[Rentrée littéraire] Heureux Simonien (partie 3)

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Note de la Rédaction : Après la rentrée scolaire, 37° se met à la page de la rentrée littéraire en vous proposant « Heureux Simonien », fiction tourangelle inédite, écrite par notre journaliste Laurent Geneix en 2012. Une nouvelle que nous avons découpée en quatre épisodes, à retrouver chaque jeudi de ce mois de septembre.

Heureux Simonien (partie 2)

Fable anachronique

(Première partie ici)

(Deuxième partie ici)

© laurent geneix – mars 2012

La première fois que j’ai vu Zorra j’ai failli me noyer. Il y avait un concert des Finkielkrauts sur l’Ile Aucard et elle était au premier rang, se balançant, les yeux brillants comme Vic Beretton au concert des Cook da Books. J’en vois déjà qui rient parce que la musique des Finkielkrauts c’est pas la guimauve des Cook da Books, mais que vous le vouliez ou non, elle avait la même tête, Zorra.

Au retour j’ai failli me noyer, donc. Si je m’étais noyé, j’aurais fini ma vie sans jamais avoir mis les pieds dans la suite d’un hôtel quatre étoiles, ni ma langue dans la bouche de la fille d’un mec qui peut se permettre de vivre 24 heures sur 24 dans un hôtel quatre étoiles.

Bref, ce soir-là (patientez pour la noyade ratée, j’y arrive), j’ai dû un peu mentir pour m’en sortir. J’ai passé les trois quarts du concert à me torturer les neurones pour trouver la raison la moins relou possible d’aborder la belle. Et puis j’ai trouvé, un truc sans doute usé, mais qui marche à tous les coups (que celui qui connaît un truc pas naze pour alpaguer un mec ou une nana dans un concert lève les deux doigts de la victoire immédiatement) : «Je connais le bassiste, c’est un pote à moi».

Allez savoir pourquoi et essayez vous-même : ça ne marche pas avec les autres membres d’un groupe. Le bassiste a cette aura indescriptible du mec flou, associable, qui reste dans l’ombre et sur lequel, pourtant, toute l’ossature repose. Même un batteur, sans bassiste, ça ne vaut pas tripette. «Je connais le chanteur» ça fait tout de suite le mec qui se la pète et ça grille instantanément ; «Je connais le guitariste» tout le monde s’en tamponne le coquillard sur l’air de «Barbie, toi, ma star», sauf si c’est un groupe de hard FM et qu’il s’agit du guitariste solo qui se met à genoux à 2’30’’ pour faire pleurer dans les chaumières, exception qui confirme la règle. Quant aux multiples instruments bizarres, type synthé, alto ou trompette bouchée, autant rester à la buvette plutôt que tenter sa chance avec une fille du premier rang qui se dandine nonchalamment comme Vic Beretton, alors que le mur du son a été franchi deux cents fois et que tout le monde grimpe aux arbres.

Comme je ne suis pas trop naze comme mec, j’ai attendu le moment critique du concert pour attaquer, celui où ils jouent Lover Song, pour passer à l’attaque. J’ai dû les voir une dizaine de fois, donc je connais leur répertoire, hé, hé !

  • «Je le connais, le bassiste !
  • Ah ouais ?
  • Ouais
  • Cool
  • Ouais »

En fait, je ne le connaissais pas du tout le bassiste des Finky, mais comme il est bassiste, beau, ténébreux et habillé en noir, je me fais tout de suite un allié de taille dans mon approche. Un grand classique : elle ne finira pas dans le lit du bassiste, mais par un truchement incroyable et néanmoins particulièrement banal des choses de la vie, c’est moi qui finirai dans le lit de la fille ! Et le bassiste en question n’aura jamais rien su de tout ça et c’est tant mieux.

Et quel lit ! D’ailleurs, nous n’avons pas du tout consommé ce soir-là, mais ce fut une soirée inoubliable où nous avons refait une petite partie du monde sur l’immense terrasse de la suite que louait son papa ad vitam, elle contre moi à fumer des Camel et moi les yeux rivés sur mon île, en contrebas de ce fameux hôtel. Je sentais qu’entre nous ça allait être à peu près aussi puissant que la musique qu’on venait d’écouter, et je savourais donc ces premiers instants qu’on ne retrouve plus jamais après.

J’avais mis du temps à lui avouer où j’habitais. Elle avait ouvert de grands yeux et ne m’avait pas cru évidemment. Et c’est comme ça que j’ai failli me noyer ce soir-là.

Après lui avoir dit au revoir au tout petit matin, j’étais remonté jusqu’au Pont de Fil, redescendu à mon petit embarcadère de l’Ile Aucard, puis j’avais descendu la Loire comme d’habitude, sauf que j’ai voulu faire le renard et j’ai imprudemment changé d’itinéraire pour que Zorra me voit de sa terrasse, vous imaginez la suite…

Nous nous voyons soit chez elle, soit chez moi et quand nous ne voyons pas, nous communiquons par signaux lumineux, donc, comme je vous le disais au début de mon hsitoire ; elle, la pauvre petite fille riche et moi le Robinson urbain. Son père ignorait mon existence (encore un tout petit plus que celle de sa fille), il ne rentrait qu’une fois de temps en temps passer un peu de temps avec Zorra, vérifier si tout allait bien pour elle dans cette ville où elle avait été parachutée du jour au lendemain avec rien d’autre à faire que veiller à ne pas trop exagérer avec la carte Gold de papounet.

J’étais dans un haut ; pendant des mois ça a duré ce haut, le plus haut des hauts.

Et puis un jour, comme dans toutes les vraies histoires d’amour, il y a un obstacle, un drame, un acte 2 fracassant et somptueux qui rend l’intrigue insoutenable. Le père qui fait un métier obscur trop bien payé dans une boîte obscure annonce à sa fille que ladite boîte va être restructurée.

C’est alors en quelques minutes l’effet domino : boîte restructurée, donc carrière du père restructurée, donc vie de la fille restructurée, donc vie sentimentale restructurée, donc relation restructurée, donc mon petit bonheur restructuré.

 [A suivre… jeudi prochain]

crédit photo ©laurent geneix / le jour & la nuit

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