Le monde du DJing est très majoritairement masculin. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder attentivement la programmation des boîtes de nuit tourangelles, des fêtes des Ilots Electroniques ou du 1er festival Moorea qui fera bouger le Sud Touraine avec un week-end électro au mois de juin. Pour évoluer vers plus de parité, on peut compter sur le collectif Club Sauvage. Nous avons rencontré deux de ses membres.
Vendredi 23 février c’est soirée DJ au Quartier, le bar culturel basé Avenue de la Tranchée à Tours-Nord. Récemment repris, l’établissement garde ses fondamentaux en s’ouvrant à toutes les cultures, du théâtre d’improvisation aux compétitions de fléchettes en passant par la musique électronique. Ce week-end-là, le line up se conjugue entièrement au féminin, ce qui est assez rare pour les événements du genre. La raison : les commandes des platines ont été confiées à Club Sauvage, un collectif de DJ exclusivement composé de femmes.
Pour en savoir plus il faut remonter à l’automne 2022. Un groupe d’amies qui débute dans le milieu décide de se fédérer pour parler d’une même voix auprès des lieux qui organisent des soirées, ou pour faire des collaborations. Il y a Camille, Christie, Angie… Naviguant entre Paris et Tours, Gabrielle est arrivée plus tard, en septembre 2023.
Les membres de Club Sauvage sont journaliste, communicante ou encore cheffe de projet… Aucune ne mixe à plein temps, mais toutes en tirent des revenus. Et certaines produisent leurs propres sons. Pour que les choses soient bien claires, elles se définissent clairement comme DJ, récusant le terme DJette qu’on voit parfois. « Le suffixe ‘ette’ est vu comme péjoratif. C’est petit, mignon. Il y a une forme de dévalorisation » note Gabrielle alias Rrose Sélavy pour le public.
Sans faire du militantisme à outrance, Club Sauvage s’active néanmoins à défendre l’ambition d’une féminisation du milieu de la nuit, ne serait-ce qu’en offrant une meilleure visibilité aux femmes derrière les platines. « On comptait 30% de femmes DJ dans les programmations en 2023 contre 9% en 2012. Il y a du progrès mais on reste peu nombreuses » souligne Camille aka Babe une fois sur scène. Le collectif vise donc à créer une émulation, « se voir, se connaître, se serrer les coudes », « parce qu’on est de plus en plus nombreuses » et que certaines n’osent pas forcément se lancer et sortir de chez elles pour se dévoiler devant un public.
« Il y a du mieux mais il faut que plus de femmes osent » plaide donc Camille. « il y a un vrai enjeu » complète Gabrielle que l’on attend par exemple le 6 avril lors d’une soirée au Bateau Ivre de Tours, dans le cadre d’un événement baptisé Quartier Libre. La jeune femme tourne bien mais se sent encore sérieusement marginalisée, comme le jour où elle était accompagnée de son copain et que c’est lui qu’on est allé voir pensant qu’il allait assurer le set à sa place. Quant à Camille, elle raconte qu’on lui a plusieurs fois proposé des soirées parce que c’était une femme, « pour la parité », avant de mettre en avant ses talents.
Toutes passionnées, riches de plusieurs années d’expérience, promouvant des styles de sons exigeants et novateurs (comme la transe house), les membres de Club Sauvage fourmillent de projets. Leur association est ainsi prête à s’ouvrir pour accueillir d’autres membres et accentuer encore le réseautage, se recommander entre elles, organiser des soirées sous leur bannière autant que participer à celles des autres (on les a vues par exemple aux Ilots Electroniques en 2023). Pour diffuser la parole des femmes DJ, elles animent également un podcast de portraits sur Soundcloud.
Pour ce qui est de la scène, les Tourangelles disent ne pas manquer de propositions : « Le collectif nous donne de la force, ça nous porte, on sait où on va et c’est précieux », insistent-elles, complètement capables de s’adapter à l’endroit qui les booke, et donc au public venu danser avec elles. Des sets qui nécessitent toujours de longues heures de préparation, entre 2-3h de taf pour une heure de production. « On ne se rend pas toujours compte de tout ce qu’il y a derrière » glisse Gabrielle qui décèle notre regard interrogatif. Comme quoi on ne connaissait définitivement pas assez l’univers DJ. C’est aussi ça le mérite de Club Sauvage : ouvrir un peu plus les portes d’un monde artistique bourré de talent et qui ne demande qu’à diffuser de la joie et des vibes de progressisme.
Un degré en plus :
Babe sera au Puzzle Bar de Tours ce samedi 30 mars, Rrose Sélavy donc au Bateau Ivre le 6 avril mais aussi au Temps Machine de Joué le 12 avec 7880 Collectif. Une date avec Christie et Babe aura lieu le 24 mai au Puzzle avec Dirty Crew. Les autres dates du collectif sont à Paris.
Crédit photo à la Une : Rrose Sélavy par Cécila OMS. Autres photos : crédit Club Sauvage et flynttothemoon.