Le bâtiment est immanquable. Situé en haut de la Rue Nationale, le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré de Tours fait partie des attractions architecturales du centre-ville. Dessiné par une équipe portugaise (Aires Mateus), et reprenant une partie de l’ancienne école des Beaux-Arts, sa qualité est assez reconnue. En tout cas bien plus que le design des deux hôtels Hilton voisins. Pourtant, le pôle artistique ouvert en 2017 semble encore peiner à trouver son public. Et le Covid n’explique pas tout.
Nous sommes en 2017. François Hollande va bientôt quitter la présidence de la République mais il assume encore son rôle et vient inaugurer le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré de Tours. Auparavant installée près de la gare Rue Marcel Tribut, l’institution migre vers des locaux neufs plus adaptés à ses ambitions. On insiste alors pour nous dire que ce lieu n’est pas un musée (car les expositions sont toutes temporaires) mais aussi que l’objectif est d’atteindre 100 000 entrées par an.
6 ans ont passé. Et ça nous semble un bon timing pour faire un bilan précis. Entre temps, le CCC OD a multiplié les expositions, notamment les installations impressionnantes dans le Nef (après la grande mare d’huile inaugurale on a eu un tapis de cactus, des voiles…). Il a également accueilli des événements (concerts, ventes aux enchères, spectacles de théâtre, lancement du magazine papier 37 degrés…). Et puis son N°1 historique Alain-Julien Laferrière a pris sa retraite laissant la place à Isabelle Reiher.
Pas plus de 40 000 entrées en 2022
Arrivée juste avant le Covid, la directrice originaire de Montréal (Canada) n’a pas eu un début de mandat facile. « La pandémie nous a ébranlés et a ralenti une activité qui avait très bien démarré. C’est un coup dur mais je trouve que l’on reprend une belle dynamique » dit-elle. Cela dit, en 2022, le CCC OD atteint tout juste les 40 000 entrées, bien loin de l’objectif de 100 000 passages dans ses coursives. De plus, seuls 44% des visiteurs/visiteuses se sont acquittés d’un droit d’entrée (l’accès est gratuit pour les moins de 18 ans, les scolaires ou lors d’événements comme les Journées du Patrimoine et la Nuit des Musées).
Des chiffres qu’Isabelle Reiher veut nuancer : « On est dans une dynamique nationale. En région parisienne le MACVAL (institution assez connue dans le milieu de l’art contemporain, ndlr) réalisé 38 000 entrées. » Selon elle, l’objectif de 100 000 entrées était trop ambitieux :
« La Métropole et les autres collectivités se sont basées sur le musée Soulages (établissement de Rodez dédié au peintre du même nom) qui les réalise. Notre objectif serait plutôt d’atteindre les 65 000 entrées de 2019. C’est d’ailleurs ce dont on parle dans la dernière convention annuelle signée avec les collectivités. »
2023 amorcera-t-elle la tendance ? Il est encore un peu tôt pour le dire. En 6 mois, le CCC OD a réalisé 20 000 entrées, sur les mêmes bases que l’année précédente. « Nous attendons plus du double de ce nombre pour l’autre moitié de l’année, au vu de la programmation et de tout ce qui va être lancé au niveau communication » explique la responsable com Charlotte Manceau.
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Des critiques sur l’élitisme du lieu
Malgré de fréquentes retombées dans la presse, y compris d’envergure national, ce travail de séduction est délicat… « Les musées monographiques (centrés sur un artiste) comme Soulages marchent toujours mieux. Et Soulages est plus connu qu’Olivier Debré » note ainsi Isabelle Reiher. « On est un centre d’art contemporain et on sait qu’il est toujours plus difficile de faire venir des publics très variés. On a la réputation d’être très hermétiques, plus élitistes. Notre rôle est d’arriver à détruire ces stéréotypes » ajoute la directrice.
Un constat sous forme d’autocritique partagé avec des mots plus forts par l’ancien maire de Tours Christophe Bouchet, lui-même amateur d’art contemporain :
« Quand on a un projet comme le CCC OD on ne le fait pas à moitié. C’est un bel outil mais trop timoré. Tours n’est pas devenue une étape obligatoire de l’art contemporain, seulement pour ultra initiés. Les expositions sont trop élitistes. L’autre erreur c’est le côté fan d’Olivier Debré (de nombreuses expositions lui sont dédiées ou s’inspirent de son travail, ndlr) qui n’est pas suffisamment connu à l’extérieur. »
Ces remarques, Isabelle Reiher les décortique. Selon elle, « c’est normal d’être perdu quand on ne connait pas quelque chose. Notre mission est d’accompagner le public pour qu’il se sente à l’aise et gagne en autonomie de visite. Au final on est un des dix lieux d’art contemporain les plus importants de province et on fait des progrès. On se déplace pour voir nos expositions, notamment celle du trio iranien que l’on accueille en ce moment. » Et la directrice de se réjouir notamment de voir plus de jeunes pousser la porte, pas seulement grâce aux tarifs préférentiels qui leur sont dédiés et pas un public exclusivement composé d’étudiants en école d’art.
Faut-il accueillir des artistes plus connus ?
Quant à Olivier Debré, qui est donc un peintre tourangeau, « c’est notre rôle de le montrer de temps en temps. Dans deux ans vous me direz ‘quand est-ce qu’on le remontre ?’ car il n’y en aura pas d’ici là » argumente Isabelle Reiher qui révèle au passage que le CCC OD a tenté un partenariat avec le fameux musée Soulages de Rodez… qui l’a refusé. Un projet poussé par Tours Métropole, dont le vice-président chargé des affaires culturelles Cédric de Oliveira fait aussi partie des défenseurs de l’institution : « C’est un équipement culturel qui compte, les Tourangeaux peuvent en être fiers. » Sur la fréquentation, « On ne peut pas parler d’échec mais ça reste un équipement qui peut monter en puissance » complète-t-il, évoquant la nécessité de s’ouvrir encore plus aux écoles (3 000 scolaires en 2022).
Alors comment faire monter en gamme le CCC OD ? A Tours Métropole, Cédric de Oliveira dit espérer « des expositions d’envergure » en ajoutant qu’il serait « prêt à accompagner leur accueil », c’est-à-dire par exemple à mettre des moyens pour lancer des campagnes de communication. « On ne cherche pas forcément des gens connus car cela ne fait pas toujours la qualité » répond Isabelle Reiher. Mais le véritable argument est bien financier : « On ne dit pas non aux artistes connus mais c’est cher. Aujourd’hui on n’a pas les moyens. Nous sommes dans un équilibre très précaire d’autant que les coûts ont augmenté avec la guerre en Ukraine. »
Un partenariat en vue avec le Centre Pompidou
Ainsi, pour maintenir un certain niveau de qualité, le Centre de Création Contemporaine de Tours rallonge ses expositions : de 5 mois en moyenne, elles en restent désormais 6. Et même bien plus pour celle qui occupe actuellement la Nef, inaugurée début juin et qui ne s’en ira pas avant l’hiver 2023. « C’est aussi une façonj d’être plus responsable sur le plan écologique : on essaie de construire sur place, de limiter le transport d’œuvres venues de l’étranger » plaide Isabelle Reiher qui n’est « pas du genre » à pleurer sur son sort : « Il faut dire qu’on va s’adapter et se battre pour augmenter nos moyens. »
Et pour ça, « on ne compte pas sur les collectivités mais sur l’argent privé, les entrées ou les coproductions avec d’autres structures. » Deux sont annoncées : une avec le Fonds Régional d’Art Contemporain de La Réunion (qui a assuré l’essentiel du financement d’une exposition à venir) et l’autre avec le Centre Pompidou de Paris qui va faire circuler ses œuvres pendant de grands travaux de rénovation. Des options sérieuses pour attirer de nouveaux publics.
Un degré en plus :
Et le restaurant dans tout ça ? Après une première expérience à l’ouverture, par un duo parti depuis ouvrir la meilleure pizzéria de la ville (Chez Pia, Place Châteauneuf), le CCC OD a fait confiance au duo Marie Paulay / Stanislas Roy (La Petite Cuisine, La Gallery) qui a récemment jeté l’éponge. La fréquentation n’était pas au rendez-vous. Un appel est en cours pour renouveler le bail avec une difficulté majeure : il n’y a pas de cuisine sur place. De plus il faut vraiment savoir que ce café existe, il souffre d’une grande méconnaissance. L’ambition serait de le rouvrir d’ici début 2024.