Elle a créé les drapeaux 2019 du Pont Wilson : rencontre avec Mélissande Herdier

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C’est sans doute l’un des pavoisements les plus réussis de ces dernières années : avec des drapeaux mettant en scène Balzac et son œuvre dans un style combinant esprit pop et rétro, Mélissande Herdier a décroché l’exposition estivale la plus convoitée de Tours. Ses dessins resteront en place tout l’été, entre les deux rives de la Loire. Nous avons interviewé l’artiste dans son atelier, sur le site de la Morinerie à Saint-Pierre-des-Corps.

Quand elle s’est lancée dans des études d’histoire de l’art il y a une dizaine d’années, Mélissande Herdier se voyait bien devenir archéologue, son « rêve de gamine ». Finalement, après une formation à Brassart, une carrière de graphiste à Paris, un voyage d’un an en Amérique du Sud et quelques années de dessin en Touraine la voilà qui affiche ses œuvres sur le Pont Wilson de Tours. On l’appelle aussi le Pont de Pierre, la référence à l’archéologie n’est pas loin. Le clin d’œil la fait sourire, d’autant qu’elle garde toujours cette passion dans un coin de sa tête. Et apprécie de travailler les matières minérales.

Le Pont Wilson, la Tourangelle le connait bien. Des couchers (ou levers) de soleil elle en a vu une bonne quantité accoudée au parapet : « c’est l’un des meilleurs spots » assure-t-elle, sachant qu’il est difficile de la contredire. Ce pont, la jeune femme s’y est baladée de nuit un nombre incalculable de fois, et elle a su s’en souvenir au moment de concevoir ses drapeaux : « je les imaginais en train de flotter dans le ciel noir, j’ai donc fait en sorte que les couleurs soient bien visibles. »

Dessinatrice depuis son enfance après avoir observé son grand-père représenter des scènes de chasse, l’artiste tourangelle s’avouait un peu stressée avant de découvrir le résultat de son travail in situ. Même pour une graphiste de formation qui a l’habitude des supports insolites, créer un drapeau c’est complexe : « il faut que ce soit visible de loin, que les couleurs tiennent, que ça attire l’œil, que le visuel soit lisible dans l’immédiat. On ne peut pas faire ce qu’on veut. » C’est par ailleurs la première fois qu’elle travaille sur un format aussi grand (2m de large, 4m de haut).

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Un autre auteur qui l’inspire :

« Samuel Beckett. J’ai pas mal travaillé autour de l’absurde et il y a quelque chose de très sombre dans sa façon de dépeindre les systèmes de sociétés et de micro-sociétés avec des mises en scène qui sont toujours un peu malaisantes. C’est intéressant à représenter en dessin

Jaune citron, rouge vif, bleu électrique… En termes de peps, la mission est réussie : les pavois de Mélissande se voient de loin. Il y en a 32, deux séries de 16, une de chaque côté. Ils représentent Honoré de Balzac, le Château de Saché, Paris ou les personnages phares de La Comédie Humaine comme le Curé de Tours. Des portraits en noir et blanc dessinés à la mine de graphite mais aussi des paysages figuratifs colorés créés par ordinateur pour décrire un univers. Un travail réalisé en à peine deux mois, par une artiste qui a dû tout d’un coup se replonger à fond dans l’œuvre de cet auteur né à Tours il y a pile 220 ans : « je ne l’avais pas énormément étudié, même au lycée. Donc j’ai commencé à lire beaucoup de choses, à écouter des émissions, regarder des gravures… J’étais étonnée : j’ai trouvé qu’il avait beaucoup d’humour alors que j’avais le souvenir du Père Goriot comme d’un roman pompeux. En fait pas du tout : c’est quasiment sarcastique, et il est assez pointu dans ses analyses des personnages. »

« Des couleurs brutes pour un côté caricatural »

La richesse des personnages, leurs caractères, voilà ce que l’artiste a voulu transmettre dans ses pavois : « par exemple Vautrin, c’est un personnage récurrent de Balzac mais aussi un des plus complexes. Il évolue beaucoup, est à la fois bon et mauvais. Dans leurs gravures, les illustrateurs se sont beaucoup intéressés à lui. Il a un visage d’ancien forçat avec des traits très marqués, plein de choses dans le regard, un air qui évoque le passé. Ça donne envie de le représenter, et de le voir en grand. »

« Balzac était persuadé que le milieu social et géographique déterminait les comportements des individus. Il s’intéressait beaucoup à la physionomie. J’ai voulu garder cet aspect en me concentrant sur les archétypes sociaux. Ça crée une ambiance temporelle. Leur style évoque clairement le XIXe siècle comme celui de la courtisane sulfureuse avec sa fourrure. Ou l’homme sombre avec son chapeau haut de forme qui fait penser tout de suite à un bourgeois manipulateur ou un aristocrate avec du pouvoir. Même quelqu’un qui n’a pas lu Balzac peut reconnaître ça. »

Mélissande Herdier.

Installée à la Morinerie depuis 2016, déjà exposée chez Veyssière Rue Colbert et soutenue par Mode d’Emploi pour ce projet 2019, Mélissande Herdier s’est faite remarquée grâce à son pari d’associer des couleurs « assez brutes » aux dessins au crayon pour donner « presque un côté caricatural » à ces personnages via « une tonalité un peu populaire reprenant les codes des affiches. »

« J’ai voulu détourner les personnages du XIXe siècle en leur donnant un côté contemporain. C’est un voyage dans le temps entre le passé et le présent, comme un parcours de lecture à faire dans les deux sens en traversant le pont » explique-t-elle, justifiant par ailleurs son choix d’avoir représenté Balzac sur le premier de ses drapeaux : « c’était évident car il s’est beaucoup inspiré de sa propre vie pour créer des personnages dans ses histoires. Il est devenu lui-même personnage. »

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