Au comptoir des PMU

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On en trouve une soixantaine dans l’agglomération tourangelle. Malgré leurs similarités évidentes, chaque établissement semble avoir son propre caractère, ses propres règles… Les habitués s’y retrouvent tous les jours. Ce sont des joueurs invétérés ou des retraités qui viennent trinquer avec leurs amis de longue date. Rencontre avec les clients des bistrots PMU.

La tête baissée vers le comptoir, Frédéric gratte les dix tickets qu’il vient d’acheter pour un montant de 20€. Il fait apparaître les chiffres, les vérifie plusieurs fois puis finit son coca d’un trait. Au guichet, il encaisse les 7€ qu’il vient de remporter au jeu et sort se griller une cigarette, emmitouflé dans son blouson noir. « Je me suis toujours posé une question : est-ce que ceux qui vendent les tickets savent lesquels sont gagnants ? », lance-t-il un peu hésitant.

Deux à trois fois par semaine, il se rend au Carroy, le PMU de la Place de la Victoire à Tours. Il tente tous les jeux à gratter, sauf le Millionnaire car « on ne gagne jamais ». Une fois, il a remporté 100€ au Cash, la plus grosse somme qu’il ait jamais gagné . Il se souvient surtout de quand son ex-copine a raflé 1000€. « Même si je me suis calmé, je continue à jouer. Je me dis : aujourd’hui peut-être que je vais avoir de la chance.  »


Chaque année, les Français dépensent 46 milliards d’euros dans les jeux d’argent. En Indre-et-Loire, chaque habitant de plus de 18 ans mise en moyenne 443€ par an. C’est moins qu’au niveau national. Si une large majorité des Français ne joue qu’occasionnellement, on compte de plus en plus d’accros aux jeux. Le nombre de joueurs « à risque » a doublé entre 2010 et 2014, passant de 600 000 à 1,2 million. Ce sont pour les deux tiers des hommes, dont beaucoup de jeunes adultes (25% d’entre-eux ont entre 15 et 25 ans).

Les joueurs, Mika les connait bien. À Saint-Pierre-des-Corps, il tient la Brasserie de la Mairie, l’un des 64 PMU de l’agglomération tourangelle. Au plafond on trouve des télés qui transmettent les courses hippiques en direct. Il y en a une toutes les 5 minutes. Les cotes des chevaux défilent et les joueurs scrutent les chiffres avec attention pour remplir leurs fiches PMU. « Ça se passe très bien avec eux mais ils ont du mal à discuter, reconnait Mika. Même entre-eux ils ne se parlent pas beaucoup. » Lorsque le patron demande à un jeune joueur s’il veut être pris en photo dans le cadre du reportage, celui-ci rétorque sans lever le nez de sa feuille : « Non, je travaille ». « Ils veulent simplement gagner », explique Mika.

C’est après un accident qui l’a empêché de poursuivre son métier dans le bâtiment que Mika a décidé d’ouvrir un PMU.
Les retraités représentent une clientèle importante des PMU, même s’ils ont plus tendance à s’y rendre pour boire un verre que pour jouer.

Au comptoir, on trouve des retraités, dont beaucoup ne jouent jamais. Eux viennent plutôt boire des verres. La cohabitation avec les joueurs se passe bien. « Je dirais que ma clientèle c’est 30% de retraités et 70% de chômeurs », estime Mika. Par chômeurs, le gérant signifie surtout joueurs. Au niveau national, un joueur à risque sur trois est sans emploi ou étudiant. Souvent, les parieurs préfèrent garder leur argent pour les jeux, alors Mika accepte de les laisser jouer sans consommer, même s’il ne garde que 1,7% des mises faites au PMU. « Ça me fait mal au cœur, les fins de mois sont dures pour tout le monde. »

« Je fais tous les jeux où il y a de l’argent à gagner, ou plutôt à perdre ! »

Nadir, 32 ans

Nadir, casquette sur la tête et doudoune noire, fait partie de ces jeunes qui n’ont pas d’emploi. Il est venu au PMU Le Paris, quartier Christ-Roi à Tours-Nord, saluer des amis. « Les jeux c’est de la merde et particulièrement le PMU, assène-t-il. C’est un sale vice ». Le jeune homme y joue depuis ses 16 ans. Il en a aujourd’hui 32. Chaque jour, il parie au moins 20€, soit environ 7000€ par an. PMU, Paris Sportif, Poker… « Je n’arrive pas à m’arrêter. Je fais tous les jeux où il y a de l’argent à gagner, ou plutôt à perdre ! » ironise-t-il. « Il m’est arrivé de remporter 2000 ou 3000 €, mais je joue tellement que je n’ai plus la valeur de l’argent… Il me faudrait gagner un montant à 5 chiffres pour me rembourser. »

« Il y en a qui ont tout perdu. Leur famille, leur femme, ils se sont ruinés », confie Afif. L’homme d’une quarantaine d’année, cheveux plaqués en arrière et cigarette derrière l’oreille, ne joue pas plus de 10€ par jour. Il vient quotidiennement au PMU Victor Hugo de Joué-les-Tours, un bar bondé dans lequel de nombreux hommes s’affairent autour des machines PMU. Inscrit au dessus des écrans, on trouve une simple inscription : « Jouez ! ».

Souvent, les joueurs préfèrent parier aux machines.
L’intérieur du Victor Hugo, PMU de Joué-les-Tours.

Dans cette bulle silencieuse, quelques échos de français, d’arabe et de russe résonnent ici et là. « On se connait tous depuis longtemps, raconte Afif. Arabes, Français… On parle de tout et de rien, des amis du boulot… » Question boulot, Afif doit se contenter de ce qui passe. Il décharge parfois les camions qui livrent les boutiques du coin. « Aujourd’hui il n’y a plus de travail pour nous ou pour les jeunes » déplore-t-il. « Nous on était accompagnés, on avait des formations en peinture ou en nettoyage… Ça devient chaud à Joué. Il n’y a plus de respect entre les générations, plus de respect pour les anciens. » Ici, au PMU Victor Hugo, il dit venir chercher la « tranquillité ».

Cette atmosphère calme, Afif n’est pas le seul joueur à l’apprécier. C’est aussi le cas de Nadir. Le plus souvent, il préfère à son propre PMU de quartier celui de Notre-Dame-d’Oé. Là-bas, il retrouve beaucoup « d’anciens » et surtout une télé qui diffuse le PMU. « À Christ-Roi ils les ont viré, explique-t-il. Décision du patron ». Depuis qu’on ne peut plus y suivre les courses par courses, les joueurs invétérés sont partis dans d’autres établissement. « Ça posait des soucis, confie le barman du PMU à demi-mots. Comme il y avait beaucoup de monde, ça pouvait partir en bagarre d’un coup. »

« Ça gueulait, il y avait des papiers partout… J’en ai tapé plus d’un ! »

Mireille, patronne du Saint-Claude

Au Saint-Claude, le PMU de la gare de Tours, on a aussi fait le choix de ne plus diffuser les courses sur les télévisions. « Il y avait plus de 60 personnes qui ne payaient pas ou qui commandaient juste un verre d’eau », peste Mireille, la patronne des lieux. De cette expérience elle ne garde « que des mauvais souvenirs ». Les client du tabac se faisaient bousculer, des disputes éclataient concernant des vols de tickets… « Ça gueulait, il y avait des papiers partout… J’en ai tapé plus d’un ! Aujourd’hui j’ai surtout mes petits retraités et ils sont adorables ».

Pourtant, dans d’autres établissements, tous les clients sont mélangés et on ne fait pas de distinction. À Chambray-les-Tours, une jeune fille présente ses nouvelles boucles d’oreilles qu’elle a acheté « moins 70% ! » à Fan-Fan, un joueur de PMU qui se tient près de la télé pour suivre les courses. « Il me connait depuis que je suis toute petite ! », explique-t-elle. Elle est rejoint par sa mère, Nicole. « Petite fille je venais déjà ici, se souvient-elle. C’était une épicerie, j’y achetais mes sucettes et ma mère y faisait le ménage. »

Pendant qu’elle parle, elle gratte un Mots Croisés. Pour un jeu qui lui a coûté 5€, elle gagne 10€. Sa fille aussi est chanceuse : « J’ai 10 balles ma mère ! », s’exclame-t-elle. « Encore un McDo ce soir ! » lui répond Nicole. « Mais j’en ai mangé un hier ! ». « Bon alors Burger King », plaisante sa mère en déclenchant les rires de sa fille. « Ici tout le monde se connait, c’est une ambiance de village », atteste Denis, pendant que son chien gambade entre les jambes des clients, à l’affut d’un gâteau. L’ancien cadre commercial parisien a décidé de reprendre ce PMU, le Saint-Cloud, il y a 6 ans. Cette ambiance conviviale qui lui semble chère ne signifie pas pour autant qu’on ne joue pas dans son établissement. « Je peux faire des journée à 10 000€ de mises », confie-t-il.

Denis, le patron du St-Cloud à Chambray, a décidé de plaquer sa carrière de commercial parisien pour ouvrir son établissement.

À Saint-Pierre-des-Corps, Mika entretient au maximum cette ambiance de bistrot de quartier. Les télés sont toujours là, mais il a dû user quelquefois de sa carrure. « Il a fait son tri », assure Yves, son copain retraité qui vient le voir tous les jours. « Mika est plutôt costaud. S’il voit qu’il y en a un qui commence à faire n’importe quoi, il le met à la porte et ils ne revient plus », assure-t-il de sa voix éraillée.

Ainsi, d’une main de fer dans un gant de velours, Mika peut veiller sur ses clients. « Le petit vieux là-bas, il s’appelle Charlie, souffle le patron. Il est là 5 ou 6 heures par jour. Il mange, il boit, il dort ici ». Un béret kaki sur le crane, Charlie regarde dans le vague à travers la vitrine du bar. Au moment de quitter les lieux, le vieil homme moustachu s’approche du comptoir. « Comment ça va Charlie ? » lui demande Mika en hurlant presque, tant l’audition du vieil homme est difficile. “Oh bah il faut bien !” lui répond Charlie en se dirigeant vers la porte. Mika marque un temps puis chuchote : « J’ai les coordonnées de ses enfants, au cas-où il y a un problème ».

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