Après dix ans sous la direction de Jacques Vincey, le Théâtre Olympia de Tours a changé de tête en janvier 2024. C’est désormais la metteuse en scène Bérangère Vantusso qui en pilote la programmation et la politique. Déjà venue au T° en tant qu’artiste associée, elle y a également présenté la moitié de ses créations théâtrales. L’artiste connait donc très bien la maison et ne manque pas d’idées pour la développer. Entretien long format.
« Je suis tombée dedans quand j’étais enfant » répond Bérangère Vantusso quand on lui demande comment le théâtre est arrivé dans sa vie. Elle développe : « Je viens d’une famille d’artistes : mon père a eu une carrière de musicien de blues puis de peintre. Ma maman faisait du théâtre en amateur. J’ai grandi avec les répétitions pendant les vacances scolaires : d’abord elle m’emmenait aux spectacles puis j’ai intégré la troupe à 14 ans. » Tout cela se passait dans la vallée minière du nord de la Lorraine, du côté de la ville de Longwy. Ensuite, la jeune femme a rejoint Nancy pour ses études, en choisissant assez logiquement le théâtre : « C’est là que je me sens heureuse et libre » résume-t-elle.
Au départ, Bérangère Vantusso était actrice. C’est plus tard qu’elle s’est dirigée vers la mise en scène. Plus tard, mais assez rapidement quand même. « Je me suis assez vite rendu compte que ma créativité s’exprimait plus dans mon travail de mise en scène et, progressivement, je n’ai plus joué. Cela ne me manque pas du tout. C’était peut-être une erreur d’aiguillage au départ mais cette formation me sert beaucoup dans la mise en œuvre de mes projets. Cela me permet de mieux communiquer avec les acteurs en ayant moi-même vécu cela de l’intérieur » développe l’artiste.
L’encadrement, la mise en forme, sont donc assez naturels chez Bérangère Vantusso. « J’ai un grand plaisir à la synergie, à la convergence des créativités autour d’un projet » glisse-t-elle. Et cela vaut autant pour le montage d’une pièce que pour son rôle au Théâtre Olympia. D’ailleurs, ce poste de directrice n’est pas le premier : avant de rejoindre la Touraine, elle était à la tête du Studio Théâtre de Vitry-sur-Seine en région parisienne. Une aventure qui a duré 7 ans, dans un lieu programmant exclusivement des spectacles jamais montrés ailleurs auparavant. Elle avait également candidaté par deux fois dans d’autres Centres Dramatiques Nationaux avant de voir son dossier retenu à Tours.
« Dans ma lettre de motivation il y avait l’idée de déployer un projet artistique en lien avec un public plus large sur le territoire. Il faut avoir cette question en soi : comment est-ce qu’on partage l’art avec le plus grand nombre » nous explique Bérangère Vantusso. « C’est un travail de fourmi. Cela passe par les artistes que l’on choisit d’accueillir, et leur propre envie de partager. Et puis c’est un travail d’équipe au CDN pour soutenir la création artistique contemporaine, être capable de prendre des risques. Pour moi le propre des artistes est d’amener de l’inattendu, de réveiller des sensibilités et de déranger dans le sens de remettre en question, bousculer. »
Si elle ne sera pas complètement dans la ligne tracée par Jacques Vincey ces dix dernières années, la nouvelle directrice du Théâtre Olympia de Tours va tout de même s’appuyer sur son travail, notamment le festival WET° qui consacre un week-end aux créations émergentes au début du printemps (l’édition 2024 aura lieu du 22 au 24 mars). Ce sera d’ailleurs l’un des 4 temps forts de l’année dramatique qu’elle envisage d’articuler autour des 4 saisons, avec des week-ends événementiels au moment des équinoxes et des solstices : lancement de saison à l’automne, un week-end de théâtre bien au chaud pour l’hiver, l’éclosion créative du WET° au printemps et du théâtre hors les murs et en itinérance pour l’été.
« Je veux une nouvelle manière d’aller vers le public, que l’on puisse profiter de moments de convivialité, manger au restaurant du théâtre, faire une sieste sonore, venir en famille ou pratiquer un atelier » explique Bérangère Vantusso qui travaille également à multiplier les passerelles avec les autres institutions culturelles locales. Ainsi, elle nous dévoilé en exclusivité la construction d’un cycle artistique italien sur plusieurs mois entre l’automne 2024 et le printemps 2025 avec deux pièces au T°, une expo au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré, des soirées jazz italien au Petit Faucheux, un concert italien au Temps Machine à Joué, les films du festival Viva il Cinema, des rencontres et tables ronds avec l’Université, de la danse italienne au CCNT et enfin un événement autour d’un fleuve italien à la guinguette de Tours.
« Ce sera le contraire d’un festival » explique Bérangère Vantusso qui veut renouveler l’expérience de manière annuelle en s’ouvrant à chaque fois aux horizons d’un pays européen différent. Si elle commence avec l’Italie c’est en écho à des racines familiales, à l’envie de faire découvrir une autre langue et en lien avec la situation politique italienne depuis que le pays est dirigé par une première ministre d’extrême droite. « Je suis une Européenne convaincue et je suis persuadée que l’Europe politique passe aussi par la culture. Je veux que l’on observe comment la création est traversée par les changements politiques du moment » nous détaille l’artiste.
Ces passerelles entre l’Olympia et d’autres lieux culturels tourangeaux se fera également sur d’autres temps forts de l’année. Ainsi, dès l’ouverture de la saison 2024, le musicien Antonin Leymarie qui signe la bande originale du spectacle Rhinocéros de Bérangère Vantusso sera accueilli en parallèle au Petit Faucheux pour un concert de batterie. « Il vient de la scène jazz électro et un solo » nous détaille la directrice dont la ligne éditoriale globale de programmation nous est présentée comme celle « de l’imaginaire, de la poésie et de l’hybridation des formes. Un théâtre à la fois ancré sur le texte, mais qui a une dimension plastique forte. » Il faut donc s’attendre à des propositions très contemporaines, sans pour autant occulter la présentation de textes classiques « car j’ai conscience que le T° doit assumer cette mission et rester relié au répertoire, notamment pour la jeunesse ».
Des ambitions que la directrice va devoir mener avec un budget de 3 millions d’€. Une enveloppe stable du point de vue de la somme mais de plus en plus contrainte en raison de la hausse des coûts des spectacles, du transport, des décors… « Tout augmente, sauf les subventions » résumé la directrice qui n’entend pas pour autant réduire la volume annuel de représentations. En revanche, elle compte sur plusieurs leviers pour serrer les budgets comme l’accueil d’artistes pour des cycles de deux représentations, afin de réduire les coûts de déplacements. Mais aussi une meilleure organisation des tournées (qu’un spectacle présenté à Tours poursuive plutôt sa route à Angers qu’à Marseille).
Autres projets potentiellement rémunérateurs : faire tourner au maximum les créations de la directrice qui rapportent des revenus au théâtre et développer l’atelier de construction de décors, en le rendant encore plus écoresponsable ou en le dotant d’une ressourcerie culturelle (comment recycler les décors ? Comment les réaliser avec des matériaux écoconçus ?) : « Il y a toute une dynamique, toute une réflexion à avoir dans le secteur culturel et il faut que Tours soit moteur dans ce processus » plaide Bérangère Vantusso qui se fixe une ligne : « On va tout faire pour ne pas augmenter le prix des billets. »