Quand la BD milite pour l’écologie : une table ronde passionnante au festival A Tours de Bulles

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Pour la deuxième année, 37 degrés s’associe au festival A Tours de Bulles pour l’animation d’une table ronde. Après avoir évoqué le difficile sujet de la schizophrénie en 2022, nous nous intéresserons à l’écologie ce dimanche 17 septembre dès 14h30 au 1er étage de la salle Ockeghem, Place Châteauneuf. Deux auteurs participent à l’événement : d’un côté Alessandro Pignocchi qui signe la série Petit traité d’écologie sauvage et raconte en BD son immersion dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. De l’autre Philippe Squarzoni, auteur des ouvrages pédagogiques et militants Saison Brune et Saison Brune 2.0. Ce dernier nous accorde un entretien avant sa venue à Tours.

Publiés par les éditions Delcourt, Saison Brune et Saison Brune 2.0 sont deux BD massue. Par leur poids, déjà. Par leur impact sur le cerveau, surtout. Quand on les referme, on se demande un peu ce qu’on fait encore là avec tous nos appareils électriques en veille, nos multiples voyages en avion, nos aliments suremballés ou nos vêtements qui viennent du bout du monde. En plus de 700 pages, sur deux volumes, l’auteur nous assène une myriade de chiffres tous plus angoissants les uns que les autres, illustrant la façon dont l’humanité a déréglé le climat et l’impact du numérique sur la consommation d’énergie. Rythmés par des interviews et des scènes de vie aux dialogues fins, les ouvrages constituent une formidable base documentaire sur l’état de la planète en ce début de XXIe siècle, et sur la façon dont on a bien du mal à en prendre soin.

Parmi la kyrielle d’informations contenues dans les bulles, ne demandez pas pourquoi, mais il y en a une qu’on a retenue un peu plus que les autres : dans les années 60, on était capable d’envoyer des hommes sur la Lune avec 70ko de données, aujourd’hui cela suffit à peine pour envoyer un mail. De quoi méditer un bon moment. On pourrait aussi relever que l’essor du numérique n’a pas fait baisser la consommation de papier, au contraire. Ou que les plus grosses entreprises du net ont aujourd’hui une consommation énergétique équivalente à celle d’un pays comme le Chili.

Ce qui interpelle également, c’est à quel point on n’avance pas. Le premier tome de Saison Brune est sorti il y a une décennie. Et pourtant, à quelques chiffres près, il pourrait avoir été publié le mois dernier. « Politiquement et structurellement, le constat d’inaction est toujours le même » confirme Philippe Squarzoni. « Ce qui a changé, c’est qu’à l’époque on avait une fenêtre de tir pour s’adapter et réduire nos émissions. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. »

L’auteur le concède : quand il a commencé à travailler sur ce projet il n’était pas vraiment au fait du sujet. A l’époque, il planchait sur un bilan de la présidence de Jacques Chirac. « La question de l’écologie, je la laissais de côté car je la trouvais un peu vaste et compliquée. » De fait, il a passé près de 6 ans à potasser le dossier pour produire son pavé, récompensé d’un prix de l’Académie Française. « Ma fierté c’est qu’il n’a jamais été attaqué » souligne Philippe Squarzoni. Il est vrai que Saison Brune ne fait pas dans la moralisation ou la radicalité. Pour caricaturer, disons que c’est un rapport technique rendu accessible à tous par le prisme de la vulgarisation et du dessin. Un médium essentiel pour bien comprendre de quoi il en retourne.

Et à la fin, ce constat : dans les années 90 Chirac disait « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », 30 ans plus tard c’est toujours le cas. « C’est tragique » assène Philippe Squarzoni qui nous dit avoir été victime de nombreuses insomnies à force de prendre conscience de l’ampleur du problème. « On réalise vite qu’il y a un sentiment d’impuissance personnelle et qu’il faut un changement plus structurel » relève-t-il. Problème, comme il l’écrit lui-même, personne n’a vraiment envie de renoncer à son confort ou de mettre en œuvre des actions qui pourraient mettre en marge de la société. « Des fois on n’est pas le citoyen modèle qu’on voudrait être. Il y a des jours où le quotidien prend plus de place, ou on a d’autres problèmes à régler. »

Philippe Squarzoni ne veut pas provoquer un big bang dans la vie de ses lectrices ou lecteurs. L’idée ce n’est pas de lire Saison Brune et d’aller vivre dans la forêt en se nourrissant exclusivement de plantes sauvages. Il le dit d’ailleurs : « Je ne rejette pas tout le numérique. Cela permet extrêmement de choses positives en gain de temps ou pour la santé. La question c’est est-ce qu’on peut en faire un usage plus instruit, plus responsable ? » En clair, de quoi a-t-on VRAIMENT besoin ? « Pour quelqu’un qui a commencé sa vie avec un smartphone à la main, c’est plus difficile de faire une cure de numérique » concède-t-il également. Ainsi, sa volonté c’est surtout de provoquer une prise de conscience, un certain malaise, pour « prendre du recul par rapport à son mode de vie. L’intranquilité est nécessaire pour modifier à la marge notre quotidien et, éventuellement, notre vote. »

Du coup, l’auteur ne se définit pas spécifiquement comme militant écologiste. Et ce, malgré un passage dans l’organisation ATTAC. En revanche, ce qu’on comprend en filigrane, c’est que de petits pas ne suffiront pas à provoquer un ralentissement significatif du changement climatique. Seuls des bouleversements radicaux y parviendront comme une sobriété énergétique drastique. Problème : « Politiquement ce n’est pas vendeur. Ceux qui tiennent ce discours sont stigmatisés et vus comme des donneurs de leçons. »

Pourquoi ? Réponse de Philippe Squarzoni : « Organiser la rareté en temps de crise, de guerre ou d’épidémie on l’a déjà fait. Mais pas en temps d’abondance. En plus ce n’est pas juste un mauvais moment à passer. Ce n’est pas genre on arrête les sports d’hiver 5 ans puis ça ira mieux. Non, c’est pour toujours. On ne pas promettre un mieux aux gens, juste un pas moins bien. » 

Le résultat c’est que Saison Brune et son homologue consacré au numérique ne se terminent pas bien. « Si aujourd’hui je devais attaquer le premier tome je ne sais même pas si je le ferai » avoue son auteur. « L’accélération du changement climatique est beaucoup plus rapide que je ne le pensais. Toutes les réductions d’émissions ne porteront pas d’effet avant 20 ou 30 ans. » Ainsi, Philippe Squarzoni estime que si la société décide un jour de mesures d’ampleur, elle le fera « trop tard et dans la précipitation, en bricolant à toute vitesse et sans consultation démocratique lente. »

Un degré en plus :

A Tours de Bulles est un festival de BD qui reçoit plusieurs dizaines d’auteurs sur 2 jours les 16 et 17 septembre. Au programme : dédicaces, expositions, rencontres, animations pour les enfants, projection ciné, conférences… Cela se passe notamment Place Châteauneuf et c’est gratuit. Les détails sur www.atoursdebulles.fr.

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