« Le CCC OD est un lieu emblématique pour la ville de Tours »

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Au 55 rue Marcel Tribut, derrière la façade en plexiglas présente depuis 2007, le CCC vit ses dernières heures. La semaine prochaine, le centre d’art contemporain tourangeau aura en effet déménagé dans son nouvel antre, l’impressionnant CCC OD dessiné par les architectes Aires Mateus en haut de la rue Nationale.

cccod_chantiersept2016-ccc-od-a-mineo-hdCCC OD (c) A.Mineo

Pour l’heure, cette semaine, il y a encore de la vie dans ce lieu occupé depuis 1996 par le directeur Alain Julien-Laferrière et son équipe. En franchissant la porte,  le CCC, bientôt ancienne version, présente une drôle d’exposition faite de cartons empilés et de documents soigneusement regroupés, témoins de 20 années de présence en ces lieux.

Le CCC s’apprête ainsi à franchir un cap, et si l’ouverture au public n’est prévu que dans six mois, pour la dizaine de salariés (bientôt 15), l’aventure CCC OD c’est déjà demain. Une nouvelle page ou plutôt un nouveau chapitre ambitieux pour le centre d’art contemporain tourangeau, dont l’histoire a débuté en 1977 sous l’impulsion d’Alain Julien-Laferrière.

img_1059Le CCC, rue Marcel Tribut, mardi 27 septembre 2016 (c) 37°

Ce dernier est une figure du milieu culturel tourangeau sans pour autant être forcément connu du grand public. Plutôt discret de nature, l’homme n’est pas du genre à s’attarder sur sa personne et ce n’est pas ce nouveau virage, donnant une envergure importante au projet qu’il porte depuis près de quarante ans maintenant, qui changera les choses comprend-on rapidement quand on le rencontre en cette fin septembre. L’homme refuse poliment un portrait-photo et se montre peu bavard quand on aborde sa personnalité, avant de se montrer a contrario prolixe quand on aborde l’art contemporain. Entretien.

img_0956Alain Julien-Laferrière lors d’une présentation du CCC OD en juin 2016 (c) 37°

37° : Bonjour Alain Julien-Laferrière, le CCC s’apprête à déménager vers le CCC OD en haut de la rue Nationale. Cela va changer beaucoup de choses pour vous. Ressentez-vous un poids supplémentaire sur vos épaules ?

Alain Julien-Laferrière : Même si nous étions satisfaits des locaux que nous avions, nous sommes heureux de s’installer enfin dans des locaux corrects qui donneront à l’art contemporain la place qu’il mérite. De notre côté, cela ne changera pas notre travail et il n’y a aucune raison pour que l’on change notre façon de travailler. Simplement on va la démultiplier et on agrandit l’équipe afin de porter des enjeux supplémentaires, avec trois fois plus de public, d’ambition et d’artistes, mais nous n’avons aucune pression supplémentaire parce que l’on va continuer de faire ce que l’on sait faire.

37° : Aujourd’hui l’art contemporain semble avoir toute sa place dans une politique culturelle, ce n’était pas forcément le cas il y a trente ans. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

Alain Julien-Laferrière : Pour notre génération cela a été un vrai combat pour imposer l’art contemporain en tant que tel. Entre les tenants d’un art classique et le milieu culturel dominé par le domaine de la parole, à qui on a confié notamment les maisons de la culture dans les régions, les arts plastiques n’avaient pas leur place. Quand on a commencé cette aventure en 1977, nous faisions partie d’une dynamique qui a amené à la création des centres d’art dits de la première génération. Cela a été des aventures partagées ou individuelles, jusqu’au moment où chacun d’entre nous est passé à des locaux avec une programmation à l’année. Ce fut le cas avec le CCC à Tours, mais aussi à Bordeaux, Lyon-Villeurbanne ou Dijon.

37° : Quelles étaient vos ambitions à l’époque ?

Alain Julien-Laferrière : Ceux qui ont forcé cette porte l’ont fait au nom du public, pour dire l’art c’est la vie, il faut le partager, le mettre en relation avec le public.

37° : Aujourd’hui vous avez avec le CCC OD une reconnaissance institutionnelle forte. Pour y arriver il a fallu passer par un cheminement progressif.

Alain Julien-Laferrière : Le CCC a évolué au fil du temps, a changé de local en passant de la rue Racine derrière la cathédrale, à la rue Marcel Tribut. Mais dès le premier jour on a toujours travaillé en se disant qu’une institution d’art sortirait un jour. Avant ce projet de CCC OD, on avait déjà préparé le terrain. On a fait quatre projets qui ont été jusqu’aux concours internationaux, réunissant tous les grands noms de l’architecture de la déconstruction comme Daniel Libeskind, devenu depuis l’architecte de Ground Zero. Ces concours étaient fait pour enclencher une dynamique, une réflexion, je ne me faisais aucune illusion sur la non-réalisation de ces projets.

006Le CCC rue Marcel Tribut (c) B.Fougeirol

37° : Qu’est-ce qui a fait que ce dernier projet était finalement le bon ?

Alain Julien-Laferrière : Ce projet additionnait notamment deux éléments principaux. Tout d’abord le fait qu’Olivier Debré souhaitait que si quelque chose se faisait autour de son œuvre, il ne voulait pas un mausolée mais être confronté aux jeunes à travers un centre d’art. Ensuite, le CCC arrivait à maturité pour porter ce projet ambitieux. Je ne crois pas aux projets qui sortent comme ça, pour qu’un projet voit le jour il faut qu’il y ait une conjonction de planètes, un alignement qui réunisse des ambitions, un calendrier, une volonté d’élus, des budgets…

37° : Un projet comme le CCC OD manquait à Tours ?

Alain Julien-Laferrière : Cette ville est en instance d’une visibilité culturelle qu’elle attend depuis longtemps. Depuis le refus des maisons de la culture par Jean Royer, il n’y a rien eu de fait. Avec le CCC OD, Tours a son emblème culturel qui lui manquait et s’en sert en plus de prétexte pour refaire l’entrée de ville du haut de la rue Nationale avec ce parvis qui s’ouvre sur la ville. C’est une révolution dans cette ville et je crois que ce chantier est plus important encore que celui du Centre des Congrès. La ville est en train de changer et de s’affirmer sur le plan culturel. Ce bâtiment doit en être le symbole qui dit « venez à Tours, installez-vous ici, vous êtes dans une ville de la culture », ce qui est vrai mais pas forcément visible pour le moment.

37° : Justement parlez-nous un peu du bâtiment qui a été conçu par les architectes Aires Mateus.

Alain Julien-Laferrière : Il faut rappeler d’abord que ce projet est né parce que des élus de différentes collectivités ont réussi à se mettre d’accord sur un projet. De notre côté nous ne sommes qu’une pierre parmi d’autres et nous ne construisons pas ce bâtiment mais nous en sommes locataires. Sur l’architecture,  Tours est une ville du sud et n’aime pas l’ostentatoire. Cela fait sourire quand je le dis mais Tours est une ville historiquement au sud de la Loire, fleuve qui fait office de frontière entre le sud et le nord de l’Europe. Il fallait donc un bâtiment qui se fonde dans le paysage, un bâtiment classique et noble en pierre de taille, où le blanc prédomine afin qu’il soit lumineux.

37° : Et l’intérieur du bâtiment ?

Alain Julien-Laferrière : Ce bâtiment reprend l’histoire de l’art contemporain et les volontés des artistes. Les salles blanches ou « white cubes » sont issues de pensées modernistes d’artistes désirant des espaces qui soient contrairement à l’image des musées, sans boiseries ou mobiliers afin de simplement laisser l’esthétique des œuvres s’exprimer. La salle noire qu’il y aura est un écho à l’arrivée du cinéma, de la vidéo et de la nécessité d’espaces sans lumières. Enfin la Nef renvoie au désir des artistes de rencontrer le public avec ces vitres transparentes qui permettront au public de voir les œuvres de l’extérieur. Ce bâtiment est fait pour que l’art rencontre les gens.

img_6314La Nef (c) M. Dufois

37° : Pouvez-vous rappeler ce qu’est un centre d’art ?

Alain Julien-Laferrière : Un centre d’art est un lieu sans collection, un lieu fait pour inviter des œuvres, des artistes, pour produire des expositions et les faire circuler. Ainsi un centre d’art ne s’occupe pas des objets d’art mais se focalise sur l’apparition de l’art. Il invite à la curiosité. Je le répète souvent, mais avec l’art contemporain vous êtes dans la vie de tous les jours, il n’y a pas besoin de culture pour l’admirer, mais simplement de la curiosité. L’art contemporain est ouvert à tous.

37° : Pourtant l’art contemporain a souvent souffert d’être perçu comme élitiste.

Alain Julien-Laferrière : C’était le cas il y a trente ans pour des personnes de ma génération. Aujourd’hui votre génération prend ce qu’elle a envie de prendre dans l’art. Regardez le marketing, le monde des affaires… tous empruntent à l’art. Certes ce n’est pas l’art de Fra Angelico, mais c’est celui d’aujourd’hui, de son époque. Si j’ai un message à faire passer ce serait de dire : « Fréquentez l’art, pensez en ce que vous voulez, prenez le comme vous le souhaitez, cela n’a aucune importance, mais soyez curieux  ».

37° : Est-ce cette volonté d’ouverture à tous qui se traduit par des tarifs abordables avec un ticket d’entrée au CCC OD à six euros ?

Alain Julien-Laferrière : D’abord on ne passe pas d’un CCC qui était gratuit à un CCC OD qui devient payant. La moitié du lieu sera gratuit. Je reste personnellement un militant de la gratuité de l’accès à l’art. C’est impensable pour moi de dire que l’on doit payer pour avoir un regard sur l’art. En revanche c’est vrai aussi qu’il faut financer les choses. C’est pourquoi on a essayé de trouver un équilibre entre les deux.

La Grande Nef sera visible tout le temps de l’extérieur. Il y aura également des QR codes explicatifs sur les vitres. On pourra également entrer gratuitement au CCC OD pour avoir accès à la librairie ou au café et à l’étage avoir une vue plongeante sur la Nef et les œuvres qui y seront exposées. C’était important de garder cette entrée gratuite dans ce bâtiment qui a coûté 16 millions d’euros. C’est de l’argent public, il appartient aux contribuables qui l’ont payé, c’est donc normal qu’ils puissent y entrer. Après si le public veut faire l’expérience de la création et des expositions, c’est à ce moment-là qu’il faudra payer.

37° : Parlez-nous d’Olivier Debré qui donne son nom à ce nouveau lieu.

Alain Julien-Laferrière : L’objectif n’était surtout pas de faire un musée monographique sur Olivier Debré, d’une part il ne le souhaitait pas et ensuite des études menées par le passé ont montré que cela ne marcherait pas. Ensuite, montrer cet artiste à Tours n’a pas un grand intérêt je pense, certaines œuvres étant au Musée des Beaux-Arts ou ailleurs, en revanche faire que cet artiste qui est tourangeau et qui est connu dans le Monde continue de rayonner, cela est intéressant. On a ainsi récupéré un fonds Olivier Debré (ndlr : plus de 300 œuvres au total) qui va permettre de mettre en place un travail scientifique dessus. D’un autre côté nous allons être en veille permanente sur les expositions du monde entier pour que les œuvres de Debré puissent trouver leur place partout où ce sera possible.

37° : Avec le FRAC à Orléans, la région Centre-Val de Loire se dote ainsi d’un deuxième centre d’art contemporain. Cela ouvre forcément des perspectives non ?

Alain Julien-Laferrière : La région Centre-Val de Loire rattrape un peu son retard. Demain on sera obligé de tenir compte de Tours grâce au CCC OD. Nous avons la chance d’être dans une région au fort tourisme international, seulement les choses se mettent lentement en place ici. Pour le moment rien est encore acté mais il y a quelques pistes de réflexions sur un projet régional autour d’une manifestation d’art contemporain réunissant Orléans, Tours et Chaumont-sur-Loire.

37° : Dernière question, que va devenir la façade du CCC ?

Alain Julien-Laferrière : On se rend compte que les Tourangeaux y sont attachés. Pour le moment elle va être démontée et nettoyée puis stockée en attendant de lui trouver une destination qui lui convienne.

003La façade du CCC (c) B.Fougeirol

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