Du 22 au 24 mars, Tours accueillait la 8e édition du festival WET°, cet événement dédié à la jeune création théâtrale. Parmi les pièces présentées au cours du week-end il y en a une qui nous a complètement retournés : I’m deranged, de Mina Kavani.
On va souvent voir des représentations au Théâtre Olympia, à Tours. Certaines nous marquent plus que d’autres. Et puis il y a celles qu’on ne veut pas oublier, notamment ces prestations dont on aimerait garder éternellement le texte dans notre bibliothèque. I’m deranged en fait partie. Pour tout vous dire, avant le WET°8, on ne savait pas trop de quelle manière on allait couvrir l’événement sur 37 degrés. Et puis, à la réflexion, revenir sur ce spectacle est devenu indispensable. Il fallait laisser une trace de ce qu’on avait vu dans la grande salle de la Rue de Lucé.
I’m deranged, donc. Une heure de seule-en-scène pour la comédienne Mina Kavani. Dans le synopsis on nous apprend qu’elle a quitté l’Iran pour la France parce qu’elle a tourné nue dans un film et que c’est le genre de choses qui vous met en danger dans ce pays qui contrôle abusivement les faits et gestes de sa population, au nom d’une vision excessive de la religion. Mais maintenant qu’elle est en exil, l’actrice a le mal du pays et nous expose ses réflexions en pleine face.
La force de la performance est là. I’m deranged n’est pas un témoignage. Ce n’est pas l’histoire d’une femme qui quitte son pays pour une vie meilleure et qui se décrit épanouie, sûre et certaine de son choix. C’est même tout le contraire. Mina Kavani nous renvoie ses doutes, ses faiblesses, ses cas de conscience. Elle narre la douleur de ne parler à sa famille que via l’écran de son téléphone. Sa solitude dans cette nouvelle vie en accord avec ses valeurs, mais que son cœur désapprouve. Surtout, elle interroge notre pitié mal placée, se désolant d’être perpétuellement présentée comme une immigrée, une exilée. Plus vraiment iranienne, mais jamais complètement française.
Dans une mise en scène ostensiblement inconfortable (bruyante, noire et enfumée), Mina Kavani nous capte avec le son de sa voix : elle est en colère, frustrée, vexée. Et on la comprend. Et on s’interroge énormément. Elle fait mouche à de multiples reprises, notamment quand elle explique qu’elle rêve désormais de fuir cette ville de Paris dont elle a pourtant tant rêvé depuis l’Iran. C’est terrible d’assister à son mal-être, de se rendre compte que toute sa vie elle vivra avec des fantômes, des cicatrices.
Mina Kavani doit-elle rester en France et assumer ce statut d’artiste qui a fui la censure au nom de ses valeurs ? Ou doit-elle s’asseoir sur ses principes et retourner auprès de ses proches pour retrouver une certaine paix intérieure, au risque d’être en danger ? Dans la pièce elle nous raconte cette errance, sa famille qui l’engueule pour l’intimer de rester là où elle est, sa résistance face à ses parents. C’est massif. Ça nous broie le cœur. Cela nous renvoie aux débats récents sur les manifestations du peuple iranien après la mort d’une jeune femme arrêtée parce qu’elle portait mal son voile.
A travers ce texte, on comprend mieux pourquoi certaines personnes acceptent ces dérives autoritaires autant que l’on se convainc de la nécessité de lutter encore et encore pour tenter de les éradiquer. Ce témoignage qui sort des tripes est nécessaire à la compréhension du monde et de la psychologie humaine. Le public du WET° l’a bien saisi, gratifiant l’artiste d’applaudissements nourris et d’une ovation debout que l’on ne voit pas si souvent. Nous on était juste sonnés, mis KO par toute la force déployée en seulement une heure.