[Municipales à Joué-lès-Tours] Curiosité autour de l’Union des Démocrates Musulmans Français

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C’est un petit parti : 1 millier d’adhésions revendiquées en 2019, 30 000 voix obtenues aux élections européennes et seulement une dizaine de listes candidates pour les élections municipales de 2020. Néanmoins, l’Union des Démocrates Musulmans Français attire la lumière, accusé d’être un mouvement communautarisme et anti-républicain. Joué-lès-Tours sera l’une de ses bases lors du scrutin des 15 et 22 mars. Le candidat local Drice Benama y organisait une réunion publique samedi soir avec les représentants nationaux du parti. Nous y étions.

Située face au centre commercial et à la station de tram, la salle du centre social de la Rabière a l’habitude des réunions politiques. Le maire de Joué-lès-Tours y est passé quelques jours plus tôt pour faire campagne. Ce samedi soir, c’est Drice Benama qui a réservé les lieux, candidat UDMF pour la mairie de la 2e plus grande ville du département. La réunion est prévue à 20h30. Une heure plus tôt, son équipe se met en place : cacahuètes et cocktail de gâteaux apéro sur une table dans un coin, tests de micro… La routine de ce type de rendez-vous. Un détail diffère : la présence des caméras de TF1 et d’Arte. Deux chaînes de télévision nationales dans le quartier, c’est inhabituel. La dernière fois qu’on en a vu ici c’était fin 2018, après une recrudescence d’incendies de voitures et l’instauration du couvre-feu pour les mineurs par la municipalité.

Nos consœurs et confrères sont venus observer un parti qui intrigue dans le paysage politique. UDMF signifie Union des Démocrates Musulmans Français. Et le terme Musulmans suffit à déchaîner les passions, certains responsables politiques ayant réclamé son interdiction jugeant sa démarche contraire à l’esprit démocratique. Pour riposter, le mouvement annonce porter plainte contre le président de la région Hauts de France Xavier Bertrand suite à des propos tenus sur France 3 en janvier. Une interview jugée diffamante.

« Nous ne sommes pas des imams »

Avant les discours, alors que la salle se remplit doucement (une petite centaine de chaises, presque toutes occupées), le président de l’UDMF s’emploie à déminer le terrain face aux médias. « C’est le jeu » glisse Nagib Azergui quand on lui demande s’il n’en a pas un peu marre. Il insiste :

« Certaines personnes croient que nous sommes là pour faire du prosélytisme mais nous sommes un parti républicain pas un mouvement confessionnel. Nous ne sommes pas des imams. Nous voulons être reconnus comme Français. C’est pour cela que dans notre nom le terme Musulmans est encadré des mots Démocrates et Français. »

Ainsi, dans la profession de foi et le programme de Drice Banama, on ne trouve pas vraiment de référence à cette religion, hormis la volonté d’organiser un débat sur l’islam à la médiathèque (il a écrit un livre sur le sujet). Le slogan de campagne n’en est pas moins équivoque : « Agir pour ne plus subir ». Comprendre : ne plus subir l’isolement dans la société.

Lutter contre le séparatisme

Originaire de Bobigny, près de Paris, Nagib Azergui a fondé l’UDMF en 2012 et se place clairement à gauche de l’échiquier politique avec une priorité : lutter contre l’extrême droite, « notre ennemi revendiqué », au point qu’il n’y aura pas de liste du mouvement à Maubeuge pour éviter une dispersion des voix dans cette ex cité minière qui pourrait basculer en faveur du Rassemblement National.

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Bon orateur, habillé d’un costume gris cintré plutôt, le jeune quadra récite : « Je fais le constat tragique que les musulmans sont devenus un argument politique. Nous sommes taxés de tous les maux par nos opposants politiques. On essaie d’empêcher ce mouvement qui fait de l’ombre à des gens qui se partagent le pouvoir depuis des années. » Un discours plus proche de ce qu’on pourrait entendre à La France Insoumise qu’au Parti Socialiste. Expliquant venir à Joué-lès-Tours pour la 4e fois, il exprime sa doctrine :

« Nous voulons lutter contre le séparatisme. C’est symbolique dans cette ville coupée en deux entre la Rabière et un centre-ville où les habitants ne veulent pas voir les gens du quartier. Nous voulons casser cette séparation. »

On lui parle du festival des Années Joué, premier événement populaire de la ville qui mixe pourtant les populations dans ce quartier de la Rabière. Ou de la rénovation urbaine envisagée. Trop peu, pour le militant : « On ne résout pas la misère sociale avec du BTP » résume-t-il en guise de punchline.

Drice Benama.

A en écouter les représentants, l’UDMF ne fait pas des élections de ses membres une fin en soi. Nagib Azergui et ses troupes disent avant tout vouloir ramener vers les bureaux de vote des personnes qui en sont éloignées, par exemple parce qu’elles se sont senties stigmatisées : « Il y a un problème politique alors on répond. » Plus tard, il complète : « On peut travailler différemment, pas forcément via les urnes. A Joué-lès-Tours, Drice n’est pas là pour faire carrière en politique mais pour entamer un dialogue. »

Traduction : là où c’est possible, le parti privilégie les accords avec d’autres mouvements pour faire passer ses idées. Une façon aussi de justifier qu’il n’a composé qu’une dizaine de listes pour les Municipales, contre une cinquantaine envisagées dans un premier temps (Joué, Châtellerault, Clichy, Vaulx-en-Velin…).

« Nous voulons investir là où les autres politiques font des économies »

L’Union des Démocrates Musulmans Français fait campagne avec des bouts de ficelle : 3 000€ pour Joué-lès-Tours, juste de quoi imprimer les professions de fois et les bulletins de vote. Il espère placer quelques élus pour montrer son poids et obtenir une tribune dans les conseils municipaux. Pour insuffler quelles idées ? « Nous voulons investir là où les autres politiques font des économies » synthétise Nagib Azergui, dénonçant notamment le mythe de l’école égalitaire (il plaide pour des primes accordées aux enseignants qui font remonter les moyennes dans les classes de quartiers populaires).

Une alliance au second tour ?

Un spectateur a interrogé Drice Benama sur une rumeur d’alliance avec Laurence Hervé au second tour. « Nous avons discuté, j’ai aussi rencontré Francis Gérard. Aujourd’hui il n’y a d’alliance avec personne, rien de signé. Mais j’espère pouvoir m’associer avec une autre liste pour faire perdre la droite. J’espère quelque chose après le 1er tour mais il ne faut pas que le programme penche d’un côté, et pas du nôtre » répond le candidat. Pour fusionner, il devra néanmoins réussir à atteindre la barre des 5% dans les urnes le 15 mars.

De son côté, Drice Benama défend une utilisation très contrôlée du budget municipal, étrillant l’équipe de Frédéric Augis qu’il accuse d’avoir fait bondir la dette de la ville au point de la mettre en danger. Il promet donc de justifier chaque euro dépensé (en particulier pour la Rabière, reprochant au maire actuel l’opacité de l’emploi des crédits de l’Etat). Par ailleurs, il veut une bourse aux stages pour mettre en valeur les collégiens et les lycéens auprès des entreprises du territoire, espère à terme des transports gratuits, veut plus de places en crèche et des conventions d’objectifs avec les entreprises pour inciter à l’embauche des jeunes. Son programme comporte aussi des mesures plus étonnantes allant de la volonté d’ouvrir un Primark (enseigne de mode très bon marché) à la promesse de passer son salaire de maire de 3 500€ à 1 500€ et de répartir les 2 000€ restants en chèques de 40€ envoyés chaque mois à des Jocondiennes ou des Jocondiens précaires (pas sûr que ce soit possible dans la réalité).

Le programme détaillé de Drice Benama est à découvrir dans cet article sur Info Tours

Le travailleur social de 49 ans – perçu par certains comme « le candidat de la Rabière », ce dont il se défend – affiche sa détermination autant qu’une certaine rage face au maire actuel : « On s’engage car après ce qu’il s’est passé (référence aux violences à la Rabière, ndlr), la réponse politique n’est pas à la hauteur. Si on ne s’occupe pas de cette jeunesse c’est elle qui va s’occuper de nous. La politique de Frédéric Augis a détruit toute une génération et le plus grave c’est qu’il ne s’en rend même pas compte. Je l’ai mis en garde trois fois dans son bureau. S’il est réélu, vous allez voir : dans un an ou deux il y aura un nouvel événement et ça va repartir. Le tout répressif est la solution du désespoir. On peut faire mieux à l’écoute et au service des citoyens. »

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