Quand quartier rime avec mixité, chronique d’un projet urbain

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Construit principalement entre 1959 et 1971, le Sanitas abrite plus de 8000 habitants avec une prédominance de logements sociaux. Situé au sud du centre-ville de Tours, il fait partie aujourd’hui des 200 quartiers d’intérêt national visés par le « Nouveau programme national de renouvellement urbain » (NPNRU) sur la période 2014-2024. Un projet d’envergure qui doit entièrement remodeler le quartier à terme.

Le Sanitas fait l’objet de beaucoup de fantasmes. Populaire, il est le quartier le plus pauvre de Tours avec un revenu médian de 7500 euros par an par personne. Un quartier avec ses difficultés qui souffre à l’extérieur d’une image plutôt négative. 

Pourtant, une partie non négligeable de ses habitants lui témoignent un attachement certain et le projet porté par la ville de Tours pour restructurer en profondeur le quartier suscite émoi et inquiétudes. Un pré-projet que la ville de Tours porte et a présenté à l’ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine).  Dans celui-ci, il est question notamment de déconstruire-reconstruire une partie de l’habitat (10% du parc de logements actuels) afin de promouvoir la mixité sociale. En clair, « résidentialiser » certains secteurs en abaissant le taux de logements sociaux (de 93% aujourd’hui) et en privatisant les logements. A cet objectif s’ajoute celui de rendre le quartier plus attractif en aménageant les espaces de sorte que les habitants puissent avoir une certaine qualité de vie, d’accès aux services et aux équipements, avec le risque de voir ce quartier de Tours se « gentrifier », au détriment de sa population actuelle.

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Secteur Saint-Paul : le plus symbolique et le premier touché 

Dans les derniers étages de la tour Tulasne, dite également tour U, les appartements dominent le quartier et offrent une vue imprenable sur celui-ci. Ce secteur est l’un des plus emblématiques du quartier mais aussi un de ceux qui alimentent le plus les discussions. 

Et pour cause, la place est considérée comme une plaque tournante du trafic de stupéfiants. Tous les jours, les jeunes y siègent à la recherche de nouveaux acheteurs. En allant à leur rencontre, Oussemane nous interpelle : vendre de la drogue est pour lui une nécessité.

« Je suis arrivé dans ce quartier, sans diplôme, sans perspectives de travail. Il fallait bien que je paye mon loyer et je n’ai pas l’âge pour toucher le RSA. Une situation particulièrement précaire qu’il justifie par de la discrimination. C’est parce que j’habite ici que les employeurs ont peur de m’embaucher. Ça serait plus simple si j’habitais aux prébendes ». La présence de ces jeunes dérange et trouble la tranquillité du quartier. 

Le secteur est le premier site d’intervention du NPNRU. La barre St-Paul, aujourd’hui inhabitée et insalubre, sera détruite. La station service qui fait l’angle également, un coup dur pour les gérants. Depuis 25 ans, ils faisaient partie intégrante de la vie du quartier. « Au début, on aidait même les jeunes qui sortaient de prison en leur faisant leurs enveloppes administratives. Et encore aujourd’hui pour les photos d’identité par exemple, on a toujours été là pour les aider ». Le contrat avec le groupe Total n’ayant pas été renouvelé, la station service a fermé.

« C’est parce que j’habite ici que les employeurs ont peur de m’embaucher. Ça serait plus simple si j’habitais aux prébendes! »

La station service et les commerces voués à disparaître

Les commerces de la place Saint-Paul s’apprêtent eux aussi à mettre les clefs sous la porte. Faute de déménagement possible dans les futurs locaux à Hallebardier, la boulangerie pâtisserie « Le Pain d’or » part au quartier du Beffroi, à Tours Nord. Rachid Belaalim, le propriétaire, nous explique qu’il connait tous ses clients et leurs habitudes. Son métier, bien que marchand, est aussi éminemment social dans un quartier où tout le monde se connait.

A ce moment, une habitante entre dans le commerce et réagit : « Ici les commerces, c’est très important ! J’aime bien venir dans mon quartier, je vais à la poste, puis chercher mon journal et ma demi baguette. Là, ils vont tout détruire. Au lieu de virer ceux qui font le bordel, ils virent les commerçants ! ». Une tension de part et d’autres que la municipalité espère apaiser.

Pour se faire, la barre Saint-Paul sera remplacée par des bureaux ou des logements étudiants. La place sera réaménagée, et les nouveaux commerces se situeront à Hallebardier. L’objectif affiché étant de rendre le quartier plus accessible au reste de la ville et de lui donner une image moins négative. 

La proximité avec la gare : un atout pour attirer de nouvelles populations

C’est dans ce secteur proche de la Gare que des entreprises pourraient voir le jour

Donner une meilleure image du quartier à l’extérieur est ce qui ressortait beaucoup en mai 2017 lors de l’esquisse du projet porté par la Ville. A l’époque, cette dernière était accusée de ne pas consulter les habitants et de porter un projet essentiellement tourné vers l’ »extérieur » afin d’attirer de nouvelles populations plus aisées que celles présentes. 

Si depuis des concertations ont été animées et des ajustements opérés, l’impression demeure chez certains habitants de ne pas être les premiers destinataires du projet. C’est notamment le cas dans le secteur Marie Curie – Place Neuve. Dans ce périmètre proche de la gare, la ville prévoit de déconstruire-reconstruire l’école maternelle Marie Curie. Dans la continuité, les bâtiments longeant la ligne du tramway seront réhabilités en des logements meublés pour les séniors et les étudiants. « Moi avec mes cheveux blancs, je suis tranquille, je suis sûre de rester mais ce n’est pas le cas pour tous » résume une habitante. Le projet prévoit également la destruction des bâtiments allées de Moncontour et de Cheverny, situés proche de la passerelle Fournier.

Le bloc Moncontour dans le secteur Marie-Curie insalubre et bientôt démoli

Nicole Terras, habitante du quartier depuis 16 ans, est membre d’un collectif d’habitants qui se bat pour proposer des alternatives au plan initial. « Depuis le début, nous préconisions la rénovation mais ils ont décidé de tout démolir. Pourtant, le directeur de Tours Habitat nous a toujours dit que ces immeubles pouvaient encore tenir le coup. »

Là encore, l’impression demeure que le projet sur ce secteur se tourne vers la captation de nouvelles populations mais aussi de nouvelles entreprises intéressées par la situation géographique (des locaux d’activités sont envisagés).  

Un projet qui va au-delà d’une restructuration de l’habitat

Et le projet ne s’arrête pas aux habitations. Il prévoit en effet une large restructuration de l’espace public, avec entre-autres une voie traversante piétonne et une voie nouvelle reliant la rue du Sanitas et la rue C. Colomb dans le secteur Pasteur. Les équipements publics seront largement réaménagés également : la maison de la réussite sera modernisée, la création d’une maison des associations et la restructuration de l’accueil de loisirs sont également prévus, toujours dans ce même secteur. Différentes écoles seront reconstruites (Marie Curie, Kleiber, Claude Bernard), des nouveaux commerces devraient voir le jour (secteur Hallebardier) tout comme de nouveaux locaux sportifs. Le gymnase de la Rotonde devrait lui aussi disparaitre au profit d’un gymnase plus petit. Fort de son histoire, ce lieu est un ancien atelier de la SNCF transformé en un grand gymnase de six terrains en 1962. Il faisait partie des installations de l’ASPO (Association Sportive de Préparation Olympique). Aujourd’hui, l’association a gardé un terrain pour le tennis et les autres sont à disposition d’associations sportives telles que les Apaches de Tours et le Tours Bike Polo. 

« Un four l’été et un frigo l’hiver. »

Dans ce projet de renouvellement urbain présenté par la Ville de Tours, la halle sportive est démolie et remplacée par des habitations. Pour pallier ce manque d’installations sportives, les constructions de deux autres gymnases et deux salles spécialisées sont prévues. Des équipements qui ne combleront pas la perte selon Xavier Dateu, conseiller municipal de Tours et ancien adjoint aux sports : « Ils réfléchissent en mètres carrés dans le projet. Ils en gagnent, ils n’ont pas tort. Sauf que les mètres carrés gagnés seront sur des structures qui ne sont pas polyvalentes. » 

Le gymnase de la Rotonde composé de 6 terrains. (c) Pascal Montagne - image d'archives
Le gymnase de la Rotonde composé de 6 terrains. (c) Pascal Montagne – image d’archives

Et c’est tout là la complexité d’un tel projet. Au Tours Bike Polo l’inquiétude se fait ressentir. Rémy Dutour, président de l’association, nous explique que le terrain sur lequel les joueurs s’entrainent est presque unique en France. Malgré le fait que ce soit une structure vieillissante et mal entretenue, « un four l’été et un frigo l’hiver », le gymnase de la Rotonde est essentiel pour leur activité. En mai dernier, ils ont accueilli le Championnat de France de Bike Polo. « Si la mairie décide de nous enlever cela, elle risque de toucher 350 personnes qui sont compétitives sur le niveau Européen et Mondial. C’est vraiment une balle dans le pied qu’on se tire pour notre activité de Bike Polo. » 

La modification de l’urbanisme aide à atteindre l’objectif de la mixité sociale. Que ce soit le bâti, le social, l’économique ou l’urbain, chaque pan du quartier est en partie restructuré. L’objectif étant d’assurer, dans chacun de ces secteurs, une offre diversifiée d’équipements, d’activités et d’habitats aux nouveaux arrivants. 

Mais le sens même du mot mixité n’est pas le même pour tous. Pour Ousemane, un jeune du quartier, les habitants auraient aimé être au coeur des discussion face à un projet qui a pour but d’inclure davantage le quartier dans la ville et de le rendre plus attractif.

« Il y a plus de mixité dans le quartier que dans toute la région. Il y a 30 nationalités différentes et les gens vivent ensemble. Je crois qu’ils ont peur de ça. » 

Cette fresque est l’un des derniers témoins du nom du quartier

Un quartier voué à disparaître ? 

L’an dernier, la station de tramway portant le nom Sanitas avait déjà été débaptisée pour emprunter celui de la grande place du marché St-Paul, « Cela s’est fait incognito » résume une habitante. 

Au delà des pratiques des habitants, c’est aussi tout un imaginaire collectif qui est construit autour de ce quartier et de ce nom. « Je suis fière d’habiter au Sanitas », « Allez à Lyon, à Marseille etc. Ils ne connaissent pas Tours, par contre vous verrez qu’ils connaissent le Sanitas ! », force est de constater que le nom est inscrit dans les imaginaires. D’autres habitants ne partagent pas la même vision. Le boulanger de la place Saint-Paul considère que le nom du quartier porte en lui des connotations négatives et qu’il serait bien de le changer. « Sanitas, c’est un nom qui fait peur.  S’ils changent le nom, cela permettra peut-être de redorer l’image du quartier parce qu’au final c’est ce que nous voulons tous. »

Dans le projet, il est par ailleurs spécifié que ce n’est pas « un projet pour le quartier du Sanitas mais plutôt plusieurs projets à tailles humaines organisés autour de pôles de proximité ». Les secteurs énoncés plus haut seraient ils les futurs noms de quartier ? Le sujet est en suspens.

Quant à l’avenir du quartier, reste à savoir si la Ville aura l’accord et le financement de l’ANRU pour mener à bien ce projet estimé à 100 millions d’euros.

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