Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.
120 battements par minute (Drame français)
Avec Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel, Antoine Reinartz, Félix Maritaud, Aloïse Sauvage…
Le film a obtenu le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2017
(Ndlr : Vu en pré-avant-première lundi 3 juillet aux Cinémas Studio)
En 1989, AIDS s’engage pour lutter contre un fléau mortel depuis 10 ans : le virus du sida. Peu après, dans cette même volonté, le groupe Act Up se forme à Paris pour réveiller un système politique, scientifique et éducatif aveugle, inactif et calfeutré. Pour se faire, les militants, soudés et explosifs, secoue la France par des actions chocs répétées. Sean, jeune homme gay radicalement engagé, bouleverse Nathan lors des réunions du groupe.
120 battements par minute est une claque magistrale, une immersion profonde dans son sujet, une promiscuité totale pour le spectateur avec les interprètes, leurs actions, leurs débats et l’étroitesse du cadrage bien souvent présente pour renforcer ces sentiments intimistes.
L’entrée en matière va droit au but : directement au cœur du groupe fondateur Act Up (que Robin Campillo avait rejoint en 1992), on assiste à une remise en mémoire dans notre présent où l’intérêt général défaille. Reconsidérer la période d’épidémie mortelle au sein des plus touchés : homos, bi, tox, jeunes entre 20 et 30 ans, victimes cibles de l’époque.
R.Campillo crée une dynamique collective à la dérision jubilatoire, une force joyeuse de groupe, et cette collectivité détient un paradoxe avec la solitude et l’intimité du malade que l’on défend. On sent que le réalisateur s’attarde amoureusement, longtemps sur chacun de ses personnages pour nous donner à les comprendre.
Son film est galvanisant et majestueux, empli d’un amour à la quête du bon sang, dénué de facilité simpliste, intelligent et vif, déchirant pour le cœur du spectateur qui se tient là, moralement impliqué, démuni dans la fiction, débordant d’une émotion provoquée par la beauté de la justesse et de la solidarité.
Un film indispensable, d’intérêt public, d’intérêt cinématographique, dans lequel une pléiade d’acteurs (à commencer par Nahuel Perez Biscayart, magnifique, inoubliable) peut se targuer d’avoir vécu le rôle de sa vie.
Le film sortira en salle la semaine du 23 au 29 août aux Cinémas Studio (et sera peut-être aussi visible dans les cinémas CGR de Tours).
K.O (Thriller, Drame français)
De Fabrice Gobert
Avec Laurent Lafitte de La Comédie Française, Chiara Mastroianni, Pio Marmaï, Clotilde Hesme, Sylvain Dieuaide, Jean-Charles Clichet, Zita Hanrot, Jean-François Sivadier
Antoine Leconte est patron d’une grande chaîne de télévision. Hautain, redoutable, malmenant, méprisant et imbus de sa personne, il est détesté au plus haut point, abordé avec hypocrisie, peur et méfiance. Et il rend sa femme dépressive. Des suites d’un conflit avec un jeune employé en plein burn-out, le voilà plongé dans le coma. Est-ce dû à une crise cardiaque, ou, comme il en est persuadé, à un assassinat ? Lorsque Antoine revient au travail, tout a changé : au bureau comme à la maison, chaque membre de son entourage est devenu l’opposé de soi-même, certains ne le connaissent plus, et il se sent devenir fou…
K.O est un thriller fantastique et machiavélique. Construit tel un puzzle, sa galerie de personnages est étonnante. Dédoublements de personnalités, mensonges, trahison, paranoïa schizophrénique, troubles hallucinatoires incompréhensibles : on sent bien que le réalisateur maîtrise les ficelles de son scénario et qu’il ne va pas nous décevoir. En effet. Le suspens est fort, la bande son de JB Dunckel (moitié de Air) rythmée, l’inquiétude et la peur prodigieuses sur le visage de Laurent Laffite, acteur déjà impressionnant avec sa performance délivrée dans l’excellent « Elle », de Paul Verhoeven. Tous les acteurs sont, d’ailleurs, assez incroyables dans leurs doubles interprétations.
Avec K.O, il y a des codes humains. Le coma, la violence cérébrale sont des prétextes au questionnement intérieur que vit le personnage central. Toutes ses relations violentent ses neurones, le bousculent, l’effraient et lui tendent un miroir. Quel est le sens d’une renaissance, change-t-on, en mieux ou en mal, qu’apprenons-nous des autres et de nos erreurs ?
Puissant en terme d’analyse, ce film est brillant, percutant et tient en haleine. La toute fin manque de relief et de conviction. Il y a quelques longueurs, aussi. Mais chaque détail est porteur de sens. Non moralisateur, le film est une satire sociale didactique impressionnante. Une satire perspicace, à l’aura tenace, au sein du monde cruel du haut patronat et de la perversion humaine. Un combat surréaliste contre soi-même. Un coup de poing hors ring.
En salle uniquement dans les Cinémas Studio de Tours
Ana, mon amour (Drame Roumain, Allemand, Français)
Avec Mircea Postelnicu et Diana Cavaliotti
Toma et Ana se rencontrent en cité universitaire à la fac, s’attirent, tombent amoureux. Autant Toma a un caractère plutôt joyeux et calme, autant Ana vit avec un passé lourd et tu, ainsi que des attaques de panique invalidantes. Tout cela, Toma l’a su tout de suite. Il compose avec et épaule Ana. Mais jusqu’où tiendra-t-il ? La dérive d’un jeune couple, sur une dizaine d’années et sur un fil tangible, racontée tel un électrochoc.
Deux acteurs époustouflants se livrent tel un engloutissement dans le creux de cette grande histoire d’amour. Tragédie brute hyperréaliste, ou aucune omission de détails n’est permise, Ana, mon amour sombre dans les méandres d’une trajectoire dissipée. Ana épuise Toma, mais, avec un courage inaltérable, celui-ci tient bon et la porte pour ne pas qu’elle se brise. Entre ses états, à elle, dépressifs, leurs familles maudites et leurs repères inexistants, ils forment un duo bancale, et pourtant très fort.
Les maux sont décrits en puissance, avec l’acuité de l’abandon, du dévouement et de la dépendance, dans une déferlante analytique. Il y a une réalité absolue bluffante, sans temps morts, piquetée de flash-back révélateurs qui proposent des éléments de réponse.
La mort du couple est vue sous un autre angle que celui fait de doutes, de coups bas et de lassitude. Avec un souci d’équité, c’est cette extraordinaire singularité sans clichés que Calin Peter Netzer donne à montrer.
Ana, mon amour est donc une grande révélation. Et ce n’est pas tant l’émotion qui nous gagne que la réflexion inouïe puisée dans la psychanalyse.
En salle uniquement dans les Cinémas Studio de Tours