Le billard, activité Cérébr’Halles

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Cet article est paru initialement dans 37°Mag, notre magazine papier.

Depuis plus de 30 ans, les passionnés de billard français se réunissent aux Halles de Tours. Un club historique à l’ambiance feutrée qui cherche des solutions pour se redynamiser.

Quand on longe la façade est des Halles de Tours, il suffit de lever la tête pour les voir : des affiches annonçant la présence du Billard Club Tourangeau au 1er étage du bâtiment, juste au-dessus d’une pâtisserie. On grimpe l’escalier et on suit les panneaux… Facile à trouver : la porte d’entrée donne sur la coursive qui surplombe le patio, s’ouvrant sur une salle toute en longueur remplie de 7 billards français de 2m80 ou 3m10 de long, la plupart recouverts de leur protection. Ils sont là depuis les années 80, arrivés après la fermeture d’un précédent site Place Jean Jaurès. Tous surplombés d’un néon pour garantir un éclairage optimum, et régulièrement entretenus (les tapis changés tous les ans et les caoutchoucs plus ponctuellement, les derniers sont de 2019).

Au sol, la moquette bleue est fatiguée. Les murs couverts de tableaux de marques, accessoires et documents mériteraient un petit coup de rafraîchissement. Deux ventilateurs brassent l’air heureusement pas trop chaud en cette journée d’été… mais en cas de canicule on peut vite dépasser les 30° dans le bâtiment. Dans le fond de la pièce, Richard s’exerce inlassablement en solo, multipliant les coups pour perfectionner sa technique. Justement, ce sont les affiches visibles de l’extérieur qui l’ont amené à gravir les quelques marches pour tâter l’ambiance des lieux. C’était il y a deux ans… « Je viens quand je peux les après-midis, jusqu’à 5 fois par semaine. En moyenne on est 6 ou 8, parfois je suis tout seul. J’aime l’ambiance : avec les autres on s’affronte, on tourne, on change, on s’entend bien. On est au calme, concentré, on apprend à être précis. J’ai l’envie de me perfectionner en permanence, ici ou en regardant des parties sur Internet. Ce n’est pas physique mais c’est un sport. On ne joue pas comme ça les yeux fermés. J’aime bien ce côté recherche. »

De fait, le billard français impose la minutie. Des coups réfléchis, calculés, pour faire un maximum de points en organisant la rencontre des deux billes blanches et de la bille rouge (on dit bien bille, pas question de parler de boules, un vocabulaire réservé à la pétanque). « Ce qu’on fait ici c’est de la science, des mathématiques » résume le président du BCT Jean-Louis Hayes, à ce poste depuis 2009 et présent tous les jours. Contrairement au billard américain, il n’y a que trois billes sur le tapis. Et pas de trous sur les côtés… Pardon, pas de poches. « C’est plus difficile, c’est pour ça qu’on a du mal à faire rester les jeunes » pointe le responsable du club à la moyenne d’âge particulièrement élevée : 76 ans.

L’espoir d’une nouvelle salle

Pendant longtemps, l’association fut une référence, accueillant nombre de tournois régionaux ou nationaux et, donc, de champions. Mais depuis que la ville de Tours restreint l’usage des étages des Halles le soir après 19h30 et le week-end, l’organisation de compétitions est devenue quasi impossible. « Ici nous avions les meilleurs joueurs de la Touraine mais nous les avons perdus. Depuis trois ans, ils sont partis à Montlouis, Saint-Pierre ou Lussault qui a sans doute l’un des plus beaux clubs de France. On se retrouve avec les joueurs faibles » déplore Jean-Louis Hayes accoudé au bar qui sert de moins en moins de consommations, en dépit de leurs prix défiant toute concurrence comme le confirme l’affiche accrochée à l’appareil (au maximum 1€50 pour la bière, et encore moins pour les membres). « Je me suis mis un café à 80 centimes mais ce n’est pas ça qui va nous aider à payer les 2 500€ d’électricité par an, ainsi que l’assurance ou l’eau » râle le retraité qui espère obtenir une nouvelle salle de la part de la mairie, afin de reprendre les matchs officiels. La difficulté de trouver des places de parking et le coût du stationnement rebuteraient également certains adeptes.

Qu’à cela ne tienne, Jean-Louis Hayes reste fidèle à la structure qui l’a accueilli. Avec 60 ans de billard derrière lui, ce petit homme en pantalon clair et polo rayé force le respect. Gaucher, il se reconnaît joueur moyen, rate plusieurs des démonstrations qu’il nous fait, mais maîtrise l’art de la discipline sur le bout des doigts (souvent gantés parce que c’est plus agréable, cela évite également de transpirer et de manquer ses coups à cause de la sueur). « J’ai commencé le billard à 20 ans. A l’époque on allait dans les cafés, mon père en avait également un chez lui » raconte le natif de Saint-Cyr-sur-Loire. « Je pratiquais en dehors du travail mais j’ai fini par arrêter parce que, bon, c’est l’époque où on court les filles puis on se marie. » En fin de carrière, il y revient : « il y avait un club à côté de chez moi, celui du centre Leclerc de Tours-Nord. Il était affilié à la Fédération et j’y suis resté 8 ans, jusqu’à ce qu’il ferme. Le propriétaire avait vendu la salle pour agrandir l’espace commercial et faire des réserves. C’est à ce moment-là que je suis venu aux Halles. »

Aujourd’hui, le Billard Club Tourangeau compte une grosse vingtaine de membres qui s’acquittent d’une licence et/ou d’un droit d’accès, leur donnant l’opportunité de venir jusqu’à 7 jours sur 7 dès 8h30 puisqu’ils ont tous le code de la salle (l’assistance est exclusivement masculine, seule une poignée de femmes pratiquent à l’échelon départemental qui compte un peu plus de 200 licenciés répartis dans l’agglo, à Nazelles-Négron, Loches ou Langeais). Certains passionnés passent presque tous les jours, d’autres plus ponctuellement : « On peut jouer très tard. Nous avons deux membres qui ont 92 ans, et il y a un ancien qui joue mieux que moi ! Il fait 2, 3 voire 4 points à chaque coup de queue » souligne le président. Néanmoins, s’ils ont beaucoup d’adresse, « ils n’ont pas de technique. »

Un président également arbitre d’envergure internationale

L’une des clés pour réussir son coup consiste à calculer à l’avance les rebonds sur les tranches en s’aidant des mouches posées sur le bois (des repères à viser au moment où on tape dans la bille). « Il faut de l’adresse, de la souplesse et une grande concentration. Il y a l’effet de la vitesse aussi, savoir doser sa force » détaille Jean-Louis Hayes avant d’insister : « Le but c’est de toujours jouer les billes ensemble… et de penser en permanence au prochain point. » Si les billes sont rapprochées, on pourra marquer facilement mais c’est un peu considéré comme de l’antijeu, l’art consistant à marquer après avoir fait courir sa première bille sur une large surface de tapis. Et pour être à l’aise, chacun sa technique : queue en carbone pour la légèreté, ou en bois pour les puristes. A Tours, les deux écoles se côtoient (mais il faut penser à mettre de la craie au bout souvent pour éviter que ça se grippe sur les billes). 

A défaut de multiplier les coups de maître, le président du BCT en a observé des centaines via son rôle d’arbitre international : « J’ai été en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie… » Cela fait 20 ans que ça dure, et il demeure en activité. « J’ai fait partie du comité directeur de la Fédération Française de Billard avec un rôle de responsable national. J’ai géré 1 200 arbitres » se souvient-il. Sa devise : « Rester humble. Il faut se dire que l’acteur ce n’est pas l’arbitre mais le joueur. Nous sommes là pour les aider. Ils ne doivent pas se souvenir de vous le lendemain. S’ils s’en rappellent, c’est qu’il y a eu un conflit. » Sur le bureau, un écran diffuse des parties de champions. Jean-Louis Hayes jette un œil sur l’image et on devine sa fierté quand il rouvre la bouche… « Tous ceux-là je les ai arbitrés ! Même quand j’ai fait des erreurs, aucun joueur n’a manifesté son mécontentement envers moi. Pourtant ça m’est arrivé de me tromper et que ça fasse perdre un joueur. » Il sort une enveloppe de photos où il pose en tenue élégante, glissant quelques anecdotes comme ce jour où il a assisté au match d’un homme à qui il manquait une main. Il se souvient avoir été impressionné : « C’était fabuleux, on aurait dû le voir à la télé. »

Attaché aux valeurs du bénévolat, l’homme conserve l’espoir de faire redécoller son club. Et peut-être ajouter de nouvelles coupes à celles qui trônent sur les étagères à trophées. En attendant, il accueille parfois des scolaires entre 7 et 15 ans pour leur donner quelques bases. Et leur enseigner, par exemple, l’éloge de la lenteur, qualité essentielle d’un coup réussi.

Photos : Laurent Depeigne

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