Regards #78 « Leto », « Nous les coyotes » & « Marche ou crève »

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Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.


Leto (Biopic musical russe, français)

(Noir et Blanc)

De Kirill Serebrennikov

Avec Roman Bilyk, Irina Starshenbaum, Teo Yoo 

C’est l’été à Leningrad, début des eighties. Après la mort de Brejnev et à l’aube de la Perestroïka, la scène rock russe émerge dans l’émancipation et la liberté de création. Mike, la quarantaine, musicien guitariste, auteur, compositeur et chanteur, est LE rocker populaire. Fan de Lou Reed, Velvet Underground, David Bowie et Bob Dylan, il s’impose avec des textes originaux et un style endiablé. Il file le parfait amour avec sa compagne Natasha, avec laquelle il a un bébé. La troupe de musiciens qui l’accompagne est joyeuse et déjantée : tous courent nus sur la plage, en buvant du bon vin et en fumant comme des pompiers … C’est à ce moment que débarque Viktor, jeune homme calme et inspiré, qui veut rencontrer Mike et lui montrer ce qu’il écrit, joue (à la guitare sèche) et chante. Autour d’un feu de camp, tout le monde entonne les titres de Viktor, conquis. Mike va devenir son mentor, faire de lui une star. Et accepter que le trouble s’installe entre sa femme et lui …

Signe avant-coureur d’un changement politique, approche d’auteur, Leto (« L’été ») est un vent de liberté. La niaque, l’insouciance juvénile et la désinvolture nous embarquent. Le film présente une petite communauté du rock underground, au romantisme baroque. C’est aussi un « presque biopic » (il en évite les pièges) sur la légende soviétique Viktor Tsoï (un Eurasien, un des pionniers du rock russe, co-fondateur du groupe Kino, décédé à l’âge de 28 ans) est interprété par Teo Yoo.. Mike Naumenko était un grand rocker populaire de l’actuelle Russie (et fondateur du groupe Zoopark), décédé à 36 ans. Il est joué par Roman Bilyk. Dans le film, on évoque régulièrement Lou Reed, Velvet Underground, Bowie, Iggy Pop, Les Beatles, Les Doors, … : les fondateurs des premiers groupes rock. Viktor se distingue par sa fantaisie textuelle, mélange enfantin, désabusé, drôle, mélancolique … Il va s’imposer de manière bien singulière.

Il est à noter des passages amusants (mais révélateurs de la rigidité communiste) lorsque la caméra filme le public dans la salle de concert (Le Leningrad Rock Club, l’un des rares endroits ouverts à la jeunesse) où l’on voit les pieds battre le rythme et les mains taper les cuisses : tout le monde se retient d’applaudir car c’est interdit. Une fan brandit une pancarte ornée d’un cœur, un garant de l’autorité étatique lui ordonne de la baisser … Les musiciens bravent les interdits avec délectation : scènes de baston dans le métro et dans le bus, où, par exemple, l’un d’eux se retrouve le visage en sang mais continue d’avancer gaiement, chantant des tubes phares du rock (avec les voyageurs). Il y a également des envolées lyriques, lorsque par exemple Mike monte l’escalier (de son immeuble) dans lequel des femmes nues sont assises sur les marches, et des symboles « s’agitent » sur les murs au son de la musique. Inventif, Kirill Serebrennikov s’amuse à dynamiser ce qu’il y a autour des personnages et des objets par des effets visuels façons graffs, stries (à même la pellicule…), icônes animés : le résultat est génial, vibrant, poétique. L’esthétique du film est superbe avec son noir et blanc très rarement ponctué de touches colorées et ses plans larges. Leto est d’ores et déjà une œuvre de référence. Viktor Tsoï, entouré d’une nouvelle génération de musiciens, va changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique. Leto est fascinant et jubilatoire. Qu’il n’ait eu aucune distinction au Festival de Cannes, où il a pourtant été très remarqué, reste un mystère.

(NB : Depuis plus d’un an, Serebrennikov est assigné à résidence par les autorités russes, accusé d’un détournement de fonds publics. Son procès est en cours.L’acteur Roman Bilyk est un rocker très populaire en Russie – avec son groupe Zveri. Pour la bande originale de Leto, il a lui-même adapté des hits de Lou Reed)

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet)

Nous les coyotes (Comédie dramatique américaine, française, allemande)

De Hanna Ladoul et Marco La Via

Avec Morgan Saylor, McCaul Lombardi

Une nomination au Festival de Cannes 2018

Un jeune couple tout mignon, la vingtaine, amoureux et ensemble depuis six mois, décide de se rendre à Los Angeles pour y travailler, s’émanciper et vivre ensemble. Les parents et la tante d’Amanda rejettent Jake (sans même le connaître), le considérant comme un loser. La jeune fille étouffe à cause de cette situation. En voiture, Amanda et Jake effectue un road trip californien grisant et plein d’espérances. Mais leurs démarches échouent, la poisse s’en mêle, et ils se retrouvent bientôt sans rien …

Ils croient au rêve américain. Ils quittent l’Illinois pour la Cité des Anges, en plein été. Amanda et Jake, tous deux adorables, tout sourire et plein de vie, sont optimistes. Mais leur aventure commence mal. Pensant pouvoir trouver refuge chez sa tante Jeanine, Amanda se dispute violemment avec celle-ci. Après une très longue route effectuée en voiture, durant laquelle on se sent joyeux, sur les sièges arrière, avec eux (en somme, à la place de la caméra !), l’histoire commence avec cette première déconvenue de taille : le couple n’a nul part où aller. Ensuite, les tuiles s’enchainent : Amanda se voit proposer un stage dans une grande maison d’édition de disques, non rémunéré, alors qu’elle visait un poste et se distinguait lors de l’entretien. Jake gare la voiture à une place de stationnement non autorisée : il faut se rendre à la fourrière. Et on leur a volé leur argent qui était dans la boîte à gants … Les deux jeunes s’accrochent malgré leurs galères, cumulées sur une seule journée. Finalement, cela ne les empêche pas de s’éclater avec d’autres jeunes lors d’une fête dans laquelle se produit un ami musicien rappeur. Ils se sentent libres, et c’est ce qui compte le plus. Nous les coyotes est solaire, presque frivole, par moments contrariant (on est plein d’empathie pour eux), jamais triste, et nous embarque illico dans une grande bouffée d’oxygène et de jeunesse. L’histoire est toute simple et modeste mais qu’importe, ce duo convainc et nous attache à eux tendrement. C’est pêchu, fluide, tout en sobriété et authenticité. Les acteurs, Morgan Saylor et McCaul Lombardi sont charmants, complices, formidables. Et les réalisateurs français Hanna Ladoul et Marco La Via nous offrent, avec ce premier film (court – 1h27) à petit budget et inspiré de leur propre expérience, une très jolie ode à la joie de vivre.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).


Marche ou crève (drame français)

De Margaux Bonhomme

Avec Diane Rouxel, Jeanne Cohendy, Cédric Kahn, Pablo Pauly, Agathe Dronne 

Double prix d’interprétation féminine (Diane Rouxel, Jeanne Cohendy) au Festival de Saint-Jean-de-Luz

Manon est une jeune femme handicapée mentale et physique. Elle émet toujours le même son, à intensité et émotivité variables. Sa prise en charge au quotidien est très difficile et de chaque instant. Se laver, s’habiller, aller aux toilettes, se servir à boire, faire ses tartines, marcher aisément : tout cela, elle ne peut pas le faire toute seule. Il lui faudrait aller dans un centre spécialisé, mais ça, son père (François) et sa petite sœur de 17 ans (Elisa), s’y refusent. C’est pourquoi ils endossent toutes les difficultés, à bras le corps, avec patience et amour, et sans la présence de la mère, qui a décidé de quitter le foyer. Au cœur des montagnes du Vercors, Elisa escalade, se dépasse. Même si elle sort un peu dans les bars le soir, même si elle se rapproche de son collègue Sacha, entre sentiment de désespoir et de colère, elle consacre son temps à Manon avec une complicité touchante. Peut-elle se résoudre à cette vie-là ? Combien de temps est-ce supportable ? Elisa doit faire preuve de beaucoup de courage, mais elle a ses limites …

Ce premier film de Margaux Bonhomme est solide, direct. Sobre, intime et maîtrisé de bout en bout. Il touche au réel et ouvre les yeux. Essentiellement autobiographique (sa propre sœur), il traite du handicap de manière extrêmement précise en termes de mise en scène et d’interprétation. Le trio d’acteur est souvent cadré au plus près, les émotions sont palpables mais sans tomber dans l’excès. L’interprétation de Jeanne Cohendy est époustouflante. Combien de mois de préparation ont dû être nécessaires pour se mettre dans la peau du personnage ! Postures, maintien, maniement des mains, inclinaisons de la tête, regards hagars, bouche bée, voix, variations soudaine des humeurs … Manon est une personne singulière, attachante, vulnérable, ultrasensible, et rieuse, parfois (aux éclats). Marche ou crève montre la noblesse de la différence, la force de soutenir, le courage pour tenir, pour composer sa propre vie. Le père est joué par le réalisateur-acteur Cédric Kahn, au timbre de voix vibrant, tout en douceur, et aux yeux dans lesquels se fondent la tendresse à l’état pur. Elisa, c’est Diane Rouxel. Nommée au César du meilleur espoir féminin en 2015 pour La tête haute, elle jouait le rôle principal d’une jeune femme engagée dans la marine nationale, en 2018, dans Volontaire. La tête haute, Volontaire, Marche ou crève : des titres de films qui affirment la solidité, le cran et la persévérance que Diane Rouxel acquiert. Elisa, entre l’amour fusionnel qu’elle porte à sa sœur (elle la câline, danse avec elle …) et l’étouffement que lui procure le poids de la gérer, craque. Un sentiment de haine fait surface (mais au cœur d’une situation globale : elle en veut à son père d’être dans la dévotion et à sa mère dans l’abandon). Elle voudrait prendre son envol. Manon réagit avec bonheur au défilé d’une fanfare. Elle se retrouve devant celle-ci, l’accompagne. Elle se tient voûtée, mais elle tient seule. Elle applaudit, elle rit. François et Elisa la regardent, tout sourire. On a envie de croire que la vie, pour Manon comme pour ses proches, va être menée tambour battant, joyeusement. Un beau film.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).

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