Anthony. Il est gérant de Phoenix Event, une salle de résidence et boutique à Saint-Pierre-des-Corps. Les caméras qu’il manipule sont reliées au Stud Record, un studio d’enregistrement qui se trouve juste à côté. On y entre par une petite porte dérobée à l’arrière de la salle.
« Je ne pense pas qu’on aurait mis ces lives en place s’il n’y avait pas eu le covid »
Fred Vialet, Stud Record
Fred Vialet y siège derrière son imposante table de mixage. Il est ingénieur du son depuis une trentaine d’années, surtout dans le spectacle vivant puis, depuis 2018, avec le Stud Record. Alors qu’il suit le live en direct via une télévision, il est concentré sur les boutons et machines périphériques situées tout autour de lui. « Je ne pense pas qu’on aurait mis ces lives en place s’il n’y avait pas eu le covid », confie-t-il. Les vidéos qu’il réalise avec l’équipe de « Phoenix » sont diffusées sur leurs chaînes facebook. Depuis quelques mois les groupes se succèdent : la chanteuse de pop éthérée Tïlo, le groupe de rock et « chanson popu » Viok Cirkus… « C’est pour dire qu’on existe encore, qu’on lâche pas l’affaire, explique Fred. Les groupes ont suivi le mouvement, ils ont envie de retrouver la scène ».
L’ambition de Fred c’est d’abord la réalisation d’albums. Cependant, cette seule activité permet difficilement de faire tourner un studio d’enregistrement aujourd’hui. Beaucoup de professionnels choisissent de diversifier leur offres. « On est obligé de développer des activités annexes », confie Fred. Ainsi le Stud Record est aussi un lieu de répétitions. Actuellement le couvre-feu le pénalise fortement puisqu’une grande majorité des artistes répétaient entre 18 et 23 heures. Malgré tout le studio reste ouvert. « Des groupes sont venus mais surtout pour enregistrer un titre, ils prenaient une journée. Il y a beaucoup de jeunes rappeurs même si je préfère rester sur de la captation d’instrumentistes ».
« Depuis le confinement j’ai beaucoup de rappeurs, des voix off mais peu de groupes pour qui ça semble plus incertain »
Cyrille Peltier, Keen Studio
S’agissant de jeune rappeur, Arthur effectue en ce vendredi 5 mars sa première expérience au Keen Studio à Tours-Nord. Le regard fuyant et le sourire timide, le jeune homme de 14 ans est accompagné de son père. Il pose des textes qui racontent des histoires de « baceux » sur des instrumentaux trap. « Depuis le confinement j’ai beaucoup de rappeurs qui viennent essayer des choses. J’ai aussi pas mal de voix off mais peu de groupes pour qui ça semble plus incertain » estime Cyrille Peltier, gérant de l’entreprise Keen Studio. Comme Phoenix Event, celle-ci existe depuis 2018 et se trouve adjacente aux locaux de ses partenaires. C’est dans la zone industrielle de Tours-Nord, à l’Arkopol Espace, que Cyrille a posé ses valises. Le lieu de co-working réunit une salle de spectacle de 260 places et, au premier étage, l’entreprise de conception lumières Lyum. Ainsi Cyrille travaille sur des oeuvres de mapping, une activité qui s’ajoute à celle des captations live et des formations qu’il mène. « On évolue un peu au jour le jour, je ne me plains pas », explique-t-il. Comme nouvelle corde à son arc, l’ingénieur souhaite installer un système immersif qui pourra faire circuler le son partout dans la pièce « L’objectif c’est de créer une œuvre d’art et d’inciter les artistes à composer de cette façon. On pourra proposer l’expérience à des cabinets de thérapeutes, à des salons de massage… »
Les offres des studios sont variées à Tours. On dénombre une quinzaine de lieux dont certains existent depuis des décennies. C’est sans compter les studios amateurs ou semi-professionnels qui n’ont pas nécessairement pignon sur rue. C’est le cas du Ti’Studio géré par Mighty Ki La. L’artiste est célèbre dans le milieu reggae-dancehall, certains de ses clips cumulants presque 3 millions de vues. Il réside depuis 15 ans au Sanitas, entre deux garages, juste en dessous du centre social Plurielles. Au local on trouve une cabine pour la captation des voix, un plateau de radio, un fond vert pour tourner des clips, un ordinateur en libre service pour composer… Il y a 3 ans, alors qu’il envisageait de partir, on lui proposait d’intégrer le centre comme médiateur social. « Je fais autant de social que d’enregistrement, j’ai beaucoup de gars qui viennent pour s’asseoir et parler », raconte-t-il.
« On n’est pas ici pour être rentable mais pour permettre aux jeunes de devenir autonomes »
Mighty Ki La, Ti’Studio
Mighty Ki La accompagne les jeunes artistes sur leurs morceaux, sur leur live mais aussi lors d’ateliers sur des sujets très divers. Il a par exemple fait venir son ami Chris Macari, réalisateur entre autre de clips de Booba. Malheureusement toutes ces activités sont devenues impossibles depuis un an. En effet l’accès au centre social n’est plus autorisé aux majeurs. Très difficile pour Mighty Ki La d’accepter seulement les mineurs sans attiser les jalousies, les groupes étants constitués d’artistes de tous âges. « Je dis aux gens qu’on ouvrira sans doutes au même moment que les restaurants et ça m’a l’air très loin. De nombreux projets sont en suspens », déplore-t-il en nous faisant écouter un morceau sur lequel il travaille, un jeune chanteur de r’n’b accompagné à la guitare.
Les artistes du Ti’Studio n’ont donc d’autre choix que de patienter. Difficile pour eux d’aller travailler dans un endroit qui serait ouvert actuellement. Les prix de Mighty Ki La sont particulièrement bas : 15€ l’heure d’enregistrement, 15€ le mixage… Le tarif de ce genre de prestation est normalement de plusieurs centaines d’euros. « On n’est pas ici pour être rentable mais pour permettre aux jeunes de devenir autonomes », explique le producteur. Pour les jeunes, cette quête d’autonomie est rendue difficile par les mesures qui pénalisent les activités dites « non essentielles » telles que la création de lien social ou le spectacle vivant. « Tu vois qu’il y aura un problème bientôt. Les jeunes du quartier se disent “ pour une fois que j’avais quelque-chose, c’est peut-être là que je serais sorti de la galère ” ». Avec la mobilisation grandissante du secteur culturel, on se plaît à imaginer une ré-ouverture prochaine des lieux de musique et, on l’espère, de tous les studios d’enregistrements, quels qu’ils soient.
Photos : Pascal Montagne