[37° dans le monde] Lomé-Tours : plus de 25 ans d’échanges entre universités

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En novembre dernier, nous avions pris la route de l’Espagne avec l’objectif d’y rencontrer des Tourangelles et des Tourangeaux. Nous voici cette fois au Togo, un petit pays d’Afrique de l’Ouest où l’on a aussi croisé du monde ayant des liens avec notre région… La preuve ci-dessous, dans le deuxième épisode de notre série.

Au Togo, on trouve deux universités : l’une à Kara, dans le nord du pays, et l’autre à Lomé, la capitale. Situé au nord de cette grande ville bruyante, le campus est installé dans un gigantesque parc arboré. A quelques jours des vacances de Pâques, nous avons rendez-vous à la faculté des sciences. On est en plein milieu de l’après-midi, il fait bien plus de 30°, et on hésite à commander quelque chose au vendeur ambulant qui propose glaces et sucreries (comprendre : sodas) dans sa petite carriole équipée d’un klaxon.

Le rafraîchissement attendra, le Dr Tété-Benissan vient nous accueillir. Maître de conférences en biologie cellulaire et biochimie appliquée, l’enseignante-chercheuse a passé pas mal de temps en France : au Mans, à Rennes, à Lille… et à Tours, lors d’un voyage d’études de deux mois à la fac des sciences de Grandmont en 2011. En collaboration avec les équipes tourangelles, elle a ainsi pu faire avancer ses recherches sur la toxoplasmose et les propriétés pharmacologiques des plantes. 7 ans après, elle reste professeure associée et conserve des liens étroits avec les bords de Loire.

Le cas d’Amivi Kafui Tété-Benissan est loin d’être isolé tant les échanges entre les deux établissements sont durables : on en trouve les racines dès le début des années 90. « Tours nous a aidé à créer la première formation doctorale à l’université de Lomé » se souvient aujourd’hui Isabelle Glitho, partenaire des premiers jours, officiellement retraitée mais toujours très active (chaque année, elle passe plusieurs mois à Tours pour y poursuivre ses travaux).

Découvrez aussi notre reportage avec l’association Djidjole Afrique en attendant une visite dans un centre de santé soutenu depuis la Touraine demain.

« Plus qu’une amitié, une fraternité »

A l’époque, en 1992, le professeur émérite Glitho faisait une thèse sur l’anthropologie, s’intéressant de près à la gestion des populations d’insectes prédateurs comme les vers de farine. Derrière elle, de nombreux autres étudiants et chercheurs ont suivi le même chemin pour bénéficier des installations disponibles sur les bords de Loire. Et la coopération s’est faite dans les deux sens : « nous avons aussi reçu de jeunes chercheurs de Tours venus faire des travaux chez nous, tout comme nous avons des liens avec le Burkina Faso, le Niger, les Pays Bas ou l’Angleterre dans le cadre de projets financés par l’Union Européenne. »

Selon Isabelle Glitho, les échanges Lomé-Tours ont été très réguliers jusqu’en 2009, depuis « il y en a moins car il y a moins de besoins » affirme-t-elle. « L’idée, c’est de créer des compétences  pour que nous puissions prendre en charge nous-mêmes nos étudiants. Aujourd’hui, on ne sollicite Tours que sur des travaux de laboratoire qui n’existent pas ici. » Exemple, pour elle, la microscopie électronique. « Entre nos deux universités c’est plus que de l’amitié, c’est de la fraternité. Nous avons vraiment pu diversifier nos échanges, c’est une belle réussite dans le temps et la qualité des publications. C’est l’accord qui a le plus duré. Il est renouvelé tous les 5 ans et j’espère que la relève sera assurée » complète la chercheuse.

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Lomé, une université en grande difficulté

Pour conserver ces liens, il faut notamment dénicher les budgets permettant de financer les voyages. Et ça, ça semble de plus en plus difficile à en croire un autre enseignant loméen passé par Tours pour deux stages de 4 et 5 mois pendant sa thèse sur le métabolisme des plantes dans le but de s’en servir comme médicaments. Ce monsieur s’appelle Djidjole Esté-Kodjo, et il est spécialisé dans la biotechnologie. Nous avons pu le rencontrer longuement dans une salle de cours, et le tableau qu’il dresse sur l’état de l’enseignement supérieur en sciences dans son pays est loin d’être positif : « ceux qui vont sortir d’ici n’auront pas les mêmes compétences que moi » lâche-t-il pendant l’entretien.

Selon lui le problème est très clair, c’est le manque de moyens : « ici c’est difficile de travailler en laboratoire. Nous n’avons pas le bon matériel, parfois le minimum nous manque. Avant les étudiants travaillaient à deux pour des expériences, ils sont parfois dix aujourd’hui et ne peuvent pas voir correctement les manipulations. Nous avons aussi du matériel cassé depuis deux ans qui n’a toujours pas été remplacé. On est obligé d’aller dans d’autres laboratoires mais sur le chemin les échantillons stérilisés se retrouvent régulièrement contaminés. »

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Djidjole Esté-Kodjo

Enseignant depuis 2012, Djidjole Esté-Kodjo semble aujourd’hui résigné et fataliste : « il arrive que l’on nous reproche de ne pas publier assez de résultats, on répond que l’on manque de moyens pour cela et on nous explique alors qu’il faut nous débrouiller ou alors on ne voit plus personne » dit-il. Un nouveau laboratoire est bien annoncé pour 2020 dans le cadre de la vaste rénovation de l’université qui a déjà débuté, mais le professeur ne se réjouira qu’une fois installé en espérant que les installations seront à la hauteur des attentes. Même pour les amphis c’est compliqué : il y a bien plus d’étudiants que de places disponibles, jusqu’à 800 élèves pour 500 places. Les premiers arrivés sont les premiers installés, quitte à se lever très tôt pour cela. Les autres finissent debout…

Les étudiants peinent à faire leurs preuves sur le marché du travail

D’après le chercheur togolais, cette situation a de fâcheuses conséquences : « on prend du retard sur les autres universités, notamment sur celles du Bénin où ils ont les laboratoires qu’il faut. » De plus, les étudiants en fin de cursus quittent le Togo ou peinent à trouver du travail à la hauteur de leurs compétences, notamment « parce que l’institut national de recherche recrute rarement, seulement quand il y a des départs à la retraite. » Alors certains tentent le privé ou, à défaut, finissent par enseigner en lycée. Pour les spécialistes des plantes médicinales, c’est délicat aussi : « certains hôpitaux refusent de les accueillir » note notre interlocuteur, même si le privé semblerait plus ouvert sur ce point que le secteur public.

Malgré cette longue liste de griefs, et en s’appuyant sur ses idées et les ambitions des près de 1 000 étudiants qu’il encadre, Djidjole Esté-Kodjo espère encore réussir à faire financer des projets, notamment avec des aides venues de l’étranger, publiques ou privées. « Nos jeunes ont des idées plein la tête, il leur faut des moyens pour les exprimer » résume-t-il. Mais vu la situation politique complexe du Togo ces derniers mois avec un enchaînement de manifestations pour demander le départ du président en place depuis 2005 (après avoir succédé à son père), difficile d’espérer de réels changements avant le scrutin présidentiel programmé pour 2020, voire plus en fonction de son issue.

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