Emmanuel Lecerf : A coeur de pierre

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Retrouvez le dossier principal du magazine papier 37° n°6 printemps-été 2021 nommé « Trésors de Touraine »

Quand on évoque la Touraine, ses savoir-faire et ses trésors, il y a de fortes chances qu’instinctivement viennent à l’esprit les vins et autres plaisirs gustatifs : rillons, macarons de Cormery, Nougat de Tours, andouillettes de Vouvray… La Touraine, terre de Rabelais, c’est en effet avant tout l’hédonisme et le plaisir de la bouche, non sans un certain raffinement, symbole lui-même d’un savoir-vivre à la Française.

Mais la Touraine, c’est aussi des savoir-faire artisanaux reconnus. De la petite boutique à la manufacture prolongeant la tradition, la Touraine regorge de talentueux passionnés qui excellent dans leur domaine et font figure à leur niveau d’ambassadeurs d’une Touraine raffinée et élégante.



A 54 ans, Emmanuel Lecerf est un artisan du bijou. Un Tourangeau amoureux des pierres précieuses et attaché à produire des pièces fidèles aux sentiments de celles et ceux qui lui commandent.

Rue des Halles de Tours, au pied de la Tour de l’Horloge. Sous un soleil printanier, le joaillier Emmanuel Lecerf discute avec un ami boucher, devant la longue vitrine sobre qui cache son atelier. Ce Normand d’origine est un personnage connu à Tours. Silhouette trapue, mains puissantes, des yeux transperçants : un charisme immédiat. On pourrait presque se sentir intimidé mais dès les premières paroles, on est traversé par la sympathie et l’intelligence de l’homme.

Dans cet univers de la joaillerie que l’on pense emprunté, ce type-là détonne. Un épicurien, un émotionnel. Échanger avec une grand-mère qui vient faire réparer sa bague pour dix euros, prendre un apéro avec ses copains des Halles, initier la frappe solennelle de la première médaille de Saint Martin en présence de représentants des trois cultes – prêtre, rabbin et imam de Tours – voilà ce qui l’anime. Rencontrer, écouter et apprendre de tout le monde. Il le clame : “Le cœur de nos vies, c’est les rencontres. Cela donne du sens à ce que l’on fait”.

Ici, les choses doivent avoir du sens à commencer par la pierre blanche de la tour, écrin historique de la boutique, rehaussé par un discret vitrail représentant Saint Martin pour rappeler ce vestige de la première basilique. Dans ces murs, tout est héritage et histoire : ce métier séculaire, les vieux outils de bijoutier, les longues années de formation d’un homme qui n’est pas du sérail. Fils d’ouvriers, Emmanuel a fait son apprentissage dès ses 14 ans à Rouen. Installé à Tours à 21 ans, il entame le début d’une longue carrière rue Eugène Sue, comme sous-traitant de ceux qui ont déjà une renommée. 33 ans plus tard, il a réussi à imposer son style en assumant sa créativité face aux productions standardisées des “vendeurs d’or”.

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Un bijou, une histoire

Sa créativité, le joaillier la met au service des histoires d’amour, d’amitié, de partage de ses clients. Emmanuel Lecerf écoute avec chaleur ce que souhaitent symboliser ses clients dans leur futur bijou. Hors de question de glisser une bague anonyme au doigt d’inconnus, il veut sertir les sentiments dans une œuvre unique. “Mon métier c’est de créer de l’émotion”, confie l’artisan. Celles d’une mère qui confie un bijou de famille pour le transmettre à ses deux filles après transformation en deux bijoux distincts. De cinq amis de 20 ans qui font concevoir autant de chevalières identiques pour sceller leur amitié. D’un jeune homme énamouré qui casse les 300€ de sa tirelire pour un bijou simple dédié à sa dulcinée.

Une histoire différente pour chaque bijou, mais un processus de création immuable, sans ordinateur, ni automatisation. Peu de métiers permettent encore de concevoir et fabriquer de A à Z un objet original, dans un monde où tout s’est industrialisé, segmenté, reproduit à l’infini.

Un bijou exclusif, c’est d’abord choisir une pierre précieuse autour de laquelle va se concevoir le bijou. Mille possibilités… Emmanuel ouvre un tiroir et dévoile ses trésors : tanzanite, tourmaline, péridot, aigue-marine, saphir, émeraude, et bien sûr, diamant. Les pierres peuvent être en rond, en navette, en poire. Pour réaliser son projet du jour, une bague pour une jeune mariée, Emmanuel choisit une magnifique tanzanite bleue taillée en coussin, de 3,6 carats. “C’est le fondement de tout. La joaillerie, c’est travailler autour de la pierre, le moins de métal possible pour mettre le plus en valeur la pierre” fait-il remarquer.

Un première esquisse se crée à la pointe fine. Trait après trait apparaît un élégant bijou. C’est la première étape, pour présenter le projet à sa cliente, mais aussi imaginer comment réaliser le bijou. Une perspective d’abord, puis des couleurs. En quelques minutes, voici une représentation fidèle de l’anneau que la cliente portera au doigt. “Si tous les autres misent sur un diamant, j’aime proposer des pierres de couleur. Faire des bijoux qu’on ne voit pas partout. Cela permet aussi de proposer de la joaillerie à des budgets accessibles, parce que notre ADN, ce n’est pas d’en mettre plein la vue” souligne Emmanuel.

Au fil de la discussion, arrive le moment de passer du dessin à la réalité. Un petit lingot d’or, de platine ou d’argent est aplati sous les mâchoires du vieux laminoir à manivelle, celui-là même qui trône dans la boutique, utilisé par plusieurs générations de joailliers avant de prendre place rue des Halles. En quelques heures, cette fine plaque métallique va se transformer sous la magie des impressionnantes paluches d’Emmanuel, entre précision chirurgicale et inspiration artistique. Il cisèle patiemment les élégantes griffes qui enserrent la pierre, découpe le battage sur lequel la pierre prendra place, et enfin forme l’anneau.

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L’or rougeoie en quelques secondes sous le chalumeau

“Même après presque 40 ans de métier, je suis toujours émerveillé de me dire que j’ai fabriqué une bague avec juste mes doigts et un bout de métal.” Bercé par la musique de Radio Béton ou de FIP, il reprend son travail armé de ses lunettes binoculaires. Et lime, martèle, plonge le métal dans l’acide pour en nettoyer les impuretés, reprend son travail d’orfèvre pour obtenir la forme, la texture et le ciselage imaginé. Sous l’établi, une peau en cuir récupère les poussières d’or, indispensable outil de recyclage lorsqu’une bague de 6 grammes aura nécessité la manipulation de 30 grammes d’or.

Enfin, l’or rougeoie en quelques secondes sous le chalumeau achevant d’unir toutes les pièces de ce luxueux puzzle. Le métal encore brûlant a un aspect mat, mais la forme est prête. Ne reste plus que le sertissage de la pierre. Déposée dans le battage, elle vient se poser au dixième de millimètre. Les griffes patiemment préparées sont ensuite refermées sur la pierre pour la maintenir définitivement. Un dernier passage pour polir la moindre facette du bijou, et l’œuvre est prête.

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Du métal et de la pierre, c’est avec des choses simples qu’Emmanuel crée du symbole, du sens, de l’émotion. Des émotions sincères qu’il aime partager, chez cet homme chez qui rien n’est feint. “Ma vocation c’est d’être au service de mes clients. Être là pour marquer les grands moments de la vie. Pour perpétuer la relation avec nos clients. Certains clients, je leur serre la main depuis 30 ans”.

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