Marray, faire campagne pour son village

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Mercredi après-midi, soleil de plomb, rues désertes. Quelques personnes sont à côté de leur voiture, en tenue de randonnée. On imagine la chaleur sous leur chapeau. Sur la petite place centrale, une église, un bar fermé, un distributeur automatique de pain. Quand on déambule dans les rues, tout est calme, les maisons sont pittoresques, typiques d’un petit village français de 480 habitants. Bienvenue à Marray, village à 32 kilomètres au nord de Tours, 37 minutes en voiture selon le GPS.

37 minutes. Moins de temps qu’il n’en faut pour faire l’intégralité de la ligne du tramway Tourangeau (48 minutes). Marray, proche et loin à la fois. Mais sans voiture, impossible d’imaginer faire quoi que ce soit. Les Marraysiennes et les Marraysiens sont catégoriques. Surtout Maxime, 16 ans, élève en seconde, qui habite le village. « Marray, c’est mort. J’ai juste envie d’avoir mon permis pour voyager. Même aller à Tours devient un voyage. » 

À Marray, il n’y a pas de travail. Beaucoup vont  à Tours ou dans les environs. Donc, idem, la voiture est indispensable. En cas d’accident, de perte de permis… c’est la catastrophe. Alors la solidarité tente de s’organiser. Le maire du village, Patrick Boivin, a lancé une plateforme de covoiturage sur le site de la mairie. Il faut normalement participer au prix du trajet. C’est un service que se rendent les habitants entre eux. D’ailleurs, « ils se sont assez vite approprié ce service, au point de ne plus passer par la plateforme. » Du moins c’est ce que pense le maire. Car le trafic sur le site est assez faible.

Cela n’empêche pas de se filer un coup de main. « Un jour, vers 7h du matin, j’ai eu un accident. J’ai dû laisser la bagnole sur place, raconte Guillaume, 34 ans, Marraysien. En même pas deux heures de temps, il y avait déjà 5 personnes au courant et qui étaient venues me filer un coup de main. » Tous sont solidaires dans la galère de la mobilité. Il faut dire que c’est peut être le principal problème. D’ailleurs, cela a aussi des répercussions dans le coût de la vie. « J’ai calculé avec ma femme, on en a pour 9 000 euros d’essence par an. »

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Un budget qui peut paraître exorbitant mais qui s’explique par l’éloignement des services publics et des commerces. Par exemple, Marray ne possède aucun médecin. Le problème est qu’à partir d’un certain âge, conduire devient dangereux. Le maire du village explique que beaucoup de personnes âgées finissent par partir pour aller en maison de retraite ou se rapprocher des commodités. 

Services publics

Il en est de même pour les adolescents. Les parents sont obligés de faire le déplacement tous les jours pour emmener leurs enfants au collège ou au lycée. L’autre solution est de les mettre en internat. Mais le budget n’est évidemment pas le même.

Heureusement, Marray possède sa propre école élémentaire. Les élèves peuvent aller en classe de CM1 et CM2 directement au village. Les plus jeunes sont à Chemillé-sur-Dème et les CE1 et CE2 vont  à La Ferrière. Pour relier les trois écoles, gérées par la communauté de commune de Gâtines Choisilles – Pays de Racan, un bus scolaire a été mis en place. Le maire précise : « Cette école est un vrai plus pour créer du  lien social dans le village. Elle permet aux jeunes mais aussi aux parents de se rencontrer. D’ailleurs, l’association des parents d’élèves se mobilise régulièrement pour proposer des sorties scolaires ou organiser la fameuse kermesse de fin d’année. »

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La cour et l’entrée de l’école primaire de Marray.

Parmi ses membres actifs, on peut trouver Emilie Richard.  En dehors de son activité associative, elle est la secrétaire du maire et s’occupe aussi de La Poste tous les matins et un samedi sur deux. Un point relais qui permet aux habitants d’avoir un accès au service postal. On peut y acheter des timbres ou poster une lettre mais par contre, pas question de retirer de l’argent. D’ailleurs il n’y a pas de distributeur. Martial, un Marraysien qui vit sur la place centrale du village, raconte son système D. « Les matins, quand le boulanger qui rempli le distributeur de pain arrive, je m’arrange avec lui pour qu’il me fasse un peu de monnaie et que je puisse mettre des pièces dans le distributeur. » Un distributeur qui étonne l’équipe du Fournil de Lo.

Au fond d’une ruelle juste à côté de la place centrale, le bruit d’une hache résonne. Rien d’étonnant pour ce village puisque le fournil fonctionne grâce à un four à bois depuis 1856. Actuellement, il propose des pains bios faits à partir de farines locales. Ouvert tous les mardi et vendredi soir, on pourrait penser qu’il s’agit d’un lieu de rencontre et de vie pour les Marraysiens. Pourtant, les trois boulangers-pâtissiers confient n’avoir qu’une vingtaine de clients fidèles dans cette commune. « Ici, ils s’en foutent un peu du fournil. Enfin j’exagère un peu… Je peux comprendre que nos horaires d’ouvertures soient contraignants mais comme on n’habite pas là, on ne peut pas ouvrir tous les jours. Pour qu’une boulangerie soit viable, il faut à peu près 1 500 habitants alors qu’ici, les gens préfèrent acheter leur baguette au distributeur », confie Bernard, employé du fournil. Alors pour gagner leur pain, ils vont sur les marchés et vendent leurs produits à des boutiques bio.

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Malgré la bonne volonté de certains clients – dont le maire qui vient au moins une fois par semaine et qui leur commande régulièrement des pizzas pour les conseils municipaux – l’équipe du fournil a décidé de partir s’installer définitivement à Tours. Le four à pain du village, lui, ne sera pas abandonné : une de leurs anciennes stagiaires va venir mettre la main à la pâte. 

Pourtant, Marray n’a pas toujours fonctionné de cette manière. « Avant, la famille Marteau gérait un café. Mais, dans les années 80, ils ont cessé leur activité », raconte Laurent, patron du fournil.

Un p’tit bar perdu

Pour remédier à cette situation et proposer un lieu de rencontre, des habitants de Marray ont créé une association à but non lucratif ayant pour objectif d’ouvrir un bar dans le coeur du village. Avec le soutien de la mairie, le bar a ouvert en avril dernier. Ici pas d’alcool fort, mais les Marraysiens peuvent venir se désaltérer autour d’une bière, d’un verre de vin ou d’un soda, presque tous locaux. 12 bénévoles se relaient derrière le bar en fonction de leurs disponibilités les jeudis et vendredis soir ainsi que le samedi matin. Tout le monde est le bienvenu, mais il y a quand même une règle primordiale de la vie associative à respecter : pour consommer il faut adhérer. Cela coûte six euros pour un an et pour l’instant, 320 personnes se sont inscrites. 320 photos prises avec un Polaroïd sont affichées au mur avec des petites pinces à linge. Symbole d’un bar fier de faire vivre le village, fier de ses adhérents. 320 pour un village de 480 habitants, une fréquentation plus qu’honorable pour le P’tit bar perdu de Marray.

La vie Marraysienne est paisible, calme, tranquille. Assis à la terrasse du P’tit bar perdu, Guillaume, sourit à pleines dents. « Il n’y a qu’à voir le cadre dans lequel on boit notre bière. Personne n’est venu me taxer une clope ! »

Et même les gens qui ne viennent pas de Marray pourraient presque rêver d’y habiter. D’ailleurs, le village attire. La population est passé de 262 habitants en 1990 à presque 500 en 2019. « Pour habiter ici, on doit prendre la voiture, mais ce fric, c’est du fric qu’on ne va pas mettre dans les loyers et la taxe d’habitation », constate Guillaume. Lui paye 270 euros pour 60 mètres carrés. Un loyer vraiment pas cher si on le compare à ceux qu’on peut trouver dans le centre-ville de Tours. Et malgré ces prix bas, Val Touraine Habitat, organisme de logements sociaux, est présent dans la commune. Il y a six logements, tous occupés.

« L’idée est de faire en sorte que Marray ne soit pas un village dortoir. Les gens viennent ici parce que c’est moins cher mais nous voulons aussi qu’ils s’impliquent dans la vie de la commune », explique le maire Patrick Boivin. Lui, avant tout, ce qu’il aime à Marray, c’est sa maison et son jardin. Le cadre de vie bucolique, ces grandes maisons et ces jardins luxuriants permettent aux habitants du village de se projeter dans l’avenir, ici, dans ce village, de vouloir y vivre plus que d’y dormir. « C’est important pour nous que l’ambiance du village soit bonne. Quand il y a une ambiance sereine, les gens qui foutent la zizanie ne sont pas écoutés et n’y a que ceux qui parlent du positif qui ressortent », s’enthousiasme le maire.

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 Tous ces logements, en pleine campagne et pourtant pas si loin de Tours, accueillent pour nombre d’entre eux de jeunes parents. D’ailleurs, selon les chiffres de l’INSEE de 2016, près de 27 % des habitants de Marray ont entre 30 et 44 ans (contre 18 % en Indre-et-Loire) et 28 % ont entre 0 et 14 ans (17,4% en Indre-et-Loire). Pour le maire, l’idée est de fidéliser ces jeunes à la vie Marraysienne, pour qu’ils s’y sentent bien et puissent s’imaginer y vivre. Un city stade tout neuf, une école, des jeux pour enfants… Il faut que les jeunes puissent s’y sentir comme chez eux. Guillaume, jeune salarié du Fournil de 22 ans préfère sa ruralité à la vie citadine : « La relation que j’ai avec les gens ici est plus simple. Le simple fait d’être à la campagne, c’est agréable, c’est tranquille. Mais bon, je vais être contraint de déménager à Tours avec le boulot… »

Pas sûr que Maxime soit du même avis. A 16 ans, sans permis de conduire, les journées sont bien longues lorsqu’il est à Marray. « Au quotidien, on s’ennuie rapidement. C’est un village très calme. Il n’y a pas grand-chose à faire. D’autant plus que je dépends beaucoup de mes parents. C’est compliqué de ne rien pouvoir faire par soi-même et de ne pas pouvoir s’émanciper de manière autonome. Il n’y a même pas de ligne de bus. » Se retrouver au bord du lavoir, S’asseoir sur les jeux pour enfants… La vie pour les ados n’est pas la plus facile à Marray mais les parents sont compréhensifs et n’hésitent pas à faire des kilomètres d’aller-retour pour déposer leurs enfants ici où là, au gré des sorties et des soirées.

Un autre vrai souci : le manque de réseau téléphone. « Pour passer un coup de fil, il faut aller à l’entrée du village ou bien monter sur la petite colline. » Pas pratique du tout, surtout quand on est jeune. Le réseau téléphonique, ce n’est pas ce dont on me parle le plus, explique le maire de Marray Patrick Boivin. Un opérateur marche plutôt par ici, l’autre par là… » Mais la fibre, elle n’est toujours pas là. » Pour jouer à la Xbox, un pote est obligé de venir chez moi sinon ça rame trop et il ne peut pas jouer en ligne », raconte Guillaume en sirotant sa bière au soleil. « Ma mère paye 40 euros d’internet par mois pour une connexion de merde », surenchérit Simon, un jeune Marraysien de 21 ans.

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Alors avec internet qui rame, des jeux pour enfants mais rien pour les ados, des commerces de proximité qui ferment, que reste-t-il à faire à Marray quand on est jeune ? 

Comité des fêtes & fête de la musique

Le comité de fêtes en a fait son affaire et essaye tant bien que mal de faire vivre le village. Le point d’orgue de la vie culturelle de Marray ? La fête de la musique. L’année dernière pas moins de 400 kilos de frites et 30 futs de bières ont été vendus. Cette année, le stand des pizzas a été pris d’assaut. 45 minutes d’attente pour déguster et à 23h, tout était vendu. 2 000 personnes sont venues cette année profiter des 32 groupes présents. Des jambons entiers qui rôtissent au feu de bois, des crêpes, des bières, des barbapapas, le tout au milieu de huit scènes dispersées dans tout le village. Un ambiance bon enfant qui fait de Marray une véritable destination à cette occasion. De quoi faire rayonner le village. « Des gens connaissent Marray sans vraiment connaître, simplement grâce à cette fête de la musique. Ils sont contents de venir, en gardent un bon souvenir mais ne sauraient pas placer le village sur une carte. »

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Pour que les Marraysiens puissent également s’approprier et faire vivre leur village, d’autres événements annuels sont organisés comme la brocante, le loto, le karaoké ou le tournois de pétanque. Question culture, une petite bibliothèque permet aux habitants d’accéder à la lecture mais pour toutes les sorties culturelles, il faut pouvoir se déplacer.

Simon, un jeune de 21 ans qui a grandi à Marray explique qu’avant, une Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) proposait des activités dans le village. C’est eux qui ont recouvert d’une fresque le mur au dessus du distributeur, sur la place principale de Marray. Mais aujourd’hui, l’association a totalement abandonné la commune. Pour que le village retrouve un peu de vie, c’est la communauté de communes qui propose et essaie de nouvelles choses, comme des sorties ou des activités entre jeunes. Le maire Patrick Boivin est tout de même un peu déçu : « Je constate de plus en plus que les jeunes consomment mais ne s’investissent pas. » C’est d’ailleurs avec force et aplomb qu’il essaye de convaincre le jeune Maxime, 16 ans, en stage à la mairie, des bienfaits de la vie en ruralité. Maxime acquiesce, impassible, Lui n’a qu’une envie : déménager.

À Marray, l’entraide est primordiale. « C’est la mairie qui achète les jeux pour les enfants et ce sont les conseillers qui viennent les installer quand ils ont un petit moment. Ça fait des économies », explique le maire. L’ambiance est familiale mais la proximité entre les habitants pose souvent un problème d’intimité. Comme le village ne possède pas de gendarmerie sur place, le maire doit régulièrement régler lui-même les conflits ou le non respect de la loi. Il raconte avoir déjà été réveillé la nuit car un chien faisait trop de bruit. Il en est de même pour sa secrétaire, Émilie, que les habitants n’hésitent pas à solliciter au moindre problème. 

Comme dans tout village, les secrets et les ragots se propagent rapidement. Certains voisins aiment savoir ce qu’il se passe de l’autre côté de la rue. Pas toujours facile de s’intégrer dans toute cette ambiance de proximité, en particulier si la relation avec les autres habitants est mauvaise. L’intégration comme l’exclusion peuvent arriver très vite. Cependant, Simon qui est revenu vivre à Marray après avoir étudié à Tours trouve que la ville oblige à jouer un rôle : « Être en ville demande un effort moral. On est toujours en représentation. Être à la campagne, par contre, demande un effort fonctionnel. »

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Hugo Checinski & Anaïs Draux

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