[Cinéma] Regards #21 Le Caire confidentiel / Une femme fantastique / Song to song / On the milky road / Eté 93

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Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.


Le Caire confidentiel (policier, thriller suédois, allemand, danois)

De Tarik Saleh

Avec Fares FaresMari MalekYasser Ali Maher …

Grand Prix du festival du film policier de Beaune

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Egypte, janvier 2011. Un meurtre est commis dans un grand hôtel Hilton au Caire, avec pour seul témoin une femme de ménage africaine insaisissable. La police enquête, et se heurte à de nombreuses difficultés pour trouver une concordance à la fois d’indices et de suspicions. Une grande chanteuse a été tuée : a-t-elle un lien avec le milieu politique ? Pour l’inspecteur Noureddine (extraordinaire Fares Fares), la traque est lourde et nivelée de suspense haletant.

Dans un pays exempt de Justice, où la manipulation suinte la corruption, comment la police pourrait-elle être efficace et respectée face aux enquêtes ? Le Caire confidentiel traite d’injustice et de choc psychologique au sein du peuple comme de la police, gangrenés. Des pleins et des déliés rendent le scénario retord, agile et passionnant. Car la force incroyable de l’écriture du film tient en sa nervosité décadente, en ses complaisances faussement serviles et en ses pistes qui s’écartent et se rassemblent. Avant que le jour du 25 janvier 2011 ne se teinte de la grande manifestation pour la Liberté, on accède, quelques jours plus tôt, chronologiquement, à des rebondissements brillamment inattendus. Si bien que l’enquête ne remue pas tant ceux que l’on croit voir flancher, mais d’autres … Le clou du film est un coup de massue. Voici donc un polar spirituel très stylisé et magnétique, aussi millimétré qu’énergique, au cœur de la pauvreté et de l’insalubrité ambiantes de la ville. Au Panthéon des grands films noirs, un régal édifiant dans son amoralité, qui traîne la laideur des êtres et des sols poussiéreux.

(NB : le réalisateur Tarik Saleh, réalisateur suédois d’origine égyptienne, est aussi, entre autres, un illustrateur ex-graffeur, réalisateur de films d’animation, et auteur de documentaires sur Che Guevara)

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).


Une femme fantastique (Drame chilien, espagnolaméricain, allemand)

De Sebastián Lelio

Avec Daniela VegaFrancisco ReyesLuis Gnecco 

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Dans une chambre d’hôtel, un homme et une femme s’aime intensément. Orlando a 57 ans, Marina a 20 ans de moins que lui. Mais qu’importe pour eux. Quand Orlando se réveille en pleine nuit et fait une attaque brutale, Marina fonce l’emmener à la clinique. Mais il sera trop tard. Marina, effondrée, va non seulement faire face au choc de la mort, déchirant, mais aussi aux suspicions policières d’une enquête, et au rejet abominable que lui fait subir la famille du défunt.

Avec une maîtrise grandiose de la mise en scène, des émotions et des dialogues, Sebastián Lelio fait d’une histoire sensible un puissant sujet identitaire. Le spectateur ne peut qu’être pris au piège d’une résilience impossible. Une tension sublime éclate au cœur de l’intrigue, touchant avec rage contre l’injustice. Marina est délicate, intrigante et extrêmement courageuse : ce qu’elle cache est absolument imperceptible. C’est une personne fantastique qui l’incarne : une interprétation au sommet. Le film remue ce sort malheureux, et la sauvagerie humaine inapte ni à supporter ni à comprendre ce qui la dépasse. Sous fond de règlements de compte et de suivis policiers humiliants, Une femme fantastique est donc bien une réflexion identitaire, un refus de parjure et de rédemption contre les cracheurs de venin, un hurlement intérieur. On retient fortement nos larmes, on accompagne sa peine, et celle de telles femmes fantastiques que l’on ne croise pas dans nos vies. Ce film est magnifique.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).


Song to song (Drame, Romance, Musical, Américain)

De Terrence Malick

Avec Ryan GoslingRooney MaraMichael Fassbender, Natalie Portman, Cate Blanchett

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Faye est une jeune femme guitariste qui se cherche. Pas seulement sur la scène musicale, mais aussi, et surtout, en amour. Son histoire avec le chanteur BV pourrait la satisfaire, mais dans ce milieu les tromperies bouleversent l’ordre des choses : qui est vraiment avec qui ? Son mentor, ex-compagnon, rencontre une serveuse, et les aventures se croisent, se lient et se délient, et … pourquoi ?

Avec « The tree of life », Terrence Malick avait signé un chef d’œuvre à l’identité sidérante. Dans Song to song, la caméra voltige surligne encore la mouvance intime et complexe des personnages. Ceux-ci dialoguent moins qu’ils n’expriment via voix off leurs questionnements faits de doutes et de peurs dans leurs relations amoureuses tortueuses. Les paysages ont un rôle à part entière : celui de l’éblouissement, entre Art Visuel, Nature et Réalité (toutefois toujours teintée de mysticisme, cher au réalisateur). Dans un contexte festif de concerts rock&folk en festivals de plein air (à Austin, Texas), Malick nous raconte la souffrance liée aux choix amoureux, et par là même aux choix de vie. L’ensemble du film est tel un looping géant entre Ciel et Terre. Cependant, malgré un casting de haut vol, le film est loin d’être à la hauteur de The tree of life, dont la lenteur extrême et les analyses spirituelles interrogent passionnément, dans la sublimation. Non, Song to song est soporifique. Un long temps est nécessaire pour une implantation cohérente, et il est difficile de ne pas décrocher. C’est un film esthétique (à l’excès ?), mais, surtout, cruellement pénible à suivre. Espérons que cette erreur de parcours soit juste un passage à vide pour cet immense cinéaste.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).


On the milky road (Na mlečnom putu), drame SerbeBritanniqueAméricain

De Emir Kusturica

Avec Emir Kusturica et Monica Bellucci

Ce film avait été présenté à la 73ème Mostra de Venise d’août 2016, où il avait été nommé dans deux catégories : le prix du Lion d’Or et le Prix Spécial du jury

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Un laitier serbe, Kosta, vit dans les montagnes. A dos de son âne, son pote faucon sur son épaule, il effectue quotidiennement sa route dangereuse pour donner des victuailles aux soldats de la ferme. Solitaire, renfermé et sensible, il se sent soudain bouleversé par la venue de Nevesta, une très belle réfugiée italienne, qui s’amuse à le taquiner du cœur. Mais la guerre les encercle, les soldats ennemis s’acharnent à les poursuivre : c’est un périple sordide et tyrannique dans lequel ils se soudent et font grandir leur amour.

Quand un cinéaste de génie, à la filmographie dense, aux œuvres toutes sublimes, au style fantasque, à la musique de fond délirante inimitable, joue et réalise On the milky road, c’est une semi- catastrophe. Quelle dégringolade inattendue, quelle déception … Il y a une heure de trop, qui abolit la première conforme à du Kusturika hilarant et poétique, ce tragi-comique que l’on aime tant. D’abord des fermiers cassent des kilos d’œufs en se marrant, juste à côté des fusillades, une poule sautille devant un miroir, un mécanisme d’horloge obsolète bousille des mains … c’est absolument jouissif. Puis Nevesta (Monica Belluci) débarque, l’amour se pointe, les méchants soldats pourchassent, les animaux sont maltraités, tout explose, et ce délire est à la fois insupportable et pitoyable. Il ne fait pas rire, il est de plus en plus incompréhensible et ridicule. Kusturica sait attendrir par son incohérence lyrique et onirique (la beauté de l’arbre protecteur, la gigantesque cascade d’eau scintillante, ou encore la maison du bonheur qui s’écroule), et par une ultime note bouleversante d’Amour. Sa fantaisie poétique est irrationnellement réelle et irréelle : mélange de noirceur, de rire et de sublimation. C’est sa pâte. Elle a un sens qu’il nous donne la liberté de rêver. Alors, pourquoi avoir tout cassé avec tant de violence et tant de mocheté gratuite, lugubre et stupide ? On restera sur la magie de départ que On the Milky Road procure, avec de bien beaux souvenirs à la clé. Même si un goût amer nous afflige et nous contrarie, car il est bien difficile de saisir toute l’ambiguïté faussement énigmatique qui règne.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).


Eté 93 (Drame espagnol)

De Carla Simon Pipó

Avec Laia ArtigasPaula BlancoBruna Cusí …

Le film a été primé à la dernière Berlinade

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Frida , petite fille âgée de six ans, vient de perdre ses parents. On ne saura pas avant un long moment ni pourquoi, ni comment. Elle doit quitter Barcelone et aller vivre dans la vieille maison de campagne de son oncle. Ce n’est pas à son goût. Elle se rebelle contre cette nouvelle famille imposée, heureuse et soudée. Y trouver sa place lui parait alors insupportable.

L’enfance face à la terrible incompréhension du deuil.

On embrase le chamboulement d’une famille, où l’arrivée de la petite nièce du père est devenue orpheline et peine à s’adapter auprès des siens (qui ne le sont pas vraiment). Les efforts des uns et des autres pour effectuer une recomposition du cercle intime rencontrent des heurts. Cette difficulté tient aux questionnements (sur ses parents) intériorisés par la fillette, sur sa place ici, qu’elle n’a pas décidée, et sur les paradoxes entre volonté et rejet qui la malmènent. Notamment avec sa nouvelle petite sœur … sa cousine de trois ans. Carla Simon Pipó évite tous les écueils du mélo et suit au plus près cette enfant qui doit faire face à un double choc. Malgré de trop grandes lenteurs de rythme un peu endormantes et agaçantes, on suit l’histoire avec la douleur tue, le refoulement et l’alanguissement, parfois ponctués d’élans de gaieté, que renvoient Frida. La pudeur et la focalisation presque documentaire optées par la cinéaste sont respectables. L’enfance est lumineuse à voir, belle à entendre, et fraîche comme les herbes et les eaux de la forêt que les deux petites explorent. La sobriété de ce charme naturel attendrit tout simplement, et vient contrecarrer la carapace derrière laquelle Frida se cache froidement et silencieusement. Sans mots dire, Frida effectue son chemin intérieur en contenant sa souffrance et son chagrin, sans même savoir qu’elle peut, dans l’acceptation, s’en libérer et renaître. On ne croit malheureusement pas tout-à-fait à cet ensemble, mais la fin est touchante.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet).

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