Regards #75 « Amanda »

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Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.


Amanda (Drame français)

De Mikhaël Hers

Avec Vincent Lacoste, Isaure Multrier, Marianne Basler, Stacy Martin, Ophélia Kolb, Jonathan Cohen, Greta Scacchi, Nabiha Akkari

Présenté à la Mostra de Venise dans la section «Orizzonti» 

David et Sandrine sont frère et sœur. Ils n’ont plus leur père, et leur mère (résidant en Angleterre) les avait abandonnés à ce dernier lorsqu’ils étaient encore très jeunes. Sandrine est l’aînée, une femme vive, professeur d’anglais, élevant seule sa fille de 7 ans, Amanda. David a 24 ans, c’est un jeune homme tranquille et sympathique, élagueur pour la Ville de Paris comblant ses fins de mois en aidant à la passation-location d’appartements. C’est d’ailleurs ainsi qu’il rencontre la belle Léna. La vie est plutôt légère, joyeuse, c’est le début de l’été. Sandrine prévoit un cadeau surprise pour son frère, puis un pique-nique au Bois de Vincennes … Mais Sandrine décède subitement. A fortiori, seul David va pouvoir, va devoir, s’occuper de la petite Amanda …

Suivre le cours de sa vie malgré un évènement brutal est un thème qui touche tout un chacun. On est plongé dans « Amanda » comme dans une vague de douceur infinie. Des caresses nous effleurent, un coussin moelleux fait reposer notre tête. C’est un film cajoleur, qui détient pourtant en son cœur un bout de plomb, lourd : celui de la souffrance du deuil. Optimisme, gracieux et lumineux, il fait du bien.

Mikhaël Hers filme Paris avec amour, de ses quartiers est aux quais de Seine, un Paris calme, ensoleillé et aéré, avec ses arbres, ses espaces verts. David roule à vélo avec sa sœur, et, ensemble, ils rient. La première demi-heure du film dépeint ses personnages avec une précision admirable. On les voit évoluer dans leur quotidien tout simple (Amanda danse un rock sur du Presley avec sa mère, mange un Paris-Brest qu’elle va chercher seule chaque soir à la boulangerie d’en face, David court partout et arrive en retard pour la récupérer à l’école …). La justesse est parfaite, en toutes circonstances. On s’attache immédiatement au trio familial. Puis surgit un attentat dans le bois de Vincennes où s’est rendue Sandrine. Dès lors, c’est le chaos du cœur ; David perd sa sœur, Amanda, sa maman. Paris est devenu un désert silencieux. On ressent cette meurtrissure sans être piégé dans le pathos et la terreur. Si les thèmes de l’attentat et du deuil sont très subtilement traités, c’est le lien entre deux orphelins qui est le pilier nourricier du récit. David et Amanda se retrouvent à devoir vivre ensemble et à se découvrir.

Devenir père à son âge était loin d’être, pour David, une idée qui aurait pu lui effleurer l’esprit. Du jour au lendemain, il doit pourtant s’improviser comme tel, pour s’implanter réellement dans son rôle de tuteur ensuite. Une situation d’autant plus difficile qu’elle s’accompagne de la souffrance la plus terrible : celle de la perte d’un être cher, au cœur d’une tuerie (fictive, mais évocatrice de l’attentat du Bataclan). David doit gérer sa nièce (Ilsaure Multrier, formidable petite fille au doux minois si expressif) alternativement avec sa tante Maud (Marianne Basler, si juste, posée, tendre). Oncle bienveillant, il menait jusqu’ici une vie libre, simple et insouciante. Le voilà propulsé dans une vie d’adulte qui le dépasse. Peut-il conjuguer la précipitation des évènements avec sa vie privée naissante ? Car David retrouve sa petite amie Léna blessée au bras (durant l’attentat), et celle-ci doit surmonter le traumatisme. Stacy Martin apparait et réapparait telle une esquisse au sourire empathique et bienveillant. Elle aussi fait du bien, et son rôle, sommes-toutes petit, a une importance capitale dans l’allègement contextuel – celui de la tragédie du deuil intime collectif.

Vincent Lacoste, quasiment de tous les plans, joue David. C’est une pépite d’or. Découvert il y a dix ans dans Les beaux gosses de Riad Sattouf, il est à part. Sa nonchalance, sa tendance morne et désabusée, mais son doux sourire, sa sensibilité et sa sympathie le rendent incroyablement touchant et naturel. Epoustouflant dans Amanda, il atteint un niveau de jeu complexe (force et fragilité) et émouvant au plus haut point, notamment lors de la scène déchirante dans laquelle il annonce à Amanda la mort sa mère. On se sent auprès de lui et l’on a autant envie de le câliner que de câliner la petite (cette adorable puce est incroyablement mature).

Mikhaël Hers a un thème de prédilection : celui de la douleur de l’absence (ses deux précédents films, Memory lane et Ce sentiment de l’été en témoignent). Il apporte un réconfort salutaire. Non seulement il panse les plaies sans trop en faire (on est loin du mélodrame abusif), mais encore, il ravive le terrible souvenir de manière furtive, comme pour rendre hommage aux jeunes tués lors des attentats du 13 novembre 2005 au Bataclan de Paris.  Ainsi, il transpose les faits dans un parc, et sa caméra reste presque au ras du sol, montrant des blessés mais aucune scène de violence. On retrouvera au final la même mise en scène d’un pique nique au parc, mais vivant et joyeux, comme pour dire « la vie continue ». De même que, lorsque David emmènera Amanda en Angleterre, à Wimbledon, assister au grand tournoi de tennis, ce « la vie continue » se lira sur le visage de la petite fille, troublante de sincérité et de pudeur. Il est à noter que Mikhaël Hers réussit l’extrême délicatesse d’aborder l’anti-stigmatisation lorsque David parle à sa nièce de religion et de port de voile dans le parc, lui sommant de ne pas écouter les propos d’incitation à la haine, à la vengeance et à la violence qui ne sont, à l’école, « pas des discours des enfants, mais de leurs parents ». Un film sensible, délicat et poignant, un des plus beaux de cette fin d’année.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet) et aussi dans les cinémas CGR de l’agglomération (toutes les informations utiles sur leur site internet).

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