GRAND FORMAT : Mehdi Djaadi, l’humoriste qui veut s’engager à Tours

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Ce vendredi 12 avril Mehdi Djaadi se produit au Vinci de Tours. Si vous ne le connaissez pas, vous avez sûrement raté un truc car la salle de 700 places affiche complet. L’humoriste a également joué dans plusieurs films (dont Reste un peu de Gad Elmaleh en 2022, ou Comme un avion de Bruno Podalydès en 2015). D’autres projets sont à venir, dont la diffusion de son spectacle sur Canal+, une série sur Arte et peut-être un film au cinéma. Un long métrage inspiré de sa vie qu’il raconte volontiers. Entretien fleuve.

A la base on avait rendez-vous avec Mehdi Djaadi Place du Monstre. Mais le bruit de travaux nous a découragés, donc on a filé au Petit Atelier Place Châteauneuf. Un de nos repères pour les interviews mais il faut bien reconnaitre que c’est lui qui a proposé d’y aller. Un an qu’il vit à Tours et il connait déjà les bons plans. Le résident du quartier Velpeau arrive également à vélo électrique (et avec un casque, s’il vous plait). Au cours de la conversation, il reconnaîtra parfaitement son petit côté bobo. Cependant, sa personnalité ne peut pas se résumer à ça, loin de là.

Mehdi Djaadi parle franc mais sans excès. Chose appréciable, et pas si fréquente, il connait la nuance. Sait écouter. « J’ai très peu de certitudes. Il faut faire le pari de rencontrer les gens et en particulier ceux qui ne pensent pas comme vous » insiste-t-il. C’est ce qu’il a compris au cours des 5 ans d’exploitation de son spectacle Coming out dont l’ultime représentation a lieu dans sa nouvelle ville de cœur. L’épilogue d’un marathon de plus de 400 dates, entre les théâtres, les palais des congrès, les écoles… ou les prisons. Un cheminement qui a fait macérer et mûrir sa pensée :

« Elle s’est affinée. J’étais peut-être trop radical au départ, aujourd’hui je suis plus apaisé. Oui, j’ai changé »

Le texte a naturellement évolué en écho à cette transformation intérieure.

C’est le moment de préciser que l’humoriste a décidé de s’aventurer sur un terrain glissant : la religion. Qui plus est, la religion catholique, confession dominante en France qu’il a embrassée après avoir vécu dans un milieu musulman.

La foi, un thème sur lequel tout le monde peut avoir un avis bien tranché. Et on ne s’est pas privé de lui dire :

« Vu les sujets que j’abordais, certains médias de droite et d’extrême droite ont utilisé mon image pour faire de moi un porte-étendard d’une intégration comme eux ils la voudraient. En parallèle, une certaine presse de gauche extrême n’a jamais voulu voir le spectacle à cause d’une forme d’idéologie qui n’admet pas qu’il puisse y avoir de la diversité dans la diversité. »

Les réseaux sociaux s’en sont également donné à cœur joie. Quand il en parle, Mehdi Djaadi est touché et amer :

« Les fondamentalistes de toutes religions et même athées sont juste là pour déverser une haine. Les artistes ne sont pas protégés de ces choses-là. Si je les regarde, ça peut vraiment m’affecter. En arrivant à la fin de l’exploitation de Coming out je suis content de reprendre une vie normale. »

En opposition, l’acteur-humoriste préfère mettre en avant la venue du Grand Rabin de France ou une représentation réalisée à Bobigny, réunissant la paroisse du coin et une délégation musulmane en plein milieu du ramadan. « Les échanges ont été magnifiques, cela permet de faire la promotion d’une diversité culturelle que je n’avais pas ces dernières années. Soyons-en fiers ! La France est belle. A la réflexion, il y a finalement très peu de pays au monde dans lesquels j’aimerais vivre. Je ne suis pas sûr que l’herbe soit plus verte ailleurs » disserte Mehdi Djaadi.

Ce pays, il en a observé de multiples facettes au cours de son existence. Des vertus de l’ascenseur social aux déboires de nombreux pans de la société. Né à Saint-Etienne, déjà près de la Loire, comme il le souligne lui-même, Mehdi Djaadi est issu de parents ouvriers. Une mère nourrice, et un père ayant notamment travaillé dans l’univers des revêtements de sols pour les grandes surfaces. Autour de lui il y avait trois autres enfants. Sa sœur est devenue directrice de la communication d’un grand groupe français ; il a également un petit frère prof de philo et une autre sœur exerçant en maison de retraite.

Quand il parle de son enfance, Mehdi Djaadi témoigne « d’une certaine forme de pauvreté » mais retient surtout ses parents « qui ont voulu m’offrir de meilleures chances de réussir » à base « de pression et de motivation » :

« J’ai eu la chance d’avoir une mère qui m’a initié à la littérature et à la culture, qui n’avait pas vraiment les codes mais m’a posé devant une bibliothèque à 14h en me disant de ne pas ressortir avant 17h. C’est le plus beau cadeau qu’elle m’a fait. Avoir accès à un autre monde. J’ai lu des histoires d’aventures, des romans de vie. »

Un bagage qui n’a pas suffi à empêcher le jeune homme de partir à la dérive. « Je suis passé très près de la prison et de la mort » lâche Mehdi Djaadi qui explique avoir fait « des conneries qui auraient pu m’entraîner sur des morts physiques et psychiques » via ses fréquentations dans les milieux de la drogue et du grand banditisme. Une vie qu’il a « sacrifiée » pour bifurquer vers le théâtre. On s’étonne du terme. Il s’explique :

« Il y a une forme de sacrifice car même si les choses sont dangereuses, on quitte une communauté, une culture. C’est comme un petit gars qui vient de sa campagne, on sacrifie son confort. »

Mehdi Djaadi a donc pris un risque en choisissant de montrer son visage sur scène, plutôt que de le cacher sous une cagoule de malfrat. L’idée ne lui est pas tombée dessus subitement. Cela a été le résultat d’un processus. « La rédemption c’est une question de volonté et de rencontres. Si vous avez la volonté, vous ferez les rencontres » philosophe l’humoriste. En l’occurrence cette rencontre, c’est celle d’une ex-petite amie qui lui suggère l’art dramatique au vu de ses talents au naturel. « J’avais fait un peu de théâtre enfant mais je n’ai jamais voulu être humoriste. Simplement, j’imitais bien Gad Elmaleh ou Jamel Debbouze. Usurper les identités, ça je sais faire. »

Le voilà donc qui entre au Conservatoire de Valence dans la Drôme en 2007 et pour 3 ans avant de tenter une école prestigieuse en Suisse. Cet établissement n’est accessible qu’avec le bac. Or, Mehdi Djaadi n’a pas ce diplôme (il a quitté l’école à 14 ans). Sa solution : « braquer » le concours. Accompagnant un autre candidat pour lui donner la réplique lors de l’oral de sélection, il est repéré par un membre du jury. On lui demande s’il passe l’examen. Il répond non. On l’incite alors à s’inscrire, et il fait le pari de se lancer sans dire qu’il ne remplit pas les conditions d’admission. Il finit par être sélectionné parmi 400 dossiers. « Mon cas a fait jurisprudence et désormais ils acceptent des dérogations de temps en temps » raconte-t-il avec fierté.

Est-ce que ça a été facile ? Non. « Mes références c’était Scorsese et pad Godart. On me l’a bien fait ressentir. » Il ressent une forme de discrimination qui se reproduira plus tard dans le milieu du cinéma et de la télé :

« Tout le temps j’ai été réduit à un physique. On me proposait des rôles très cliché. Je suis berbère de par mes parents, je n’ai rien contre mais il y a une frustration d’être limité à cette stigmatisation. On fantasmait un peu nos origines et notre culture. »

C’est le déclic pour aller raconter sa version de l’histoire et de la société sur scène. Pour y questionner « la laïcité, la place de la spiritualité dans nos vies, interroger sur ce que doit être l’art ». S’appuyant sur son parcours « atypique », Mehdi Djaadi a fait de sa mémoire une base de travail. « J’ai vu les beautés et les limites de la spiritualité et j’ai eu envie de m’en amuser sur scène. » Résultat :

« Toutes les rencontres que j’ai pu faire ont contribué à me faire évoluer en tant qu’homme. »

Il évoque par exemple les questions féministes, faisant remarquer qu’il dit le plus souvent possible « celles et ceux » plutôt que d’utiliser un masculin automatique : « Intellectuellement j’ai compris que c’était important. Cela permet d’être plus inclusif. »

Naturellement, l’entretien glisse vers les questions politiques. Il en est question dans Coming out. « J’ai rajouté la Zemmourisation de la société (référence à l’ancien candidat à la présidentielle Eric Zemmour dont les thèses occupent de longues heures de débats sur les canaux médiatiques, ndlr). Je ne pouvais pas faire comme si ça n’avait pas existé. » Insistant sur son attachement à la Liberté, première occurrence dans la devise française, Mehdi Djaadi se décrit « ni de droite, ni de gauche » et pas Macroniste pour autant. « Je crois profondément en la politique locale, municipale » lâche celui qui dit par ailleurs très inspiré par la figure du Pape François.

Depuis son arrivée à Tours, choisie après un long périple visant à rechercher un point d’attache hors de Paris, il prend contact avec les milieux culturels, associatifs et militants. On le croise au marché de Beaujardin, au Sanitas, à la Comédie de Tours, au Théâtre Olympia ou dans les concerts de la scène locale… Il s’intéresse en prime à l’histoire ligérienne de l’immigration algérienne, portugaise ou arménienne. Et à la politique. « La première chose que j’ai faite en arrivant c’est de transférer mon droit de vote ici » glisse-t-il, tout en s’avouant de moins en moins motivé à se rendre dans l’isoloir :

« Je suis un peu perdu, j’ai peur de la façon dont certains discours sont normalisés. Les prochaines élections présidentielles m’interrogent tout comme les Européennes (à venir le 9 juin, ndlr). Quand on voit ce qui s’est passé en Italie (la Première ministre vient de l’extrême droite), et quand on voit ce qui se passe en France (la montée de l’extrême droite élection après élection), il y a de quoi s’inquiéter. »

« Il y a plein de combats à mener et on est en train de les mener » énonce encore l’humoriste. Ce discours on le connait. On l’a entendu maintes fois chez des aspirants en politique. Forcément on lui demande ce qu’il a derrière la tête… « Je veux voir en quoi je peux apporter une contribution. J’ai envie de m’investir. Pour l’instant je regarde, je m’intègre dans le quartier, je suis inscrit sur les groupes Whatsapp des habitants, j’observe ce que font les associations. »

On a bien compris. Désormais artiste d’envergure nationale, Mehdi Djaadi n’a pas l’intention de se faire discret à Tours. Il voudrait par exemple y tourner le film qu’il prépare. Une adaptation de son spectacle. On le verra d’ici juin sur Arte, pour une série baptisée Six pieds sous terre. Et puis il travaille sur une série autour de la musique raï qui avait explosé dans les années 90. Son crédo : explorer l’impact social de ce courant à l’époque. Bref, de quoi rester cohérent avec le reste de sa carrière. D’ailleurs, un deuxième spectacle pourrait voir le jour et il y a fort à parier qu’on y explorera encore certains mécanismes complexes de la société.

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