Soieries Roze : une histoire tissée au fil des années

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Retrouvez le dossier principal du magazine papier 37° n°6 printemps-été 2021 nommé « Trésors de Touraine »

Quand on évoque la Touraine, ses savoir-faire et ses trésors, il y a de fortes chances qu’instinctivement viennent à l’esprit les vins et autres plaisirs gustatifs : rillons, macarons de Cormery, Nougat de Tours, andouillettes de Vouvray… La Touraine, terre de Rabelais, c’est en effet avant tout l’hédonisme et le plaisir de la bouche, non sans un certain raffinement, symbole lui-même d’un savoir-vivre à la Française.

Mais la Touraine, c’est aussi des savoir-faire artisanaux reconnus. De la petite boutique à la manufacture prolongeant la tradition, la Touraine regorge de talentueux passionnés qui excellent dans leur domaine et font figure à leur niveau d’ambassadeurs d’une Touraine raffinée et élégante.



Valorisation des fibres végétales, filière de la soie 100% locale, résidence d’artistes… Pour conserver son image de marque, la Maison Roze, manufacture familiale spécialiste des tissus d’ameublement haut de gamme depuis 360 ans, mise sur l’innovation.

Clac, clac, clac… Ce matin de mars à Saint-Avertin, le son étourdissant des métiers à tisser résonne dans les 1 000m² d’atelier des soieries Jean Roze. Face à leurs quelque 14 000 fils tendus, deux tisseuses vérifient qu’aucun d’eux ne se casse et changent régulièrement les canettes, sorte de petits cylindres où l’on enroule le fil de trame que l’on positionne ensuite dans une navette afin d’être tissé. « Le travail est très minutieux, il demande beaucoup d’attention », assure Arnaud Lebert, directeur de la manufacture.

Maison Roze mars 21

À son arrivée en 2018, le quinquagénaire sauve cette manufacture « romantique », comme il aime la définir, de la liquidation judiciaire. Il souhaite y réintégrer certaines valeurs comme l’intuition, l’émotion et l’humanité. Il revoit alors l’organisation, contrôle les stocks, range et, surtout, tente de remotiver celles qui sont désormais ses salariées. Des salariées qu’il place au cœur de l’entreprise et sans qui, il le sait, ces tissus d’exception n’existeraient pas. « J’essaie de ne pas jouer au patron et de voir comment les intégrer aux décisions. Je veux prendre soin des employées et les protéger car le savoir-faire c’est elles qui l’ont. Quand on a une histoire aussi importante que celle de Roze, il faut mettre de l’humanité. Nous devons leur faire prendre conscience qu’elles font des produits d’exception et qu’elles possèdent ce savoir-faire. Malheureusement, certaines ne s’en rendent toujours pas compte. » Chez Maison Roze, spécialisée dans le tissu d’ameublement haut de gamme pour des fauteuils, tentures ou rideaux, les employées créent jusqu’à dix mètres de tissu par jour.

Maison Roze mars 21
Maison Roze mars 21

« Je crois que quand on s’appelle Roze, on peut tout se permettre ! »

Pour comprendre l’histoire de la soie en Touraine, il faut remonter dans le temps. Au XVe siècle, Louis XI ne souhaite plus acheter la soie en Italie, qu’il juge trop chère. Il souhaite alors monter la première manufacture française à Lyon mais les habitants s’y opposent, estimant que cette installation risque de casser le business des marchands. C’est ainsi que la première manufacture royale de soie s’implante à Tours, en 1470. Près de deux siècles plus tard, en 1660, Jehan-Baptiste Roze crée son entreprise de soie, qui restera dans la famille sur douze générations. À cette époque, la moitié de la population tourangelle vit de cette activité.

Perpétuer un savoir-faire ancien

Maison Roze est aujourd’hui l’une des dernières soieries françaises dédiées aux tissus d’ameublement. Il en existe deux autres à Lyon. Ses quatorze salariées, qui ne compte qu’un seul homme (il tient, pour cette raison, à ce que nous utilisions le féminin), perpétuent un savoir-faire ancien dans les deux ateliers de production, à Saint-Avertin et Chambray-lès-Tours. Historiquement, le tissage était réalisé à la main puis au métier à bras. Il se fait aujourd’hui sur des métiers de type Jacquard qui permettent de recréer des modèles anciens grâce à des systèmes de cartes perforées. « Nous avons une cinquantaine de références de tissu utilisées régulièrement. Nous pouvons reproduire de nombreux motifs qui datent du XVIIe ou du XXe siècle. Et, nous en avons une centaine aux archives. Il est également possible d’en créer de nouvelles », explique Arnaud Lebert. La société travaille en majorité avec des prescripteurs décorateurs, architectes d’intérieur ou tapissiers mais aussi avec des éditeurs qui utilisent les tissus Roze pour leur propre marque. Les ventes sont réalisées à 80% à l’étranger, principalement au Royaume-Uni et aux États-Unis mais aussi dans l’Union Européenne, en Russie ou au Proche-Orient. L’entreprise peut se targuer d’avoir créé des tissus visibles dans de prestigieux endroits, tels que Buckingham Palace à Londres, ou certains châteaux de la Loire (Villandry, Chambord, Azay-le-Rideau…).

Maison Roze mars 21
Maison Roze mars 21

Après 360 ans d’existence, cette manufacture historique et familiale est désormais tournée vers l’avenir. Si elle veut conserver son image de marque et poursuivre son ascension, son dirigeant devra faire preuve d’audace. Et ça, Arnaud Lebert n’en manque pas. « Il y a des membres de la famille Roze qui avaient la capacité d’innover. Si nous ne le faisons pas aussi, nous mourrons de nouveau. Il y a plein de choses à faire : nous devons nous remettre en cause, nous ouvrir à l’extérieur… Je crois que quand on s’appelle Roze, on peut tout se permettre ! » Le natif de Saint-Aignan-sur-Cher (41) n’a qu’une crainte : ne pas réussir à réaliser ses nombreux projets. « C’est pour ça que je suis pressé » plaisante-t-il. Il a par exemple décidé de replanter des mûriers dans le département, dans l’espoir de relancer la filière de la soie en Touraine. « Pour le moment, la soie vient de Chine, via l’Italie », admet le directeur. Il reçoit ensuite la matière première déjà teinte, en bobine ou en écheveau. Soucieux du sourcing de ses produits, il aimerait donc recréer une filière de la soie 100% locale, comme il en existait une auparavant. « Il faudra quelques années avant que cela se fasse. Il y a une réalité économique et relancer une filière n’est viable que si l’on utilise le mûrier pour en faire autre chose. » C’est pourquoi il prévoit notamment de créer une lotion à base de feuilles de mûrier qui devrait s’appeler « Cueillette de la soie ».

Maison Roze mars 21
Maison Roze mars 21

Valoriser les filières végétales et respecter l’environnement

Arnaud Lebert mise par ailleurs sur la valorisation des fibres végétales. C’est pour cette raison que la société utilise le lin, le coton, le chanvre ou la laine pour ses créations. Le directeur n’exclut pas non plus d’utiliser les fils issus des tiges de tomates. Une idée pour laquelle il crée le Tomato Lab, en lien avec le château de la Bourdaisière à Montlouis. Dans cette continuité, l’entreprise se veut plus responsable et respectueuse de l’environnement. « Le textile est l’une des industries qui polluent le plus. L’idée est de voir comment nous pouvons donner du sens aux déchets que l’on génère. Pour cela, Maison Roze doit s’engager dans l’anti gaspi et le recyclage. Nous devons réussir à donner plus de valeur à nos déchets qu’au produit de base, indique le directeur. Nous pourrions par exemple imaginer créer un béton ciré décoratif intégrant des chutes de fils de soie. »

De cet esprit imaginatif découle l’envie de lancer une résidence d’artistes, dont le lieu reste encore à définir. « L’objectif serait d’emmener de la créativité. Comment créer de nouveaux tissus, de nouveaux bétons, de nouvelles pièces ? » Arnaud Lebert souhaite également ouvrir des concept stores au cours de l’année. À Paris, pour commencer. Et pourquoi pas à Tours, pour ensuite les décliner à l’étranger. Il mentionne alors Londres, New York, Shanghai et Dubaï. « Ce ne serait pas qu’un endroit où l’on vend des choses mais aussi un lieu de vie culturel et de création », commente-t-il. Après avoir créé le prix Roze, récompensant le meilleur décorateur et ensemblier de cinéma de l’année, il envisage enfin de proposer des visites de l’entreprise, pour mieux la faire connaître en Touraine. « Nous sommes connus dans le monde entier mais pas localement », constate le dirigeant. Et de conclure : « Je pense qu’il faut ouvrir cette entreprise et ne pas rester en vase clos. Les meilleurs ambassadeurs de Roze, ça reste les Tourangeaux. »

Photos : Claire Vinson

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