Du 11 au 14 juin, le Théâtre Olympia de Tours programme la dernière création de son artiste associée Mathilde Delahaye : Maladies ou Femmes modernes, écrit par l’Autrichienne Elfriede Jelinek (Prix Nobel de littérature en 2004). Un spectacle à découvrir dans un lieu inhabituel, et même complètement insolite : le Magasin Général, ancien site ferroviaire désaffecté de Saint-Pierre-des-Corps. Reportage et rencontre pendant les répétitions.
C’est une pièce dont la présentation est annoncée à la tombée de la nuit, à partir de 22h. L’ambiance sera forcément bien différente de celle des salles de théâtre, et la scène 100 fois plus grande qu’à l’accoutumée. Parfois, il y aura 200m entre le groupe d’acteurs et le premier rang du public.
« C’est un lieu parfait, presque trop grand » explique la metteuse en scène Mathilde Delahaye qui a tout de suite flashé sur le Magasin Général lors de ses repérages. Elle voulait un décor de ce genre, brut, portant un certain passé. Il a fallu l’adapter aux conditions de spectacle : trop risqué d’entrer dans le bâtiment autrefois site de stockage exploité par les cheminots mais possible de s’installer aux abords, où l’on a amené l’électricité, et débattu pendant plusieurs heures de la bonne inclinaison des gradins pour le confort des spectateurs.
« Les moments coupés du public sont jouissifs »
« On a également travaillé le son comme au cinéma, avec des micros HF afin de conserver une proximité sonore même quand l’image sera déconnectée » précise Mathilde Delahaye. On entendra tout, à défaut de voir les moindres détails. Un dispositif qui libère l’équipe : « ça implique un autre rapport au jeu et au spectateur. Ces moments coupés du public sont jouissifs, ils nous permettent une forme d’abandon, comme des enfants qui jouent dehors » glisse Pauline avant de partir s’échauffer avec ses camarades Déa, Julien et Blaise. Une sorte de chorégraphie développée dès les premières répétitions à Mulhouse (Haut-Rhin), puis spécialement adaptée à Saint-Pierre, pour appréhender le terrain, « l’apprivoiser individuellement et collectivement, voire ce qui nous touche, l’investir nous-mêmes, peupler de notre imaginaire cet endroit à priori hostile empli de fantômes » détaille la jeune actrice.
Programmé pendant quatre soirées sous réserve d’une météo clémente, Maladie ou Femmes Modernes « n’a pas té écrit pour se jouer en extérieur » souligne Mathilde Delahaye. Mais la metteuse en scène s’en est accommodé, jusqu’à y trouver de nombreux avantages : « quand les hommes deviennent des chiens et des loups, il n’y a pas besoin de grand-chose pour se le figurer. Il suffit de partir en courant. »
Une mise en scène inspirée d’une photo célèbre
Texte de l’Autrichienne Elfriede Jelinek, Maladie ou Femmes modernes montre à voir « un quatuor infernal » dans un cabinet médical qui se transforme en lande sauvage. Il y a un médecin, une infirmière, une femme au foyer et un conseiller fiscal. Toutes et tous avec des traits de caractère singuliers et antinomiques. On y éborgne le concept de domination masculine, et y ausculte celui de l’émancipation féminine. Cette fiction, Mathilde Delahaye l’a rapprochée d’une photo prise par Jeff Wall en 1991 : Le pique-nique des vampires, « un pique-nique grotesque et burlesque, donnant à voir un groupe de vampires et leurs victimes. D’une manière allégorique on y distingue le malaise social, l’absence de transparence entre les groupes sociaux. Il y a une atmosphère hyper riche. »
Adepte du théâtre paysage, celui qui sort de « la boîte noire » des salles habituelles, Mathilde Delahaye s’est employée à déployer une ambiance fantomatique, s’adaptant au terrain après étude d’archives ou rencontre avec d’anciens salariés du Magasin Général. Elle fait ça à chaque fois, racontant par ailleurs comment elle a joué avec un vol de corbeau qui survolait l’espace scénique chaque soir à 21h04 précises pendant les premiers essais alsaciens du spectacle : « on habite le lieu, on joue avec ses contraintes, on est contaminés par l’histoire et ses fantômes. »
Pour que ce projet tourangeau aboutisse, le Centre Dramatique National s’est associé avec Pôle des Arts Urbains de Saint-Pierre-des-Corps (Polau). Néanmoins, nous n’assisterons pas à une représentation de théâtre de rue, mais bien de théâtre paysage : « le théâtre de rue a vocation à s’emparer d’un espace public, à créer des interactions avec les spectateurs, ce qui n’est pas mon cas : je conserve les codes du théâtre en salle » explicite Mathilde Delahaye qui travaille en prime à l’écriture d’une thèse sur le sujet.
« J’aime bien l’idée que le théâtre se déplace et se réinvente » nous dit-elle encore, voyant ses différentes créations en extérieur comme des fables pleinement incarnées dans le terrain de jeu, comme si elles y existaient bien avant qu’on y arrive avec la garantie d’y demeurer bien après notre départ. Un raisonnement qui implique de modeler le jeu selon l’espace : Maladies ou Femmes modernes sera ainsi différente entre sa version tourangelle, et celle présentée il y a quelques jours à Valence, dans la Drôme.
Photos : Mathilde Delahaye, Marie Pétry et Olivier Collet
Un degré en plus :
Maladie ou Femmes modernes, du 11 au 14 juin au Magasin Général de Saint-Pierre-des-Corps. Infos sur le site du CDNT.
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