Radios associatives : la bande à part

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Eclectiques, informatives, rassembleuses, curieuses, caractéristiques, dénicheuses… Les radios associatives sont un outil essentiel dans la vie quotidienne des territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux. Mais leur quotidien à elles, de quoi est-il fait ? Comment vivent-elles ? A qui appartiennent ces voix ? Comment s’adaptent-elles au virage du numérique ? Reportage.

« Mais tu sais, Abdel, dans la vie, il y a deux catégories de personnes : celles qui arrivent toujours à l’heure et celles qui ne sont jamais à l’heure. » La réplique est limpide, l’articulation claire, le ton légèrement détaché et ironique, la voix caverneuse, un clin d’œil à Sergio Leone : Thierry Lobut et son sens de la répartie sont bel et bien en avance. Ce jeudi soir de février, l’ambiance est à la taquinerie et à la décontraction dans le petit studio de RFL 101, rue Blanqui à Tours. Comme n’hésitent pas à nous le rappeler les secondes lumineuses sur l’horloge Lunartec, nous sommes à quelques minutes de la prise d’antenne pour l’émission “Parcours”.

Mise en place depuis deux ans, comme son nom l’indique, elle retrace, durant au moins une heure, le parcours d’une personnalité locale, qu’elle soit politique, artistique, sportive… C’est l’une des émissions phares de la station. Aux manettes, ils sont trois : Serena, service civique, à la régie son ; Abdel Naji, salarié à mi-temps et couteau-suisse de la radio, coordonne l’émission et Thierry Lobut, le présentateur-bénévole qui s’apprête à dialoguer avec Sonia Pareux, chargée de mission dans le social et conseillère régionale. Entre un regard vers la régie technique et un autre vers les protagonistes en train d’échanger, Abdel nous glisse à voix basse : « Sans les bénévoles, on ne serait pas grand-chose. Ils sont l’âme des radios associatives. Thierry est un excellent exemple. Il y a deux ans, il était invité au studio pour présenter son livre sauf qu’il est également venu avec un projet d’émission sous le bras. Le courant est tout de suite passé, on a revu deux-trois petites choses ensemble, puis Parcours était lancée. »

Leur principale richesse ? Le bénévolat

Dans le monde des radios associatives, ce genre d’anecdote est courante. Le bénévolat est la principale force de ces plus de 700 radios indépendantes autorisées à émettre sur la bande FM, dont sept se trouvent en Touraine*. Le bénévolat est la cheville-ouvrière qui structure la base de ces radios, l’oriente vers l’avenir tout en occupant les divers postes que peut proposer le média le plus populaire du monde, centenaire il y a deux ans. Animateur, technicien, monteur, reporter, programmateur… quand il n’est pas tout ça à la fois, le bénévole apporte également ses passions, ses expériences professionnelles ou personnelles. Généralement, les bénévoles qui s’investissent dans une radio associative connaissent déjà très bien la radio. Ils savent comment elle fonctionne, quelle est sa ligne éditoriale, quels genres de musiques elle diffuse. Bénévole sur Radio Fréquence Luynes (RFL) à partir de 2009 avant de devenir salarié en 2016, Abdel, professeur de guitare en parallèle, en sait quelque chose. « J’étais très attiré par les musiques du monde, donc c’était une évidence pour moi de rejoindre cette radio. Rapidement, j’ai tout appris du fonctionnement technique comme administratif. En échange, j’ai également apporté mes idées sur la programmation. C’est un juste retour des choses. La radio permet aussi un lien social très fort, qui permet des rencontres, d’ouvrir des voies, de découvrir de nouvelles initiatives et d’apprendre continuellement. Regardez, il n’y a pas si longtemps que ça, c’est une bénévole de la station, comédienne d’une troupe de théâtre, qui nous a appris à bien placer les blancs dans une phrase, à avoir son propre rythme de diction… Grâce à la radio, tous les acteurs transmettent leurs compétences. »

Si les bénévoles ont une place aussi importante, sans oublier le rôle conséquent des stagiaires et des volontaires en service civique, cela tient évidemment au manque de moyens financiers. Contrairement aux radios commerciales, les radios associatives sont dans l’obligation de ne pas dépasser 20% du montant de leur budget en revenus commerciaux. Un levier de financement qu’elles utilisent très peu, environ 4%, pour ne pas perdre une certaine indépendance dans leur ligne éditoriale. Pour vivre, elles se tournent donc vers le Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique (FSER) qui représente leur principale source de revenus. Crée en 1982, soit un an après la mise en place de la promesse de campagne de François Mitterrand pour mettre fin à l’ORTF et libéraliser la radio et la télévision, ce fonds d’aides est complémentaire de l’Arcom (ex-Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) qui agit comme un contrôleur et un régulateur des ondes. Financé par l’État, le FSER accorde plusieurs subventions qui représentent en moyenne plus de 40% du budget des radios associatives. En échange, ces dernières ont des missions à respecter comme, par exemple, une obligation de diffuser un minimum de quatre heures de contenus d’intérêt local à l’antenne. L’autre partie du budget provient des dons, des différentes actions sociales et culturelles, des cotisations des adhérents. À cela s’ajoutent, parfois, quelques aides des collectivités, des emplois subventionnés et des locaux souvent prêtés.

« Notre richesse, elle vient de nos 80 bénévoles, de notre ADN et de notre discothèque » 

« Pour nous, le FSER représente même les deux tiers de notre budget de 60 000€. On a eu un jour une petite aide de la Région Centre pour investir sur du matériel, mais c’est tout. On vit uniquement avec les aides de ce fonds, nos actions et les cotisations à 30€ », nous apprend Thomas Cherrier, le président de Radio Béton depuis 2015, au dernier étage de l’espace Gentiana où réside la station. L’ancienne radio pirate et étendard local du rock français alternatif dans les années 80, qui aux grés d’aventures forgeant sa forte identité a obtenu son autorisation d’émettre en 1990, a toujours été dans une logique de débrouille pour exister. Et ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer. « La plupart des radios asso ont peu de moyens. Il faut savoir bricoler et surtout avoir une bonne gestion. La grande force de Radio Béton a toujours été de ne jamais être gourmand, de toujours réfléchir au moindre investissement. On sait qu’on ne sera jamais riche donc il faut faire des concessions. Notre richesse, elle vient de nos 80 bénévoles, de notre ADN et de notre discothèque » complète le responsable de formations au Cefim. Radio Béton compte deux salariés et deux services civiques et propose 35 émissions hebdomadaires. L’une de ses autres missions au quotidien est de s’occuper des nombreux documents administratifs à rendre à l’Arcom et au FSNR. Des dossiers lourds, parfois complexes, souvent lents à monter, mais indispensables pour vivre et émettre comme l’indique Thomas Cherrier : « On est quand même bien aidé par l’Arcom. Ils sont accessibles et arrangeants. C’est très chronophage, mais on n’a pas le choix, ça fait partie des règles pour exister. »

Épouser son époque tout en préservant leur identité

L’un des objectifs principaux pour ces radios réside également dans un « ADN » qui s’est constitué dans le temps et à laquelle il faut subtilement y intégrer de la modernité, sans toucher à l’identité de base de la radio. Pour veiller au grain, chacune de ces radios peut compter sur son conseil d’administration, une sorte de garde-fou de la ligne éditoriale. « Aujourd’hui, la radio tend vers de nouvelles problématiques, comme le social, l’écologie. On n’essaie pas d’être des journalistes, mais de simplement mettre en valeur les acteurs, les initiatives qui touchent à ces sujets en leur laissant la parole et faire évoluer le champ des idées. On ne peut pas passer à côté de ces thématiques. C’est comme les courants musicaux, même si ça fait débat il fallait qu’on ouvre la radio à de nouveaux styles sans pour autant chambouler notre méthode de fonctionnement, notre style, pour les présenter » explique Thomas Cherrier. 

Dans le quartier des Deux-Lions de Tours, Mélissa Wyckhuyse, chargée d’antenne et journaliste pour Radio Campus depuis 2017, abonde dans ce sens : « Notre crédo c’est l’information, la culture et les musiques actuelles. Des thématiques qu’on aborde sur notre grille grâce à nos divers partenariats (avec le Temps Machine de Joué, les cinémas Les Studios, le Festival de BD À Tours de Bulles, les Assises du Journalisme…) et à notre réseau Radio Campus très important. Alors oui, les partenariats ne sont pas fixés dans le temps, mais on cherche à chaque fois que les contenus, les émissions qui en ressortent restent populaires, dans l’air du temps, accessibles pour nos auditeurs et qu’ils trouvent à chaque fois un intérêt parmi nos bénévoles étudiants. » Dotée d’un réseau de 29 radios, Radio Campus, qui cherche à mettre en valeur les différents pôles universitaires des villes où elle est implantée, profite de cet atout pour échanger ses programmes et ses bénévoles. « C’est la force du réseau. Par exemple pour les Assises du journalisme (en mars, ndlr), je préviens les autres Campus de l’événement et l’on reçoit ensuite des bénévoles étudiants en journalisme pendant l’événement. On monte une émission ensemble en direct. C’est très constructif, on est une fabrique quelque part. Nous aspirons à l’intérêt général et c’est une richesse d’avoir un tel réseau. D’autant qu’on essaye de démocratiser au maximum certaines matières, filières parler au plus grand nombre. »

Un futur sans la FM ?

 « La joie se partage ». Le slogan coloré du logo de la station RCF (Radio chrétienne francophone) résume très rapidement l’identité du média. À l’image de la religion chrétienne, les 64 stations locales proposent une grille de programmes tournée vers des messages d’espoir et de joie. « Nous ne sommes pas le média officiel de la religion chrétienne. On parle de tous les sujets sans filtres et l’on veut toujours qu’ils soient traités avec bienveillance, positivisme et avec du respect par rapport aux personnes interviewées. On ne veut pas qu’elles se sentent piégées, c’est tout le contraire », détaille Elric Huguet du Lorin, directeur des antennes Indre-et-Loire et Loir-et-Cher, dans le grand appartement qui accueille la station rue Jules Simon à Tours.

Fort d’un budget important de 300 000 euros, dont la majeure partie provient des dons et d’une aide du diocèse de Tours, la radio cherche depuis plusieurs années à prendre le virage du numérique. Comme la plupart des radios qui observent leur audimat baisser et prendre de l’âge.  « Beaucoup de personnes, notamment les 20-30 ans, écoutent aujourd’hui la radio ou des contenus sonores via le numérique. Il faut qu’on y soit plus présent. C’est l’un des objectifs pour demain. On propose déjà beaucoup de podcasts sur des thèmes variés, mais on aimerait en développer davantage au niveau local et qui seraient écrits et réalisés par des jeunes pour les jeunes, souhaite le directeur. 

Du côté de Béton, il n’y aura pas de cible à l’avenir comme il n’y en a jamais eu. « On est peut-être de vieux cons, mais on n’a jamais ciblé quoi que ce soit. On sait par contre qu’on doit être plus présent sur internet pour préparer l’avenir. Aujourd’hui, on a la chance d’avoir la bande FM, mais pour combien de temps encore ? Les Suisses vont l’arrêter l’année prochaine… Et les alternatives comme le DAB + (système de radiodiffusion numérique, NDLR) ont du mal à prendre. Il va falloir anticiper tout en conservant l’esprit Béton » assure Thomas Cherrier. Pour Melissa Wyckhuyse, la radio doit rester sur la Bande FM « le plus longtemps possible. Je ne vois pas un bouleversement vers le tout numérique. Le podcast c’est intéressant et c’est une nouvelle ouverture, mais c’est quand même plus une aventure en solo. Rien ne remplace l’émission en direct, cet esprit d’équipe et de partage. Puis on est coupé de tout. On a la tête uniquement à notre émission. La bande FM permet aussi de parler à un public très large, ce qui permet de donner envie aux gens de rejoindre l’aventure. C’est comme ça qu’on passe le témoin et qu’on assoit une radio dans le temps. » En montrant la voix.

Radio communautaire : Fixée depuis 1990 sur la bande FM, Radio Antenne Portugaise est une radio communautaire qui s’adresse principalement à la diaspora portugaise ou d’origine portugaise installée en Touraine. Contrairement à la grande majorité des radios associatives, elle n’est pas dans l’obligation de respecter le quota de diffusion de 40% de musiques françaises ni celui des 4h quotidiennes d’émissions à intérêt local. Basée à Ballan-Miré, RAP propose 58% de ses programmes en portugais, 40% en français et 2% en anglais. Au programme, de celle qui peut compter sur ces 12 bénévoles, dont son président et directeur d’antenne Eduardo Sousa, on retrouve « des émissions de cuisine, les diffusions, via un décrochage vers la radio publique portugaise, de tous les matchs de football de la sélection et des équipes professionnelles portugaises sans oublier le fado, les émissions consacrées à l’accordéon, la présentation d’associations locales, et à chaque heure un bulletin d’information là encore grâce à une radio publique portugaise. » Une programmation qui séduit aussi bien les Portugais que les Français, notamment pour les émissions de musette. »

Un degré en plus :

Lire également l’interview de Bruno Delor, président de CITERADIO

*RFL 101, Radio Active, Radio Béton, Radio Campus, Radio Antenne Portugal, RCF, et Cité Radio.

Reportage : Pierre-Alexis Beaumont

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