En ce début 2024 le Bateau Ivre de Tours a deux actualités réjouissantes : il a rouvert son balcon, disposant désormais d’une jauge pouvant atteindre 450 places. De plus, la plus grande société coopérative culturelle de France vient d’achever la rénovation de son toit. C’en est donc fini des gouttes qui tombaient parfois à l’intérieur lors des grosses intempéries. Une bonne nouvelle qui marque la fin d’un vaste plan de travaux à 1,3 million d’€ pour rénover ce bâtiment de la Rue Edouard Vaillant, sauvé de la démolition après une grosse mobilisation populaire. Malgré cela, la SCIC Ohé est en difficulté, peinant à trouver une sérénité économique.
Des soirées qui affichent complet et d’autres qui sonnent un peu creux : ces derniers mois la fréquentation fait un peu le yo-yo au Bateau Ivre. Un cas loin d’être isolé dans le paysage culturel tourangeau mais qui préoccupe quand on sait que l’équilibre financier de la structure est fragile. « A chaque fois qu’on ouvre ça nous coûte de l’argent » assène Franck Mouget, l’un des responsables du site. « Fier » du travail abattu depuis 15 ans pour rouvrir la salle et la garder à flots, l’artiste salue « le tour de force » pour en faire un équipement moderne (son qualitatif ou programmations d’envergure nationale). Il loue le rapport chaleureux avec le public ou les retours positifs de celles et ceux qui se produisent sur scène mais n’élude pas les difficultés :
« Le bilan est moins négatif qu’en 2022 mais reste dans le rouge. On investit encore énormément. Les charges, les prêts, les amortissements… Il va encore falloir travailler beaucoup pour arriver à l’équilibre. »
Persuadé qu’une salle comme le Bateau c’est « un besoin vital », qui plus est en centre-ville, Franck Mouget s’active pour que l’entreprise reste à flots. Ainsi, après avoir longtemps cherché l’autonomie en solo, cela fait des mois que la SCIC Ohé fait du lobbying auprès des collectivités locales afin d’obtenir des subventions pour financer de l’emploi culturel et technique. Un axe décidé en assemblée générale afin de renflouer les comptes.
« Il faut continuer à avoir cette pédagogie active. C’est dur d’être indépendants avec cette qualité de service là. Avec notre activité, on a de quoi financer les charges fixes mais il nous manque 300 000€ pour l’artistique » détaille l’administrateur. 300 000€, c’est le montant que le Bateau Ivre espérait récolter via une souscription publique lancée mi-décembre 2023. Intitulée « Vous reprendrez bien une part du Bateau », la campagne encourageait particuliers, entreprises, associations ou collectivités à acquérir des parts sociales à 100€ pièce afin de redonner des liquidités au lieu. 3 mois plus tard, le bilan est maigre avec à peine 10% de la somme récoltée. « On en a un peu tous les jours mais ce n’est pas suffisant » concède Franck Mouget.
Parmi les difficultés du Bateau Ivre : réussir à intéresser au-delà des frontières tourangelles. Au début le côté unique du projet a intéressé des artistes et médias nationaux. Quelques grands noms de la scène culturelle continuent de porter le combat mais l’intérêt médiatique s’est assez logiquement tari. Franck Mouget en est frustré :
« Je pense que la dynamique citoyenne et la jouissance de la joie militante pourrait intéresser le public. C’est une utopie réelle. »
Alors faut-il vraiment s’inquiéter pour l’avenir de la salle ? Localement, certaines voix maitrisant les sujets culturels ne font pas mystère de leur scepticisme pour l’avenir. Pour autant, en 2 ans et demi d’activité, le Bateau Ivre c’est quand même 850 équipes accueillies pour un total de 60 000 entrées ce qui est loin d’être négligeable. Ces derniers mois, la salle s’est recentrée sur les concerts qui attirent plus de monde et permettent davantage de rentrées financières au bar, comparé aux autres types de soirées. Elle reste tout de même très ouverte sur le théâtre, le jeune public ou les conférences, renouvelant par exemple son partenariat avec Les Assises du Journalisme.
D’ailleurs, parmi les sources de revenus envisagées, Franck Mouget évoque la multiplication des partenariats public-privé. Les soirées à prix libre ont été fortement réduites au profit d’entrées souvent proposées entre 8 et 20€. Les tarifs de la location ont également été revus. Proposés au départ à des sommes défiant toute concurrence pour les sociétaires, ils reviennent dans les normes afin d’éviter de fonctionner à perte. « On est le nez au raz de l’eau tous les jours mais ce lieu a une plus-value énorme et rend d’énormes services aux publics » assure Franck Mouget, satisfait par exemple de voir que de plus en plus de jeunes découvrent le Bateau (via des événements d’associations étudiantes).
La SCIC Ohé ne manque également pas de projets, promettant une installation visuelle monumentale sur la façade du lieu au printemps, et une nouvelle saison hors les murs pour les beaux jours (à défaut de réinvestir la Guinguette de Tours, le partenariat de 2023 n’ayant pas été renouvelé pour faire accoster le Bateau sur les bords de Loire). « On cherche encore mais on annoncera le lieu bientôt » assure Franck Mouget qui garantit enfin de belles têtes d’affiche musicales pour le mois de mai.