Qui est Léa Martin-Habif, l’artiste du Pont Wilson cet été à Tours ?

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Chaque année, nouveau décor pour le Pont Wilson de Tours : le plus emblématique des axes traversant la Loire se pare de drapeaux appelés pavois le temps de la saison estivale. Et depuis une demi-douzaine d’année avec des artistes différents, via un partenariat entre la ville et Mode d’Emploi. Pour 2022 c’est Léa Martin-Habif qui a imaginé les visuels. Voici son portrait.

Un coup de téléphone entre la Touraine et l’Indre : formée aux Beaux-Arts de Tours, Léa Martin-Habif a récemment déménagé chez nos voisins du 36 et nous répond de là-bas. Eloignée des rives de la Loire, elle n’en reste pas moins attachée au territoire qui l’a faite grandir artistiquement. « J’ai eu une éducation très portée sur la culture. Avec mes parents c’était naturel d’aller voir des expositions, des concerts ou du cinéma » explique cette plasticienne qui a créé ses premiers objets persos dès la petite enfance, citant son grand-père bricoleur parmi les bases de ses influences. Et avec l’âge, la passion s’affirme. A l’adolescence, elle se dirige vers un bac avec option arts plastiques, « parce que ça permet de gagner des points en faisant un truc qui nous fait plaisir et que l’on peut approfondir de façon scolaire. »

Pourtant, une fois le diplôme de fin de lycée en poche, Léa Martin-Habif délaisse le cursus artistique pour s’orienter vers la fac de psycho : « Je ne sentais pas qu’il y avait un parcours professionnel pour moi. » Elle continue de faire un peu de couture ou de l’argile, sans ambition particulière. Au bout de quatre ans d’études, elle imagine un temps se spécialiser dans l’art-thérapie. Autre fausse piste… « J’ai décidé de me concentrer sur ma créativité à moi donc j’ai passé le concours des Beaux-Arts » se remémore-t-elle. Nous sommes à la rentrée 2013 et cette fois c’est la bonne :

« J’ai pu expérimenter à une autre échelle des choses plus anecdotiques ou susurrées avant, que j’ai pu mettre en pratique sans complexes. C’était un peu la grande patouille. On teste et on voit si ça marche. »

Au sortir de la formation, la jeune femme affirme son style et s’oriente vers les œuvres en volume. « J’aime beaucoup utiliser des matières en lien avec la construction comme le plâtre ou le bois. Des choses qu’on trouve dans n’importe quel magasin de bricolage » nous dit Léa Martin-Habif. Le résultat « n’est pas fonctionnel mais évoque l’habitation. » Et c’est là qu’on retrouve le lien avec les quatre ans de fac de psycho, « qui m’ont construite même si elles n’ont pas été productives pour ma carrière. Les réflexions que j’y ai développées font ce que je suis ». Des pensées centrées sur la place que prend l’humain dans son environnement :

« On vit un peu dans des boîtes, des choses qui nous caractérisent quand on les choisit. J’avais envie de me pencher là-dessus, comment les corps s’adaptent aux espaces. Comment on ressent les espaces dans notre corps à nous. Ça m’intéresse au niveau social. »

C’est pour ça que les œuvres de Léa Martin-Habif invitent souvent à se contorsionner pour les apprécier. Lors de leur conception, elle-même s’implique physiquement dans le processus d’élaboration, par exemple via des sculptures inspirées de la taille de son bras ou de productions faisant référence à un geste particulier. Il y a aussi ces expositions où l’artiste invite à se baisser ou à ne pas marcher droit : « J’aime bien bloquer le passager, que l’on ne se mette pas juste à la bonne distance du mur pour regarder une œuvre. J’ai envie ressentent mon travail. Qu’ils soient obligés de modifier quelque chose dans leur attitude. »

Au fil du temps, cette façon de faire est devenue la marque de fabrique de Léa Martin-Habif.

« Il y a quelque chose de l’ordre de l’autobiographie. C’est une façon de parler de moi de retranscrire une expérience. J’ai l’impression qu’on ne parle pas souvent de comment nos corps fonctionnent. De ce que ça fait de tendre un bras vers le haut, par exemple. »

Dans ce processus, l’artiste souligne qu’elle laisse une forte place à la spontanéité : « Je pense aux gestes mais je réfléchis simplement à leur faisabilité. Je ne fais pas 12 ans essais et ne cherche pas le résultat idéal. Si ça ne convient pas, j’essaie autre chose. Récemment, je me suis aussi penchée sur d’autres techniques car travailler sur soi peut parfois être enfermant. Par exemple en ce moment je travaille plus sur le dessin. » Ça tombe bien, c’est du dessin qui est demandé pour les pavois du Pont Wilson de Tours. En l’occurrence 16 pour décore l’ensemble des mâts reliant les rives nord et sud.

Des affiches et images de films détournées

Inauguré ce vendredi 24 juin, le cheminement fait la part belle au cinéma, à l’occasion des 50 ans de la Cinémathèque de Tours, cette institution qui diffuse régulièrement des films cultes ou patrimoniaux. De quoi parler à Léa Martin-Habif qui participait à ces séances lors de son cursus aux Beaux-Arts, avec la consigne de dessiner pendant la projection aux cinémas Studio (même si c’est difficile dans le noir, et même si elle raconte qu’elle était parfois si captivée par le film qu’elle en oubliait les crayons).

Pour son travail, l’artiste a donc repris des affiches de films ou des images issus de longs métrages qui lui parlent. Et elle en a fait des silhouettes colorées, entièrement au crayon de papier (pas de numérique, à part pour les scans permettant de créer le grand format). Pour la conception, elle a réutilisé une technique déjà éprouvée il u a 3-4 ans et baptisée Sleeping the borders :

« J’avais utilisé un grand carton alvéolé au format d’un lit sur lequel je me suis couché de deux façons, mes deux positions favorites pour dormir. J’ai demandé à quelqu’un d’en tracer les contours. Et plutôt que d’avoir une silhouette façon corps sans vie que je ne trouvais pas intéressante j’ai schématisé en cassant la courbe, et en tirant des traits entre les points les plus importants. Ces formes géométriques m’ont assez vite fait penser à des zones géographiques du style des Etats africains ou américains. Ainsi ça évoque des zones, des territoires, des pays dans lesquels on se trouve dans un état de sommeil. »

Une référence au rêve donc… Et c’est un peu comme ça qu’elle voit les films, « des moments à part, des espaces quoi n’existent que dans un temps très restreint. » Pour le Pont Wilson, Léa Martin-Habif a commencé par une sélection d’une soixantaine de films avant de n’en garder que 16. Et quand on traverse la Loire on peut donc chercher à les reconnaître : « Sur les cinéphiles pointus ça marche bien » glisse l’artiste. Pour les autres, il y aura des antisèches de chaque côté. Peut-être de quoi donner envie de voir ou revoir ces longs métrages ? C’est l’objectif final de la plasticienne très engagée pour la transmission (elle vit beaucoup des cours donnés aux Beaux-Arts ou d’interventions dans les écoles). Son crédo résumé en une phrase : « provoquer la curiosité chez d’autres personnes »

 

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