Massinissa Selmani : de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Tours au Palais de Tokyo.

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On aurait pu aussi titrer «de Tizi-Ouzou à la Biennale de Venise», «du CCC à la Biennale de Lyon» ou «de l’informatique aux Beaux-Arts», tant les itinéraires de cet artiste algérien de 38 ans sont multiples. Avec comme fil conducteur le dessin. Diplômé sur le tard de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Tours (ESBAT) en 2010, il reste aujourd’hui basé à Tours où il a trouvé un atelier dans un coin tranquille. Jusqu’au 13 mai, ses derniers travaux sont mis à l’honneur dans une exposition personnelle au Palais de Tokyo : «Ce qui coule n’a pas de fin». Rencontre.

37 degrés : Le dessin a-t-il été toujours présent dans votre vie ?

Massinissa Selmani : Oui, mais sous une forme plus brute. Quand j’étais adolescent je dessinais déjà beaucoup, je reprenais des classiques de la peinture et, déjà, j’aimais dessiner des choses que je voyais à la télé et dans la presse, des sujets d’actualité. Mais à cet âge-là je n’intellectualisais pas du tout cette démarche, c’était un simple geste, une activité spontanée.

37 degrés : Comment de Kabylie vous vous êtes retrouvé aux Beaux-Arts de Tours ?

Massinissa Selmani : Je suis arrivé à l’ESBAT à l’âge de 25 ans, c’est-à-dire à l’âge où la plupart des élèves en sortent ! Quand je vivais en Algérie, je n’avais jamais entendu parler de Tours. Je voulais faire une école d’art, mais les écoles là-bas ne correspondaient pas à ce que je voulais. Je ne tenais pas absolument à venir en France, je voulais juste aller m’installer dans un environnement où la culture avait une place importante. Je venais de quitter Alger pour m’installer à Tizi Ouzou en Kabylie, où l’offre culturelle était vraiment limitée. Je suis tombé sur une info sur l’Ecole des Beaux-Arts de Tours et un ami a regardé sur Google Images et on a vu la Loire et il m’a dit «allez, vas-y, ça a l’air super !» et j’ai fait un dossier en une heure ! (rires). J’ai envoyé des travaux et j’ai été pré-sélectionné pour le concours, mais je n’avais ni l’argent pour le billet d’avion, ni le visa pour venir. Ils ont quand même étudié mon dossier et ils ont accepté de me prendre directement en première année sans m’avoir rencontré. J’ai alors économisé pour acheté mon billet, j’ai demandé mon visa et je suis venu m’installer en France pour la rentrée.

Sans titre, 2018
Graphite, mines couleur sur papier et papier calque, 50 x 65 cm

© DR. Courtesy l’artiste, galerie Anne-Sarah Bénichou et galerie Selma Feriani

37 degrés : A quel moment de vos études d’art vous avez vraiment choisi votre voie et précisé votre démarche ?

Massinissa Selmani : Je dirais au cours des deux dernières années. J’ai beaucoup travaillé avec un professeur, la photographe Suzanne Lafont. Elle m’a aidé à conceptualiser certains aspects de ma démarche, à mettre des mots sur mon travail, en me demandant d’aller voir et lire certaines choses qui lui paraissaient importantes. Cela a été une rencontre fondamentale, tant sur le plan humain que sur le plan artistique. J’ai beaucoup avancé à son contact.

37 degrés : Après l’obtention de votre diplôme des Beaux-Arts en 2010, tout s’est assez vite enchaîné ?

Massinissa Selmani : Oui, j’avais eu la chance d’avoir été repéré à l’école, notamment par Dominique Truco qui à l’époque dirigeait la Biennale d’Art contemporain de Melle. Elle m’a programmé pour l’édition 2011 et, à Tours, j’ai été repéré par l’association Mode d’Emploi qui m’a offert une résidence juste après, jusqu’à début 2011, ce qui m’a aidé à me «poser» après l’obtention du diplôme, une période souvent compliquée pour les artistes. Cela m’a permis de pouvoir continuer à travailler dans un atelier et de finaliser certains travaux. J’ai ensuite eu plusieurs expositions personnelles importantes, dont notamment celle au CCC à Tours en 2015.

Dans quel sens traverser les antipodes, 2018
Détails
Installation technique mixte, dimensions variables

© DR. Courtesy l’artiste, galerie Anne-Sarah Bénichou et galerie Selma Feriani

37 degrés : Comment résumeriez votre démarche ? Qu’est-ce que vous nous racontez ?

Massinissa Selmani : Il y a plusieurs fils conducteurs qui définissent mon travail, à commencer par la pratique du dessin comme forme documentaire, ce que j’appellerais plutôt «des formes dessinées», qui peut sortir de son cadre et entrer en action avec autre chose autour et générer ainsi différentes formes de récits. Des récits qui sont souvent des témoignages sur des événements. L’autre aspect principal de ma démarche c’est cette passion que j’ai depuis longtemps pour les images d’actualité que j’aime collectionner. Je pioche dedans pour constituer des situations improbables. Je suis aussi très attiré par l’absurde, du coup un certain nombre de ces mises en scènes sont absurdes.

37 degrés : Ces scènes sont composées de quelle manière ?

Massinissa Selmani : J’isole différents motifs de différentes photos de presse qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, puis je les dessine ensemble, en essayant de faire correspondre les échelles pour que la composition de l’image fonctionne et que les scènes demeurent plausibles. Et je laisse beaucoup de parties blanches, beaucoup d’espace. Ce qui permet notamment au spectateur d’imaginer les contextes.

Dans quel sens traverser les antipodes, 2018
Détails
Installation technique mixte, dimensions variables

© DR. Courtesy l’artiste, galerie Anne-Sarah Bénichou et galerie Selma Feriani

37 degrés : Vous utilisez différentes techniques ?

Massinissa Selmani : Je fais un travail de réflexion autour du dessin, qui reste la technique essentielle. Sinon je joue beaucoup avec les calques et les supports, qu’il m’arrive de décaler ou de déplacer. Le dessin peut prendre du volume grâce à ce jeu sur les supports. Mes expositions sont le plus souvent des installations, rarement de simples accrochages de dessins aux murs.

37 degrés : En 2015 vous avez été sélectionné à l’exposition internationale de la biennale de Venise, où vous avez obtenu un prix. Quel travail avez-vous présenté?

Massinissa Selmani : C’était un projet que j’avais en tête depuis plusieurs années. Une installation qui s’appelle «1000 villages» et qui fait allusion à un projet d’état en Algérie dans les années 1970 qui consistait à construire 1000 «villages socialistes» afin de faire vivre ensemble et de remettre sur les rails des paysans déboussolés par la guerre et la privation de leurs terres. Le projet n’a jamais été achevé, mais plein de villages ont bien été construits.

Encore un jour sans ombre (Détail), 2018
Graphite sur papier calque, adhésif, papier
46,5 x 80 cm
Règle métallique graduée, 50 cm

© DR. Courtesy l’artiste, galerie Anne-Sarah Bénichou et galerie Selma Feriani

37 degrés : En 2016, vous avez reçu le prix Sam Art Projects qui vous a permis de réaliser la série présentée au Palais de Tokyo. De quoi s’agit-il ?

Massinissa Selmani : C’est encore un épisode historique bien particulier que j’ai eu envie de revisiter. J’ai découvert que Louise Michel avait côtoyé des Algériens exilés suite à leur soulèvement contre les autorités françaises, lors de ses années de déportation en Nouvelle-Calédonie ; puis qu’en 1904, elle avait rendu visite comme promis à ces anciens prisonniers algériens en Nouvelle-Calédonie. Mon installation s’appelle «Ce qui coule n’a pas de fin». J’ai travaillé un an-et-demi sur le sujet, mais ce n’est au final pas un travail de chercheur ni d’historien. J’avais juste envie de travailler sur les notions de conflits et de terre, de résistance. Cela fait évidemment écho à des sujets actuels simples et concrets, liés à l’occupation de terres. Ce n’est pas une approche anti-coloniale engagée, mais une proposition de lecture différente de ces problématiques à travers une création fictionnelle basée sur des faits réels. J’aime générer des formes les plus légères possibles, je déteste la représentation spectaculaire de faits qui le sont déjà.

Propos recueillis à Tours le 28 mars 2017.

 

Un degré en plus

> Exposition au Palais de Tokyo à Paris, jusqu’au 13 mai 2018

> Retrouvez les principales séries et expositions de Massinissa Selmani sur son site internet.

Encore un jour sans ombre, 2018
Graphite sur papier calque, adhésif, papier
46,5 x 80 cm
Tige en métal 0,4 x 0,4 x 100 cm

© DR. Courtesy l’artiste, galerie Anne-Sarah Bénichou et galerie Selma Feriani

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