L’éloge du coup de pied aux fesses, par Élisabeth Segard

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Un animal de compagnie qui récupère tout l’héritage d’une famille pleine aux as, ça n’arrive que dans les pires cauchemars des héritiers Balkany… ou dans le bouquin d’Elizabeth Segard. Blogueuse mode et journaliste, la Tourangelle a maîtrisé ses vieux démons pour pondre 250 pages de comédie littéraire. Saugrenu mais palpitant.

Entre journalistes tourangeaux, on s’apprécie, et parfois on se fréquente. On était donc au courant du potentiel drolatique voire espiègle d’Elizabeth Segard. Passée par 37 degrés pour y publier quelques articles, elle s’est ensuite envolée vers un autre nid tout en restant prête à migrer vers le centre-ville le temps d’une pause déj’. Il faut dire que cette femme-là aime au moins autant la bonne bouffe que les fringues éthiques et les paragraphes bien ficelés. Alors quand elle nous a annoncé qu’elle sortait un roman, seul le timing nous a pris de court. Ensuite elle nous a dévoilé le titre : Les pépètes du cacatoès. On a ri, et on a attendu avec impatience l’arrivée de l’ouvrage dans la boîte aux lettres de la rédac’. En se disant qu’il avait intérêt à être bon, même si on a tendance à perdre un peu d’objectivité quand ce sont les copines/copains qui font le grand saut.

Les pépètes du cacatoès, c’est l’histoire d’un grand-père lillois qui meurt dans son fauteuil un peu avant Noël. Fondateur d’une multinationale de la conserve, il part en léguant l’équivalent d’un tirage de l’Euromillions à ses trois petits-enfants orphelins depuis la disparition de leurs parents. Ces jeunes-là sont à peu près aussi feignants qu’un fan du PSG un soir de match et vivent donc confortablement sans faire grand-chose. Mais quand le notaire leur annonce qu’ils ont 365 jours et pas un de plus pour gagner chacun 100 000€ avant d’avoir le droit de toucher l’héritage de papy Adalbert, leur monde s’écroule. Surtout que si leur mission échoue c’est le perroquet du patriarche qui empoche les euros. Et que ça vit longtemps, ce genre d’oiseau.

« Je cherchais une histoire un peu farfelue »

« Je voulais écrire quelque chose qui ne se prenait pas au sérieux, comme sur mon blog consacré à la mode » explique l’auteur (on aurait bien mis un e, mais elle ne le fait pas dans son livre, alors on va laisser comme ça). « Je voulais m’amuser, avec plein de second degré et de clins d’œil. Je cherchais une histoire un peu farfelue quand j’ai repensé à la patronne de William Saurin qui avait légué sa fortune à son caniche. Une histoire de fou. Je suis partie de là, et voilà ! »

Le résultat : une série de chapitres où il est question de cacahuètes, de fruits exotiques, de hashtags, de menaces d’enlèvement, de plans machiavéliques, de remords ou d’art contemporain conceptuel. S’il est un peu long à démarrer (on s’attendait à rire aux éclats dès les premières pages), le livre se lit d’une traite, bien aidé par sa chronologie : pas un jour, voire une demi-journée, sans rebondissement. Presque tous aussi détestables les uns que les autres, les personnages principaux n’en sont pas moins attachants, justement parce qu’ils sont couverts de défauts. Quant aux héros secondaires, leurs petites manies amènent des grains de folie supplémentaires, malgré quelques digressions dispensables.

« Dans ce roman ce sont les femmes les plus couillues »

On ressort de là avec le sourire, détendu après avoir lu une comédie française littéraire teintée de fond, ce qui n’a rien de désagréable : « c’est un roman qui invite à la curiosité, à aller vers les autres et dépasser les idées reçues » explique Élisabeth Segard, pas mécontente d’avoir saupoudré son propos d’une juste dose de féminisme : « c’est un livre politiquement incorrect, ce sont les femmes de la famille qui sont les plus couillues ! »

Dans la prose de la journaliste, on sent l’aisance, l’enchaînement logique des péripéties :

« J’ai écrit ce livre en six mois, quand mon mari n’était pas là. Le fait d’être journaliste m’a aidée. J’ai l’habitude d’écrire, pas forcément d’attendre l’inspiration. Une fois partie, je me suis bien amusée. Le soir j’étais contente de retrouver les personnages Je ne me mettais pas la pression, je ne pensais pas que ce serait publié. »

Pas de pression, vraiment ? Si Elisabeth Segard a écrit Les pépètes du cacatoès, c’est avant tout pour gagner un pari avec son mari qui galérait à écrire dans son coin. « J’ai commencé en novembre 2017, juste avant la mort de Johnny. Quand j’ai vu l’histoire autour de son héritage j’ai fait ‘Putain ! C’est pas vrai il m’a piqué l’idée !’ »

Mais est-ce vraiment le 1er roman de cette femme imaginative qui a réussi à horrifier sa prof de 5ème avec un anti-conte de Noël et revendique au passage des notes comprises entre 18 et 20 pour ses dissertations ? Vous sentez venir la réponse ? « J’avais essayé une fois, je m’étais arrêtée à la page 40. C’était une histoire avec un tueur à gage et une femme qui se faisait battre par son mari. C’était il y a 15 ans, je me suis dit que le roman ce n’était pas pour moi. Je pensais que je ne pourrais pas tenir sur la durée, garder le fil de l’histoire, tenir le lecteur… » Ou alors c’était juste un scénario de base trop sérieux.

Un roman aussi moral que délirant

Avec Les pépètes du cacatoès, Élisabeth Segard utilise l’humour pour faire passer ses messages. Elle fait ainsi l’éloge du coup de pied aux fesses, ce moment désagréable voire humiliant mais qu’on ne regrette pas forcément avec le recul. La Tourangelle prend le parti de raconter l’histoire de personnages riches, pas si fréquent dans la littérature française : « on se dit que les gens qui ont beaucoup d’argent sont heureux et n’ont pas d’histoire. Qu’ils n’ont jamais galéré. Là on pense qu’Adalbert est quelqu’un d’hyper austère, mais il en a quand même chié. Et quand ses petits-enfants grandissent ils se rendent compte que l’argent ne tombe pas du ciel, que la vie n’est pas si rose. »

Pourquoi Lille ?

Les pépètes du cacatoès est signé de la plume d’une Tourangelle mais l’action se déroule dans le Nord : « mon mari est Lillois, c’est une région que j’aime bien » justifie Élisabeth Segard qui loue également cette société « hyper forte, qui rayonne sur toute la France via d’énormes entreprises. » Cela dit, vu la psychologie des personnages ou le côté très fashion du bouquin, on pourrait parfois se croire à Paris. « Oui, ça pourrait » concède l’écrivaine avant de corriger dans la foulée : « mais il y a un côté assez parisien dans la grande bourgeoisie lilloise. »

Le fameux Adalbert, l’écrivaine le fait par ailleurs intervenir régulièrement, alors que son décès intervient au premier chapitre. Pas juste un effet de style :

« L’idée c’est de dire n’attendez pas que les gens meurent pour les connaître, vous avez le droit de leur parler quand ils sont vivants. C’est hyper moral mais j’assume : les livres sont là pour faire réfléchir. »

Dans tout ça, on en oublierait presque le fameux cacatoès ! Personnage central de l’histoire, il est son principal atout comique : « c’est un animal interactif, qui parle, qui bouge. Il est super malin », précise Elisabeth Segard, « et puis c’est un personnage qui peut interagir avec les autres, ça marche moins bien avec une mésange ou un lapin. » Néanmoins, la romancière regrette « un peu » de ne pas avoir exploité encore plus les possibilités offertes par l’incongruité de la présence de cet oiseau dans son histoire : « j’avais peur d’être too much. » Elle a tout de même regardé plein de vidéos et passé un temps fou sur des forums pour en apprendre un maximum. Au point d’en adopter un ? « Non, je n’achèterais pas de cacatoès à mes enfants ! »

Crédit photo portrait : Gin Pineau


Un degré en plus :

Les pépètes du cacatoès d’Elisabeth Segard, City Editions, 16€90.

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