D’une petite structure créée pour un événement culturel lors de la Coupe du monde de foot en 1998 à l’une des plus grandes compagnies d’improvisation théâtrale de la région Centre-Val de Loire… C’est le chemin réalisé par La clef, fondée par Valérie Lesage. En 25 ans, l’association tourangelle, aujourd’hui spécialisée dans l’improvisation, a bien grandi et propose désormais de nombreuses activités.
« Improviser, c’est être un peu tout nu. Et devant des gens », plaisante Valérie Lesage, fondatrice de La Clef. Depuis quatre ans, la compagnie tourangelle se consacre entièrement à l’improvisation théâtrale. Une discipline ouverte à tous mais qui demande tout de même certaines capacités, acquises au fil de la pratique. « Lorsque nous commençons à jouer, nous n’avons pas de décor, pas de costume, pas de texte. Nous n’avons pas répété non plus. Il faut donc avoir confiance en soi, savoir gérer son stress, accepter le partage avec son partenaire, qui peut nous emmener dans son univers… », indique celle qui est aussi la directrice artistique et pédagogique de l’association. L’improvisation permet par ailleurs de s’affirmer, d’apprendre à mieux communiquer mais aussi à écouter l’autre et respecter sa parole.
La compagnie, qui célèbre ses 25 ans cette année, n’avait pourtant, au départ, pas prévu de se spécialiser dans l’improvisation théâtrale. Elle a d’ailleurs vu le jour un peu par hasard en région parisienne en 1998, grâce au football. Cette année-là, la France accueille la Coupe de monde. Celle qui apportera la première étoile aux Bleux. Celle qui permettra à La Clef d’exister. « À l’époque, nous sommes plusieurs comédiens et nous travaillons avec la Fondation 93, une fondation de vulgarisation scientifique. Elle est sollicitée par le conseil départemental du 93 pour animer un espace ludique et culturel au pied du stade de France et elle nous repasse un peu le bébé car ce n’est pas trop son truc », se souvient Valérie Lesage. Pour pouvoir collaborer avec le conseil départemental lors de cet événement, les comédiens montent une structure. La compagnie est née.
« Nous avons passé un mois au pied du stade de France, à recevoir des collégiens. Ils avaient des jumelages avec des collèges du monde entier et donc, pendant la Coupe du monde, ils ont fait venir les élèves des établissements scolaires avec lesquels ils étaient jumelés. Ils ont fait des spectacles et une espèce d’échange culturel », raconte la quinquagénaire, qui s’apprête à transmettre sa compagnie, d’ici trois ou quatre ans. Après cette expérience, les comédiens souhaitent conserver leur structure. Au début, ils interviennent essentiellement dans des entreprises, lors de séminaires par exemple. « L’association va servir à ça pendant plusieurs années. Elle ne va pas être une structure culturelle à proprement parler mais une structure administrative, qui va gérer des contrats pour des comédiens », se rappelle-t-elle.
Une école d’impro
Depuis, La Clef a bien grandi et s’est délocalisée en Indre-et-Loire. La compagnie théâtrale y multiplie les actions, auprès de différents publics. Elle a notamment créé, il y a quelques années, son école d’impro. Neuf cours hebdomadaires, pour enfants et adultes, sont proposés dans les locaux de l’association, situés rue Auguste-Chevallier, à Tours. Les amateurs d’improvisation ont par ailleurs l’opportunité de participer à des stages, organisés les week-ends ou pendant les vacances scolaires. Une dizaine de comédiens et formateurs professionnels sont présents toute l’année pour assurer les séances auprès des quelque 250 adhérents.
À travers cette école, la compagnie s’est aussi engagée dans le Trophée d’improvisation Culture et diversité, un programme national de pratique artistique autour du match d’improvisation théâtrale, destiné aux collégiens. Valérie Lesage et ses collègues travaillent ainsi avec quatre collèges du département : Jules-Michelet et Jean-Philippe-Rameau, à Tours, Jacques-Decour, à Saint-Pierre-des-Corps, et Joachim-du-Bellay, à Château-la-Vallière. « Nous offrons aux collégiens trente heures d’improvisation et des matchs réguliers. Nous leur apprenons toutes les techniques nécessaires », précise celle qui est aussi metteure en scène. Les élèves s’affrontent donc plusieurs fois par an lors de matchs intra et inter-collèges.
Référente du trophée en Centre-Val de Loire depuis 2019, La Clef a réalisé un travail autour de sa régionalisation en partenariat avec la Fondation culture et diversité, qui œuvre en faveur de l’égalité des chances. Depuis cette année, la compagnie intervient ainsi dans d’autres établissements scolaires de la région : le collège des Provinces, à Blois (Loir-et-Cher), et dans un établissement adapté, à Amilly (Loiret). Tous les ans, les vainqueurs de la finale régionale participent à la finale nationale du Trophée d’improvisation Culture et diversité, à Paris. Un privilège puisque cet événement emmène les collégiens dans des endroits prestigieux. En 2022, les six membres de l’équipe Centre-Val de Loire ont, par exemple, eu la chance de se produire sur la scène de la salle Richelieu, à la Comédie française, à l’occasion des 400 ans de la naissance de Molière. Cette année, la dernière étape de la compétition se déroulera au théâtre de l’Odéon.
Seize saisons pour le « Catch-impro »
Lorsque Valérie Lesage emporte avec elle la structure en Touraine, en 2001, elle décide, avec d’autres comédiens, de la développer localement et de monter des spectacles. Au départ, tous n’étaient pas forcément liés au théâtre d’improvisation. Le premier spectacle de la compagnie, intitulé « Catch-impro », voit le jour en 2007. « Il existe toujours aujourd’hui. Nous en sommes à la seizième saison, je trouve cela remarquable. Nous avons toujours énormément de monde. Nous faisons salle comble presque à chaque fois, avec en moyenne 350 spectateurs par spectacle », se réjouit la fondatrice de La Clef.
Parmi leurs autres spectacles phares de l’association tourangelle, il y a celui destiné au jeune public : « Impro-marmot ». Doudou, jouet, vêtement… Ici, c’est l’enfant qui choisit le thème de l’histoire racontée. « Notre décor est une chambre d’enfant et nous improvisons à partir d’objets qu’ils nous amènent. Et, comme des enfants, nous inventons des histoires, spécialement pour eux. »
« À aucun moment, en 1998, je n’aurais pu envisager que cette structure devienne l’une des plus grandes structures professionnelles d’improvisation de la région. »
Et puis, il y a aussi leur dernière création, « Rewind », un spectacle de théâtre improvisé ou d’écriture spontanée au plateau. Car, contrairement à l’improvisation théâtrale qui génère de petites scènes courtes de trois à dix minutes, « Rewind » propose une heure de théâtre écrit en direct. « Nous demandons au public d’apporter un livre. Nous tirons au sort une personne dans la salle et elle sélectionne au hasard un extrait de son ouvrage. La citation choisie va nous inspirer la fin du spectacle », explique Valérie Lesage. Les comédiens débutent donc leur spectacle par la fin puis, pendant une heure, ils effectuent un retour en arrière pour tout recommencer et écrire l’histoire qui les mènera de nouveau à cette fin. « C’est assez captivant car le public connaît la fin et voit notre cheminement pour arriver jusque-là. Nous avons en effet décidé de tout mettre à vue. Les gens nous voient débriefer pour construire l’histoire. Ça plaît énormément de découvrir comment nous articulons les choses. »
Au-delà des cours et des spectacles, la compagnie théâtrale mène des actions variées tout au long de l’année. À travers des ateliers, elle aide par exemple les collégiens et les lycéens dans la préparation de leurs oraux. La Clef intervient également dans les entreprises et les institutions de différentes manières. « Nous proposons des spectacles, des théâtres forums pour sensibiliser à des sujets délicats par l’improvisation, des formations de prise de parole en public, d’aisance relationnelle… », détaille la directrice artistique et pédagogique de l’association.
Le Fiil good festival, un événement à relancer
Il y a cinq ans, La Clef a par ailleurs lancé le premier festival d’impro professionnel d’Indre-et-Loire, le Fiil good festival. Un événement qui n’a pu se tenir qu’une seule fois, la faute à la crise sanitaire. L’objectif de cet événement est de proposer au public, pendant trois jours, des spectacles et des ateliers autour de l’improvisation théâtrale. « Nous aimerions pouvoir le remettre sur les rails car c’est un outil de notoriété. En 2018, cela avait été un vrai accélérateur mais il y a désormais une vraie frilosité des structures à s’engager sur plusieurs jours », regrette Valérie Lesage. La compagnie serait cependant déjà en train de préparer une deuxième édition, prévue pour novembre 2023.
Vingt-cinq ans après la création de La Clef, sa fondatrice se dit surprise mais heureuse de l’évolution de l’association. « À aucun moment, en 1998, je n’aurais pu envisager que cette structure devienne l’une des plus grandes structures professionnelles d’improvisation de la région, avec des salariés à l’année. Mais, en regardant en arrière, je suis assez fière de ce qui a été accompli », assure-t-elle.
Aujourd’hui, Valérie Lesage se bat pour une meilleure visibilité de son art. « L’improvisation théâtrale souffre d’un manque de reconnaissance des institutions. Souvent, elles ne savent pas dans quelle case nous mettre. Pour eux, nous ne sommes pas vraiment du théâtre, ce n’est pas vraiment du divertissement non plus. Nous sommes un peu hybrides et elle n’aime pas ça », lâche-t-elle. Si elle admet que les choses évoluent dans le bon sens, la comédienne affirme qu’il reste encore beaucoup de travail pour faire reconnaître la discipline comme un art du spectacle à part entière. « L’impro a une image très populaire. C’est une ouverture au monde de la culture ultra accessible, pour tout le monde. Il n’y a pas besoin d’avoir lu Molière… Souvent, les gens s’excluent eux-mêmes du champ culturel, ils se disent qu’ils ne vont rien comprendre. Mais, en fait, l’impro est par nature une forme de théâtre très accessible car nous travaillons avec notre propre texte. Il y a un côté très divertissant, dans le bon sens du terme. Les gens viennent pour se marrer. »
« L’imagination, c’est notre fenêtre de liberté »
Et la metteure en scène possède encore de nombreux arguments pour vanter les mérites de son art. « Dans notre société ultra formatée d’aujourd’hui, l’imagination, c’est notre fenêtre de liberté », soutient-elle. Elle considère aussi l’improvisation comme « un art de vivre », grâce auquel l’imprévu fait par exemple moins peur. « C’est un outil beaucoup plus fort que ce que l’on peut penser. C’est une autre façon de voir le monde, plus détachée. »
De multiples bienfaits qui expliquent certainement en partie la hausse des demandes pour participer aux cours proposés par La Clef. La compagnie réalise d’ailleurs, en ce moment, quelques travaux afin de créer une deuxième salle, dans le but d’organiser plus d’ateliers. « Nous avons aussi cette envie de copiner avec le théâtre et les autres arts. Nous souhaitons que cette salle puisse également servir d’accueil ponctuel en résidence pour des structures artistiques », déclare Valérie Lesage.
Cet intérêt pour l’improvisation théâtrale pourrait, à l’avenir, continuer de s’intensifier. « Ça se développe parce que c’est une vraie soupape de décompression. De nombreuses personnes viennent parce qu’elles savent qu’elles vont rigoler pendant deux heures, se laisser aller, laisser libre court à leur imagination… »
Un degré en plus
La Clef organise une soirée spéciale pour fêter ses 25 ans, avec une représentation de son spectacle phare, « Catch-Impro », vendredi 24 mars, à 20 h 30, salle Yves-Renault, à Chambray-lès-Tours. Un duo de la compagnie affrontera, pour l’occasion, le duo comique formé par Cécile Giroud et Yann Stotz. L’événement se poursuivra avec un DJ set.
Photo principale : Romain Gibier
