Regards #79 « Rémi sans famille » & « Une affaire de famille »

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Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.


Rémi sans famille (Film d’aventure français)

De Antoine Blossier

Avec Daniel Auteuil, Maleaume Paquin, Ludivine Sagnier, Jonathan Zaccaï, Virginie Ledoyen, Jacques Perrin, Albane Masson

Rémi a 10 ans. Il apprend qu’il est orphelin : Madame Barberin, si tendre avec lui, n’est pas sa vraie mère. Son père adoptif, impotent et méchant, le vend à un vieil artiste de rue, Signor Vitalis, ancien grand violoniste, qui ne voit pas là une aubaine de gagner de l’argent (contrairement à ses dires), mais de sauver le petit garçon. Il décèle en ce dernier le talent de chanter et décide de l’aider à se produire. Rémi apprend à écrire, à lire des partitions de musique, et va mener la dure et pourtant belle vie de saltimbanque que lui offre Vitalis. Tous deux sont accompagnés des deux fidèles animaux domestiqués : le chien Capi, dressé à traverser les cerceaux et à faire le beau, et le petit singe Joli-Cœur, attachant avec ses pirouettes et son petit rire. Le voyage initiatique de Rémi à travers l’Occitanie, le Tarn et l’Aubrac sera ponctué de rencontres inoubliables, comme celle avec la jolie Lise. Mais surtout, ce parcours le mènera à la source de son histoire.

Rémi apparait tout d’abord narrateur (âgé, sous les traits de Jacques Perrin). Dans un orphelinat, durant la nuit, il raconte aux enfants son histoire, qui démarre sur le parvis d’une église, un jour d’hiver neigeux, où, emmitouflé dans son couffin, il venait d’être abandonné. On comprendra à la fin du récit pourquoi et comment cela a pu arriver. Par flash-back, le héros revient discourir de ses péripéties. Nous voilà plongés dans la fabuleuse épopée de Rémi sans famille … Antoine Blossier adapte le roman Sans famille (1878) d’Hector Malo, un des plus grands ouvrages de la littérature de jeunesse française, avec une juste mesure (sérieux, originalité) très louable. S’il conserve la dramaturgie initiale (le récit du livre est très triste, parsemé de drames terribles – par contre, la série de dessins animés des années 80 est plutôt misérabiliste), il modernise la forme et allège tout en délicatesse la souffrance de la vie de Rémi. Et ceci en créant une grande et magnifique fresque où tout illumine : immensité des paysages, impressionnants, hauts en couleurs et gorgés de soleil, rencontres joyeuses, musique lyrique et envoûtante (superbe B.O. de Romaric Laurence), décors ultra travaillés, image sublimée, costumes soignés semblant si authentiques, parfaits et discrets effets numériques … L’esthétique est somptueuse, et la liberté de ton rend l’histoire de Rémi parfois très heureuse (un défi formidablement relevé, sans mièvrerie). On vibre du courage, de l’optimisme et de l’espoir véhiculés.

Alors, doit-on se résoudre à qualifier cette œuvre candide et inattendue de « divertissement familial » et d’« aventure de Noël » ? Il ne faudrait pas omettre que Rémi sans famille est vraiment singulier. C’est un très grand film, qui mêle les ingrédients sus – cités avec une inventivité peu commune dans le cinéma français, sans visée « blockbusterienne », humblement et pourtant en nous transportant. C’est un conte enchanteur, certes tragique, mais si merveilleux ! Le mélodrame général et linéaire du roman laisse ici place à des rebondissements très vivaces rythmant efficacement l’histoire, sans temps morts. Le spectateur, qu’il soit enfant ou adulte, réagit au suspense et à la terreur (le chien va-t-il revenir vivant de la fosse aux loups ? La méchante « famille » anglaise va-t-elle créer un carnage ? Les scènes dans le manoir au style gothique nous prennent à la gorge…).

L’émotion est très forte, sans lourdeur, sans manipulation. On pleure avec Rémi lorsqu’il perd un être cher. Les enfants s’attachent dès la première minute aux animaux tendres et rigolos, s’inquiètent pour leur devenir. Rémi rencontre Lise, jeune fille en fauteuil roulant ; il va vivre un peu avec elle, chez sa mère, douce, qui souhaite l’adopter. L’amitié teintée d’amour entre Lise et Rémi est touchante. Et puis, il y a LE grand personnage du film. LE héros, le maître, le saltimbanque au grand cœur : Signor Vitalis. Un très grand Daniel Auteuil, charismatique, mystérieux (il cache un lourd secret), chaleureux. Un homme bon, bienveillant, qui prend Rémi sous son aile en l’arrachant, certes, à sa mère adoptive, mais en l’extirpant loin, très loin des conditions de vie inhumaines dans lesquelles il est embourbé. Rémi n’est finalement pas tant en quête de ses origines, ce sont les rencontres qui placent des indices sur son chemin (Lise et la découverte de la layette de Rémi lorsqu’il était bébé). Ce gentil petit héros fait ce qu’on lui dit, avance avec le sourire en contenant ses maux. Maleaume Paquin prête son naturel fascinant, ses traits, sa bouille angélique, son regard doux, son air si gentil à un Rémi que l’on a envie de câliner. Bien des enfants sont attachants dans les films, mais ce jeune acteur a quelque chose de vraiment particulier, avec cette évidence qu’aucun autre que lui ne pouvait endosser son rôle. Daniel Auteuil et Maleaume Paquin créent un duo dans lequel la filiation questionne, leur rapport dépassant tous liens du sang, l’amour étant question de transmission. Deux saltimbanques finalement liés par le bonheur d’être juste ensemble puisqu’ils n’ont rien (à part Capi et Joli-Cœur). Ils ont foi en l’avenir, l’accomplissement personnel est sur leur route. Au total, on sourit, on rit, on pleure (chaudement). C’est tendre, plein d’amour. Beau et universel. Un petit chef d’œuvre, à voir absolument.

Un film à l’affiche dans les cinémas CGR de l’agglomération (toutes les informations utiles sur leur site internet).

Une affaire de famille (drame japonais)

Hirokazu Kore-eda

Avec Lily Franky, Sakura Andô, Mayu Matsuoka, Kiki Kirin, Kairi Jyo, Miyu Sasaki

Au Japon, dans un logement délabré (une seule pièce, encombrée), hébergés chez une grand-mère, vivent Osamu et Nobuyo, un couple stérile et très pauvre mais visiblement heureux. Ils « composent » étonnamment leur famille en recueillant des enfants à l’abandon. C’est ce qui arrive un soir : Osamu et son fils trouvent la petite Juri, âgée de cinq ans. Nobuyo ne veut pas la garder, jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive des coups portés à la fillette : elle est maltraitée par ses parents. Leur acte est assimilé à un rapt puisque Juri est portée disparue, mais Osamu et Nobuyo considèrent qu’ils filent droit. Deux autres membres de la famille composent cette tribu atypique : Aki, jeune sœur de Nobuyo qui vend ses charmes dans un peep-show, et Shota, dix ans, le fils du couple qui participe avec complicité aux nombreux vols à l’étalage du père, permettant de faire subvenir la maisonnée. Le schéma familial n’est absolument pas commun, et pourtant harmonieux. Mais lorsque Shota se fait prendre par la police, des secrets insoupçonnables font brutalement surface …

Quelle affaire. Un film incroyable. La Palme d’Or 2018 a secoué la Croisette et rencontre son public dans l’engouement général. Inspiré d’une famille qui a fait la Une des journaux, voici un tableau faussement idyllique d’une famille recomposée soulevant la question du monde de l’enfance. Ce film est une approche sociétale complexe décrivant un cadre d’exclusion bien loin de l’image lisse, riche et flamboyante que l’on peut se faire du Japon contemporain. Cette famille si étrange creuse, de prime abord, le fossé inégalitaire et nous plonge dans une ambiance inhabituelle. Nous sommes au cœur d’une vie faite de rituels au jour le jour. Dans la pièce unique (exigüe, vétuste, misérable, dans laquelle la caméra ne donne aucun champ de profondeur) où la famille s’installe en tailleur autour d’une table basse, on mange beaucoup, et on boit beaucoup de bières. Tous aspirent bruyamment leurs pâtes gluantes. On parle fort en s’empiffrant goulument, on rigole bien. La nuit tombée, on pousse la table de repas, on installe les matelas à même de sol et on dort tous collés serrés. L’ambiance est tendre et joyeuse. Même lors des larcins dans les petits commerces de proximité, on chipe dans la joie et la bonne humeur, avec confiance et habitude. Shota ne va pas à l’école, il erre un peu partout. Si, à la maison, le désordre et l’encombrement ambiant étouffe au quotidien, la promiscuité assure une chaleur humaine. La famille vit des moments complices. Nobuyo entoure Juri de ses bras et lui dit « Si l’on t’a dit que te faire ce qu’on t’a fait était de ta faute ou que c’est parce que l’on t’aime, ce n’est pas vrai. Quand on aime, on fait cela » (elle la serre fort contre elle).

Le couple a réponse à tout. On lui pardonne bien volontiers ses petits délits. Il n’a pas enlevé Juri puisqu’il n’a pas réclamé de rançon. Il ne commet pas de vol puisque ce qui est dans un magasin n’appartient encore à personne. En somme, il a une certaine idée de la justice. Empli de bonne foi et de bon sens qu’il a définis lui-même. Ces individus connaissent la rudesse du monde extérieur, la misère économique. Ils sont pauvres, déclassés. Le réalisateur (aux 13 films, tous sur la notion de la famille, dont le formidable « Notre petite sœur ») dépeint une fable sur la société de consommation et sur la réalité sociale, avec une vision critique âpre et cruelle. Il extirpe sa colère en ce qui concerne l’enfance maltraitée et le schéma d’une famille galérant pour joindre les deux bouts. Il raye une culture nipponne, sans ménagement. Kore-eda est un des cinéastes japonais contemporains majeurs. Il filme avec une sensibilité extrême et une grande générosité ses personnages, tout en justesse, dans un film discret, léger, étrange, fort amusant même, et pourtant d’une profondeur (de « deuxième acte ») grave. Lorsque Shota, à la suite d’un vol, se fait courser et se fait volontairement prendre par la police, il se retrouve blessé, à l’hôpital, et tout explose tel un coup de théâtre absolument inattendu. La structure familiale a un passé que l’on nous fait jaillir. Ce revirement de ton, de style est brillant. « Une affaire de famille » n’est pas à entendre comme un terrain de disputes au sein d’un clan familial. Il s’agit bien d’«affaires » (plusieurs, lesquelles…) et de « famille » (en est-ce une ? qu’est-ce qui est considéré comme une vraie famille ?). La priorité est-elle aux liens du cœur sur ceux du sang ? Car là est le sujet principal du film : comme le dit Nobuyo, on peut choisir sa famille. Le thème de la filiation questionne les frontières de la morale. Le réalisateur ne juge pas. On peut s’attacher aux protagonistes en dépit leurs actes. Flagrant délit, loi, ordre social, injustice ? C’est déchirant, parfois choquant, mais jamais sordide. Une réussite éclatante, grandiose.

 

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).

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