Forêt des Livres : Gonzague Saint-Bris omniprésent.

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Que devient un événement lorsque son créateur, son moteur, son âme a disparu ? Il était encore trop tôt pour le dire ce dimanche à Chanceaux-près-Loches. L’émotion était si forte, les hommage si justes et chaleureux – à l’image du personnage – et la disparition de Gonzague Saint-Bris encore si proche et si brutale et inattendue, qu’on s’attendait à le voir surgir à tout moment. Même si les avis divergent sur une possible suite de la Forêt des Livres dans les années à venir, le hasard de nos trois interviews de personnes qui lui ont été proches donnent une même réponse sans équivoque à la question.

Julien Lepers

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37 degrés : Nous en sommes à la 22e édition de la Forêt des Livres aujourd’hui, vous êtes venu combien de fois ?

Julien Lepers : J’ai dû venir cinq ou six fois.

37 degrés : Quel a été votre dernier contact avec Gonzague Saint-Bris ?

Julien Lepers : Il m’a appelé trois jours avant de partir. Il m’a demandé s’il pouvait compter sur ma présence cette année. Je lui ai dit «Oui, bien sûr !». Il m’a demandé quel livre je souhaitais mettre en avant. Bon, moi je n’en ai écrit que trois… Je lui ai demandé : «Mais toi, au fait, tu en as écrit combien ?». «Moi, j’en ai écrit 55. Et tu vas rire parce que le dernier qui est sorti c’est Déshabillons l’Histoire de France (XO) !».

37 degrés : Quelle est votre réaction à sa disparition ?

Julien Lepers : Cela a été une terrible nouvelle. Et puisqu’on ne peut rien faire contre ça, la seule chose que l’on doit faire pour le respecter c’est de continuer son œuvre, la Forêt des Livres, qu’il y ait d’autres éditions, que ce soit plus haut, plus vite, plus fort !

37 degrés : Vous souvenez-vous de la première fois où Gonzague vous a invité à la Forêt des Livres ?

Julien Lepers : J’ai rencontré Gonzague au Salon du Livre de Brive. A l’époque je faisais une émission de télé qui marchait bien et j’écrivais des livres, donc il a pensé à moi pour l’édition suivante. Je ne me souviens plus de l’année, mais cela n’a aucune importance, le temps qui passe ! Après ça on est toujours resté en contact, on s’appelait de temps en temps, il m’invitait à des soirées, des cocktails et des dîners auxquels je n’avais d’ailleurs pas souvent le temps d’aller. Mais ce lien fort est toujours resté.

Je l’admirais beaucoup, mais quand je le lui disais, il me rétorquait «Ah non, c’est moi qui t’admire !».

37 degrés : Comment caractériseriez-vous ce personnage si particulier ?

Julien Lepers : Il aimait aimer. «Aimons-nous les uns les autres», cet adage a sans doute vingt siècles, il est toujours valable et Gonzague l’incarnait parfaitement.

37 degrés : Cette idée de Forêt des Livres, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Julien Lepers : Rassembler juste pour une journée autant de gens connus, d’auteurs au même endroit, je trouve cela extraordinaire. C’est incroyable ce que Gonzague a réussi à faire. Donc je lui dis bravo, je lui dis «on t’aime» si jamais là-haut il nous entend. Je penserai toujours à lui et je vais commencer par aller acheter et lire son nouveau livre.


Francis Lalanne

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37 degrés : Vous étiez présents dès les premières éditions de la Forêt des Livres, pouvez-vous nous parler de cet historique ?

Francis Lalanne : Je n’ai raté que trois ou quatre éditions. C’est d’abord un rendez-vous d’amitié. Les premières fois nous n’étions pas très nombreux, mais Gonzague avait dit «un jour, ici, il y aura plus d’êtres humains que d’arbres sur une journée».

37 degrés : Comment vous a-t-il invité à cet événement la première fois ?

Francis Lalanne : Il ne m’a pas demandé de venir, il m’a convoqué… Avec Gonzague on était souvent «convoqués» ! On n’avait pas le choix. Je le connaissais déjà depuis une vingtaine d’années, nous nous étions rencontrés à Europe 1.

37 degrés : Gonzague vous avait déjà amené en Touraine avant la Forêt des Livres ?

Francis Lalanne : Oui bien sûr. C’est un lieu où j’ai beaucoup écrit de poésie, c’est très inspirant. C’est bien plus qu’une journée par an ce lieu, pas seulement ce rendez-vous où l’on partage les feuilles des livres et les pages des arbres (sic). C’est la puissance évocatrice et vibratoire de cette forêt que Gonzague voulait partager avec le plus grand nombre.

37 degrés : Vous pensez qu’il serait important que cette aventure continue ?

Francis Lalanne : Oui. Je pense que ce serait dommage de perdre Gonzague à ce point. Cette Forêt des Livres, elle continue sa vie et se priver de ça, ce serait se priver de sa présence. Regardez : il reste tellement présent dans cette œuvre qu’il a créée que revenir ici tous les ans c’est s’assurer de sa présence pour toujours. Je parle de sa présence concrète, car après en ce qui concerne la présence du cœur, on n’ a pas besoin de ça. Quand quelqu’un s’en va, on le retrouve dans l’amour qu’on a pour lui, c’est là qu’il réside. La présence du cœur augmente lorsque le corps n’est plus là. Mais là, il est présent physiquement. Je pense que ce serait la double peine que de perdre la Forêt des Livres après avoir perdu Gonzague.

Cette Forêt des Livres, elle continue sa vie et se priver de ça, ce serait se priver de sa présence. Regardez : il reste tellement présent dans cette œuvre qu’il a créée que revenir ici tous les ans c’est s’assurer de sa présence pour toujours.


Emilie Tardif

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37 degrés : Vous avez été au cœur des débuts de la Forêt des Livres. Racontez-nous.

Emilie Tardif : Je suis arrivée à la 3e édition, par le biais de son assistante de l’époque Alexandra MacDonald. Avec Emilie Leduc (présentatrice de l’émission Tout sur un plateau sur TV Tours avant Emilie Tardif – ndr) au début on plaçait les chaises pour le café littéraire, on s’occupait un peu de l’organisation. Ensuite je suis restée sept ans et j’ai repris la gestion de l’événement, notamment côté production et logistique, par exemple pour trouver des financements, mais aussi pour pouvoir faire faire pipi à 30.000 personnes sur un site non aménagé !

37 degrés : Pourquoi le choix de ce site pour organiser cet événement ?

Emilie Tardif : Je crois qu’au départ la mère de Gonzague demeurait dans ce château, elle avait épousé un membre de la famille Mame qui éditait notamment des auteurs romantiques et Gonzague trouvait ça génial de pouvoir faire venir des écrivains chez lui (le Pavillon de Chasse), dans ce contexte. Gonzague disait que les livres viennent des arbres et qu’il était important que les écrivains reviennent vers la forêt, avec «l’hommage de leurs pages». Ainsi, ce village d’une centaine d’habitants, une fois par an, était dépassé en nombre par les écrivains !

37 degrés : Y a-t-il eu autant de monde dès le départ ?

Emilie Tardif : Oui, Gonzague avait le savoir faire pour fédérer non seulement des écrivains, mais aussi des gens du spectacle. Ce mélange a beaucoup été décrié, mais la stratégie de Gonzague c’était de faire venir des milliers de visiteurs grâce à quelques grands noms de la télé ou du show-business pour les confronter à des écrivains. L’idée étant que le maximum de gens repartent avec un ou plusieurs livres sous le bras.

37 degrés : Il en a toujours profité aussi pour promouvoir de jeunes auteurs.

Emilie Tardif : Comme il était très généreux, il y a rapidement eu beaucoup de prix littéraires décernés ici. Et notamment à des jeunes qu’il propulsait sur le devant de la scène le temps d’une journée avec des académiciens et des grands noms de la littérature. Quand l’auteur d’un premier roman vendait 75 exemplaires de son livre dans la journée, son éditeur le voyait d’un coup différemment pour la suite de leur collaboration… Il adorait la lumière, mais il était aussi très désireux de vous tirer dedans avec lui. Et il en faisait profiter beaucoup de monde.

Il adorait la lumière, mais il était aussi très désireux de vous tirer dedans avec lui.

Et il en faisait profiter beaucoup de monde.

37 degrés : Quels souvenirs marquants ici avec Gonzague vous auriez envie de nous raconter ?

Emilie Tardif : Il y en a beaucoup car j’ai travaillé avec lui pendant sept ans et je peux dire «jour et nuit» car Gonzague était du genre à appeler à cinq heures du matin parce qu’il avait une idée. Il venait avec des boîtes à chaussures remplies de feuilles avec des notes, avec son écriture assez dure à déchiffrer, et il fallait faire le tri dans tout ça. Il notait toutes ses idées et il avait des idées tout le temps. Pour lui tout était possible. Pour ma dernière année ici lors de la 10e édition, il m’a dit «c’est les 80 ans de Charles Aznavour, je veux l’avoir comme parrain». Je n’y croyais pas, mais il a réussi. Il tente toujours le coup et souvent ça marche. C’était un éternel enthousiaste et ça, ça m’a énormément formée.

C’était un éternel enthousiaste et

ça m’a énormément formée.

37 degrés : Vous dormiez plusieurs nuits sur place ici, ce sont de beaux souvenirs ?

Emilie Tardif : On avait notre dortoir dans le Pavillon de Chasse, toute l’équipe dormait là. La veille de l’événement quelques jeunes écrivains arrivaient et on faisait la fête avec eux, je me souviens notamment de Florian Zeller et David Foenkinos. On faisait des boums d’ados, quoi ! On se couchait à 4h ou 5h du matin car il fallait bosser sur ce fameux plan de table du déjeuner des écrivains (qui avait lieu à l’auberge à l’époque) auquel Gonzague tenait beaucoup. C’était un casse-tête et souvent, une fois qu’il était fin prêt, il suffisait par exemple que Macha Méril en débarquant le lendemain dise qu’elle avait envie d’être avec telle ou telle personne et notre travail de la nuit finissait à la poubelle !

37 degrés : Aujourd’hui c’est une édition particulière parce que sa disparition est très récente, on sent sa présence, il avait tout organisé. Mais l’année prochaine, qu’en sera-t-il ?

Emilie Tardif : Je ne peux pas dire ce qu’il en sera, mais je sais ce que je veux. Je veux que l’année prochaine on continue de parler de Gonzague et que l’année d’après on continue de parler de Gonzague et que cette Forêt des Livres sans lui devienne le moment où on va pouvoir avoir ce souvenir de Gonzague et continuer à remettre des prix à des écrivains. C’est la seule œuvre de Gonzague qui peut continuer. Son dernier livre signé sera bien le dernier, il n’y en aura évidemment pas d’autre. Mais la Forêt des Livres c’est le chapitre de son œuvre qui peut continuer. Un endroit où on pourra d’ailleurs retrouver ses livres chaque année pourquoi pas. Tout ce qui nous reste de Gonzague aujourd’hui c’est son souffle et son esprit et il faut le mettre au service de quelque chose comme ça. De plus, c’est devenu quelque chose de tellement important dans la région. En venant ce matin sur France Info j’ai encore entendu parler de Chanceaux-près-Loches, c’est quand même un sacré truc ! Beaucoup de gens sont attachés à cet événement. Par exemple les 250 bénévoles qui travaillent ici posent leurs vacances et les organisent par rapport à la Forêt des Livres. Tout le territoire vit pendant quelque temps au rythme de l’événement même s’il ne dure qu’une journée. Je pense que cela laisserait un vide immense si l’année prochaine la Forêt des Livres n’était plus là. Mais c’est d’abord à la famille, puis à l’organisation de se réunir et de prendre cette difficile décision.

37 degrés : Il y a une grosse logistique et un travail de fond important pour une manifestation de cette ampleur. Dans combien de temps cette décision doit-elle être prise ?

Emilie Tardif : Je dirais deux ou trois mois maximum. Je pense qu’il faut trouver une autre formule car dans l’absolu on ne peut pas continuer la Forêt des Livres sans Gonzague sous cette forme si particulière qui reposait sur sa personnalité et son mode de fonctionnement, il faut aussi trouver des bonnes volontés pour prendre par exemple des présidences annuelles comme à Cannes pour le jury. Si on arrive dans les prochains jours ou les prochaines semaines à avoir des personnalités du monde littéraire et du monde du spectacle prêtes à s’engager et à faire fonctionner leurs propres réseaux, à passer du temps concrètement sur le projet pendant plusieurs mois, là tout est possible. Reste à savoir si quelqu’un va lever la main et dire «j’y vais !». Et qui.

Propos recueillis à Chanceaux-près-Loches le dimanche 27 août 2017.

Les photos de la Forêt des Livres 2017 : 

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  Crédits photos : Pascal Montagne

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