Marins d’eau, plus ou moins, douce

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Cette année, le club de canoë-kayak Loire Aventure à Amboise est devenu trentenaire. Si les décennies se faufilent, la philosophie initiale, elle, reste ancrée. À savoir, renforcer le lien entre l’habitant local et la Loire tout en lui enseignant une pratique physique responsable en totale harmonie avec le fleuve royal. Reportage dans le quotidien d’une association à la fois éducative, sportive et environnementale.

Son arrivée est plus que bienvenue. Un rayon de soleil réchauffe la table basse où Philippe s’est installé pour déjeuner devant le club. L’horloge affiche 13 h 30 et nous osons le déranger dans ce moment de quiétude. « Mais prenez donc une chaise en attendant Cyril, il est toujours un peu en retard (sourire). » Philippe Cillierre est l’un des deux salariés à l’année du club. En ce mercredi d’octobre, comme souvent avant les vacances de la Toussaint, son travail consiste à réparer et nettoyer ce qu’a pu laisser comme trace la saison estivale. Vérification de l’intégralité du matériel, nettoyage à grande eau des canoës, il « se doit de tout vérifier. Pendant la saison, on n’a pas le temps de s’occuper de cette logistique, même si cette année on a eu un peu plus de temps que prévu… » Pour cause, une météo capricieuse et un contexte touristique toujours impacté par l’épidémie de Covid 19 ont considérablement marqué l’activité loisirs de Loire Aventure. « L’été n’a pas été bon. Beaucoup de pluie, des températures peu élevées. On a même fait la journée du 14 juillet avec zéro sortie », nous apprend Cyril Porcher, l’animateur et responsable de la structure, qui vient de nous rejoindre. Si quelques vagues touristiques, venues notamment du Benelux et du nord de la France, ont navigué avec les canoës indiens du club, le local, lui, manquait plutôt à l’appel. « Beaucoup d’habitants des alentours ne sont pas venus également sous prétexte que le niveau d’eau de la Loire était trop élevé avec les nombreuses pluies. Mais ce niveau d’eau leur permettait une navigation sans plus de danger que d’habitude. »

Cyril développe : « Après il faut savoir que beaucoup de locaux ont toujours eu un rapport ambivalent avec la Loire. C’est un peu « je t’aime moi non plus ». Il y a toujours un peu de crainte et un ensemble de mythes tenaces autour de ce fleuve, comme la présence de sables mouvants. Un phénomène sociétal qui pour moi date d’une soixantaine d’années et s’est renforcé avec cet accident mortel dans le Maine-et-Loire. »  L’animateur fait référence au 18 juillet 1969 lorsque 19 enfants d’un centre de loisirs à Juigné-sur-Loire trouvèrent la mort par noyade lors d’une baignade dans le fleuve. Effondrement d’un cul de grève ? Vitesse du courant ? Le mystère reste encore entier aujourd’hui. À l’époque, le drame fait grand bruit et revient aux oreilles du président de la République, Georges Pompidou, et de son gouvernement. La baignade en Loire est interdite depuis cette année-là et une politique de sensibilisation est lancée, tout comme la construction sur tout le territoire de nombreuses piscines municipales. Cela n’empêchera pas une grande partie des générations ligériennes suivantes de tourner, elles aussi, le dos au fleuve royal. 

Apprendre à lire un fleuve

Le premier des objectifs du club est donc de renouer ou renforcer le lien entre la Loire et ses habitants. Aussi bien au niveau de l’activité loisirs qu’au sein même du club de kayaks. Comme tout élément naturel, il y a des risques et la première chose que Cyril enseigne c’est la connaissance du milieu. « Qu’on soit en forêt, en montagne, en mer ou en rivière, nous sommes à chaque fois confrontés à des endroits naturels qui ne nous appartiennent pas et qui comportent des risques. On ne pourra jamais parler de risque zéro quand on emprunte ces zones naturelles, mais on peut réduire considérablement les risques. Pour ça il faut comprendre le fonctionnement du milieu naturel et savoir le lire. » 

Il est un peu plus de 14 heures. Le ciel grisonnant se débarrasse de ses nuages pour laisser place à un soleil radieux. Une quinzaine d’adhérents en tenue se rassemble au milieu de cette ancienne guinguette des années 1930 devenue depuis plus de vingt-cinq ans le domicile de l’association sur l’île d’Or. Le plus jeune a 9 ans et la plus âgée 65 ans. Tout le monde est en tenue, prêt à se mettre à l’eau. Direction le petit local, situé entre les deux rives, au-dessous du pont du Maréchal Leclerc où est entreposé le matériel. Le mercredi, la session a lieu de 14 à 17 h environ avec environ une pratique sur l’eau de deux heures. Le reste est consacré à l’équipement du matériel et à la pédagogie. Une deuxième session est organisée tous les jeudis à la piscine d’Amboise en fin d’après-midi. Un entraînement basé sur l’apprentissage des techniques, comme l’esquimautage (redresser seul son kayak après avoir chaviré, NDLR) ou le bon maniement de la pagaie. Le b.a.-ba pour tout kayakiste. Un bagage essentiel afin d’appréhender du mieux possible les sorties en eaux vives, principalement en Loire et sur le Cher, durant l’hiver, mais aussi en mer lors de stages. « Au-delà de l’apprentissage de la technique, je laisse également souvent une plage de temps consacrée au jeu, comme le water-polo en kayak, afin de resserrer les liens du groupe. Ça renforce également la sécurité et l’entraide », ajoute Cyril. 

« La Loire demande beaucoup d’humilité. On est toujours en apprentissage sur ce fleuve »

« Non, non, malheureusement il n’est pas là ». Deux adolescents constatent avec regret l’absence d’un rouleau de vagues sous le pont. Comme le reste de la troupe, ils se dirigent vers les vestiges d’un ancien pont, devant le Château d’Amboise, afin de prendre part au petit quart libre d’échauffement avant de passer à l’exercice du jour. En guise de toboggan, les plus téméraires descendent avec leur kayak la digue pour rentrer dans l’eau. Cyril, entre deux contrôles sur l’équipement de ces adhérents nous raconte son petit rituel hebdomadaire : « Chaque mercredi, je leur demande les différences qu’ils peuvent observer sur la Loire. Un fleuve, ça change tout le temps de morphologie et je suis là pour essayer d’aiguiser leur œil par rapport à ces changements. Sur n’importe quel cours d’eau, il faut toujours être dans l’observation, savoir lire le milieu naturel. En l’espace d’une nuit, un arbre peut tomber dans le fleuve donnant ainsi naissance à une souche et créer un nouvel obstacle, bouleverser la voie d’eau. On doit acquérir beaucoup de connaissances pour comprendre ce fleuve et évoluer dessus. On est constamment obligé de s’adapter. La Loire demande beaucoup d’humilité. On est toujours en apprentissage sur ce fleuve. »

L’objectif du jour concerne l’apprentissage de la maîtrise du courant-stop lors de la prise de rapides sous le pont. Un courant-stop sert tout simplement à maîtriser sa vitesse pour sortir sans encombre d’un courant. La technique consiste à placer sa pagaie dans le contre-courant pour casser la vitesse de glisse et d’incliner son bassin afin de définir un axe de rotation pour sortir du courant. Ici aussi la lecture de l’eau est primordiale, comme le dit l’animateur à son assemblée : « Il faut bien cerner le contre-courant pour l’anticiper du mieux possible. Le reste se fait tout seul. Il ne faut pas attendre la fin du courant, sinon ça ne sert à rien. Le but est de sortir le plus vite possible du courant. » Forcément, les nouveaux adhérents ont une certaine appréhension. Un sentiment qui se renforce également en fonction de l’âge. « C’est beaucoup plus simple pour les plus jeunes. Ils ont peu de crainte, et vu qu’ils ont moins de force physique que les plus âgés pour compenser un manque de technique, ils savent qu’ils doivent avoir le bon coup de main rapidement », nous apprend le moniteur, présent au club depuis les débuts, il y a 30 ans. Ce dernier voit son groupe hétérogène, en matière de niveaux, comme une chance : « Il n’y a jamais de démotivation pour les plus forts. Ici, ils savent bien qu’ils ne sont pas là pour la compétition. Alors ils aident les autres et apprennent à transmettre leurs acquis. Un savoir pédagogique qui leur servira toujours. Quand je sais qu’ils maîtrisent aussi bien la technique que l’appréhension du milieu naturel où ils sont, je les laisse également s’amuser un peu plus loin, je leur fais confiance tout en les surveillant toujours. On se surveille tous d’ailleurs. Même moi, on doit me surveiller. On n’est jamais à l’abri d’un retournement, d’un accident. » 

La crainte d’une trop grande professionnalisation des associations sportives

Des rires, des éclaboussures et des descentes de rapides, sans kayaks, mais toujours en gilet de sauvetage viennent conclure la séance. Pour Cyril la séance a été bonne. « Oui, ils ont bien bossé et le stop est maîtrisé par pratiquement tout le monde. De plus, il y a une bonne ambiance qui se dégage du groupe, une bonne cohésion avec un esprit d’entraide. En général, je planifie peu mes séances. Je sais ce qu’ils doivent apprendre sur une année. En fait, j’organise surtout mes séances en fonction du niveau de l’eau et des conditions météo. »

Sur le chemin du retour, l’animateur revient sur cet été compliqué et les retombées économiques qui forcément sont plus faibles. Comme la plupart des clubs de canoë-kayak, c’est la partie loisirs, donc de location, qui permet très majoritairement de faire fonctionner l’ensemble du club. Aussi bien au niveau du matériel que des sorties en groupe – la structure qui compte une quarantaine de licenciés organise chaque année quatre sorties en mer ou en rivière. « Une licence coûte 100 euros à l’adhérent. Sur cette somme, 60 euros sont reversés à la fédération… Ça laisse peu de marge au club. Mise à part des subventions exceptionnelles, comme pour le Covid, et le prêt des locaux, on n’a peu d’aides. Donc il faut s’adapter. Bon ça on sait le faire. J’ai juste quand même la crainte, qu’avec le temps, les associations sportives se professionnalisent trop et deviennent uniquement des machines à gagner de l’argent au détriment de l’accessibilité de la pratique. Mais attention, on n’en est pas là non plus. Je reste optimiste. »

Un goûter effectué par l’un des licenciés attend l’équipe de retour au club. L’ensemble débriefe dans la bonne humeur leurs aventures plus ou moins tumultueuses de l’après-midi. Après un passage aux vestiaires, Cyril se confie sur le futur de Loire Aventure : « J’aimerais qu’avec le temps, les jeunes adhérents reprennent le club. Qu’ils amènent leurs idées, leur vision de l’avenir avec toujours comme première préoccupation la Loire. »  À quelques mètres de là, Philippe vient de donner un dernier coup de jet d’eau à un canoë. Sa journée est terminée, il poursuivra son nettoyage d’automne demain. La Loire continuera de s’écouler et un rayon de soleil est même annoncé.

Un degré en plus : Du kayak pour les 4e du collège Choiseul 

Depuis une quinzaine d’années, les élèves de 4e du collège Choiseul à Amboise bénéficient d’un cycle de huit séances dédié à la pratique du kayak. Initié par les professeurs d’EPS, en coopération avec Loire Aventure qui accompagne et participe à l’élaboration des cours, ce cycle débute par un apprentissage sur un cours d’eau à Varennes avant de rejoindre le Cher et de finir par une descente de la Loire au printemps. Au-delà de l’apprentissage de la discipline, cette activité permet également à l’élève de découvrir la faune et la flore du fleuve royal. « Ça créer des synergies entre les matières, comme avec les SVT par exemple qui vont également, dans leurs cours, s’intéresser davantage à ce milieu naturel. La Loire devient un véritable sujet d’enseignement », apprécie Cyril Porcher.

Texte : Pierre-Alexis Beaumont / Photos : Laurent Depeigne

Audio : Radio Active

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