Pourquoi l’arrivée de Primark à Tours n’est pas vraiment une bonne nouvelle

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Des milliers de vues en quelques dizaines de minutes. Lundi 4 mars, notre article annonçant l’ouverture d’un magasin Primark à Tours a fait un véritable carton sur Info Tours. En 12h, la publication Facebook a été partagée plus de 300 fois avec autant de commentaires, la plupart du temps positifs. Malgré cet enthousiasme, plusieurs réserves méritent d’être relevées. Analyse.

Après Paris, Nantes, Rouen, Angers ou Dijon, Primark va s’installer à Tours. Même s’il existe encore des personnes qui n’en ont jamais entendu parler, cette enseigne jouit d’une énorme popularité, en particulier parmi le public jeune. Ses atouts : proposer mode et déco en quantité à prix riquiquis, le tout dans des magasins immenses. En Indre-et-Loire, c’est à L’Heure Tranquille que la marque d’origine irlandaise a choisi de s’implanter (en parallèle, une ouverture est annoncée du côté de Perpignan dans le Sud).

Selon nos informations, ce point de chute n’était pas évident. L’entreprise lorgnait d’abord sur le centre-ville, ou sur les communes avoisinantes. Orléans lui aurait même fait les yeux doux mais elle a fini par se laisser convaincre par les Deux-Lions. Elle devrait y débuter ses activités fin 2024 ou début 2025 après d’importants travaux pour réhabiliter les anciens locaux de Monoprix. La surface de vente devrait au moins s’étaler sur deux étages. Le recrutement de managers a déjà commencé avec 3 annonces disponibles en ligne.

Si l’on se place du point de vue commercial, cette arrivée est une excellente nouvelle pour L’Heure Tranquille. Longtemps moqué en raison d’une fréquentation un peu morne, ou d’échecs d’enseignes comme La Grande Récré, le site ne cesse de progresser depuis l’arrivée du tramway. Ces derniers mois, il a su faire venir des franchises populaires comme Foot Locker pour l’habillement, mais aussi Le Paradis du Fruit et Côté Sushi pour la restauration. Des enseignes auxquelles s’ajoutent les marques populaires H&M ou Mango, historiquement présentes. La direction organise également une série d’événements culturels capables d’attirer du monde, et accueille ponctuellement des concepts éphémères de vente de fleurs ou de déstockage aptes à déplacer les foules.

Avec Primark ce devrait être une toute autre histoire. Chaque ouverture entraîne des files d’attente XXL et on peut venir de loin pour tenter de trouver pantalons, t-shirts ou sous-vêtements à prix cassés. A Saint-Etienne, ce sont 1 500 personnes qui ont voulu entrer dès le premier lever de rideau.

Alors que des critiques s’élèvent pour dénoncer une prétendue disgrâce du commerce tourangeau, voilà un signal positif pour la ville : elle est capable de séduire des mastodontes internationaux. D’ailleurs, la mairie rappelait récemment que son taux moyen de vacance commerciale était inférieur à 5%, et donc deux fois moins élevé que la moyenne nationale. Un exemple : la quasi-totalité des cellules de la Rue Nationale sont occupées, et plusieurs marques d’envergure ont récemment choisi Tours comme Faguo ou Sostrene Grene.

Cependant, soyons clairs : l’arrivée de Primark n’a pas du tout que des avantages. Comme elle se fait en dehors de l’hyper-centre, elle ne risque pas vraiment de bénéficier aux commerces indépendants, ceux qui ont le plus de difficultés. Elle générera peut-être un peu de trafic, mais à la marge. Il s’agit là, surtout, d’une nouvelle concurrence pour les autres centres commerciaux en périphérie de l’agglomération comme Les Atlantes de St-Pierre-des-Corps ou Ma Petite Madelaine à Chambray. A Saint-Etienne, un premier bilan fait par Le Progrès évoque un public essentiellement local, et qui s’est tassé après deux mois intenses. Des pics de fréquentation sont observés en début ou toute fin de mois, au moment du versement de la paye et des aides sociales.

En fait, la clientèle de ce type d’enseigne est essentiellement jeune et/ou modeste. C’est celle qui va chez H&M, Zara, Jennyfer voire Action ou B&M, chantres des prix mini et du déstockage. Celle également qui allait chez Camaïeu, marque aujourd’hui disparue à cause de grandes difficultés financières. Celle, enfin, qui consomme beaucoup sur Vinted. Des femmes et des hommes attirés avant tout par les faibles montants affichés sur les étiquettes, et la perspective de renouveler régulièrement leur dressing. Vous trouvez cela dépassé ? Contraire aux enjeux environnementaux ? C’est vrai.

Avec l’ajout de milliers de nouvelles pièces en rayon chaque année, Primark fait un peu comme les géants chinois du ecommerce Shein ou Temu : elle crée des modèles à la chaîne, fabriqués en Asie à bas-coûts et avec une qualité médiocre. Le but est de renouveler régulièrement les collections pour qu’on ait l’impression qu’il y a tout le temps de la nouveauté. C’est bien pour ça qu’elle fait partie des sociétés visées par la loi en cours de préparation pour taxer les produits issus de la fast-fashion. Hasard du calendrier : l’annonce d’une arrivée de Primark à Tours coïncide avec l’organisation d’un débat sur le sujet à l’Assemblée Nationale. On a parlé d’un surcoût qui pourrait aller jusqu’à 10€ par pièce, de quoi clairement dissuader les commandes ou achats impulsifs (mais on est encore loin d’une application stricte d’un modèle de ce genre).

Primark participe directement à ce qu’il y a de pire dans le monde de la mode, accusé d’émettre 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2 par an soit plus que l’impact des vols internationaux et du trafic maritime réunis selon un bilan de l’ADEME (organisme public d’études sur l’environnement et le développement durable).

Autres chiffres : l’univers du textile c’est l’utilisation de 4% des ressources en eau potable disponibles sur la planète. Plus on produit, plus on en consomme. En face, les marques qui fabriquent en France, ou utilisent des matériaux recyclés peinent pour être compétitives, notamment parce que leurs prix sont beaucoup plus élevés. Et même l’instauration d’un Bonus Réparation par le gouvernement pour subventionner les retouches sur vêtements et chaussures n’est qu’une paille dans un océan de surconsommation. On se rappelle du tollé déclenché par une pub publique pour encourager à n’acheter qu’en cas de besoin au moment du Black Friday : un message dénoncé par le ministre de l’Economie lui-même, et par de nombreux acteurs du monde du commerce.

Néanmoins, toutes ces informations ne sont pas forcément intégrées par la clientèle qui se rue chez Primark. Ou alors, elle les laisse de côté. Cela a trait aussi à la nature de notre modèle de société, où il est notamment question à tout bout de champ de « pouvoir d’achat », comme si l’acte de passer en caisse nous donnait une légitimité supplémentaire par rapport à l’achat mesuré, réfléchi, déconnecté de l’impulsivité.

La publicité omniprésente, la valse constante des modes ou l’impact grandissant des réseaux sociaux ne participent pas à calmer le jeu. Primark – et consorts – en profitent, et continueront sans doute à le faire pendant de longues années. Ainsi, on a retrouvé un article de 2021 où la marque s’engage à produire des vêtements moins polluants… à l’horizon 2030. Ils seront alors tous en matériaux recyclés ou « issus de sources plus durables » (ce qui, en soit, ne veut pas dire grand-chose). De plus, la société annonce qu’elle va réduire l’obsolescence programmée de ses collections à l’horizon 2025. Ce retard à l’allumage ajouté à des critiques sur le mal-être de salariés au travail, cela fait beaucoup de cailloux dans la chaussure… mais pas suffisamment pour saper réellement son succès.

Parfois critiquée pour son taux conséquent d’enseignes de malbouffe, Tours va cette fois grandement augmenter son quota de m² dédiés à la fast fashion. Même si une mairie ne peut pas foncièrement s’opposer à un projet commercial privé (elle l’avait rappelé lors de l’arrivée de McDonald’s dans le Vieux-Tours), ce genre d’installation géante peut bénéficier d’appuis politiques. Du coup, on notera l’incongruité de l’arrivée de Primark dans une commune aux mains d’un maire écologiste, d’autant que celle-ci se fera à peu près conjointement avec la construction de commerces de proximité tout près de L’Heure Tranquille. Des magasins commandés spécifiquement pour mettre en avant la consommation plus responsable. Le maire ne fera sans doute pas les deux inaugurations…

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