A quoi servent les multiples concours culinaires en Touraine ?

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Baguette tradition, andouillettes, boudin noir, rillettes de Tours, croissant au beurre, brioche feuilletée, foie gras, pâté en croûte, bières, jambon blanc, pâté de Pâques, nougat de Tours, galette des rois… Au fil de l’année, de très nombreux prix sont remis pour distinguer les meilleures spécialités gastronomiques d’Indre-et-Loire. Avec quels objectifs ?

Lundi 25 mars c’est la 2e fois que la Villa Rabelais de Tours accueille le concours de la tarte tatin d’exception. Accessible aux amateurs, aux apprenants et aux professionnels, il a été victime de son succès : près de 50 préparations à déguster pour la dizaine de membres du jury (dont un journaliste de 37 degrés). Déjà qu’avec une trentaine d’échantillons on avait frisé l’overdose en 2023, là, on s’est carrément vu caler.

En dehors de l’anecdote, il est intéressant d’observer le plébiscite autour de cet événement. Si la tarte tatin est plutôt une spécialité du Loir-et-Cher – originaire de Lamotte-Beuvron – elle est très appréciée en Touraine, grand département producteur de pommes. C’est pour cela que le chercheur Kilien Stengel, membre de l’institut Européen de l’Histoire et des Cultures de l’Alimentation a imaginé une compétition autour de ce dessert, tout comme il est à l’initiative d’un challenge sur le pâté en croûte (que l’on associe souvent à la région lyonnaise). « Je veux promouvoir le patrimoine et les métiers » explique celui qui est également actif dans l’organisation des Rencontres François Rabelais, festival annuel de conférences et de réflexion autour de la gastronomie. Son idée : « Donner une chance aux jeunes de s’exprimer, et aux particuliers de démontrer leurs savoir-faire. »

Sur ce dernier point, la mayonnaise a encore un peu de mal à prendre. Seule une demi-douzaine d’anonymes ont présenté leur tarte tatin au concours et il y en avait encore moins pour le pâté en croûte. Cela dit, leurs créations étaient présentées sur un pied d’égalité par rapport aux professionnelles, donc à l’aveugle. Et clairement il n’y avait pas à rougir… de même que l’on a eu la surprise de voir que deux salariés du géant de la restauration Sodexo ont été primés, faisant mentir le préjugé qui dit qu’il n’y a pas de talents dans ces entreprises (les deux hommes travaillent à la clinique Léonard de Vinci de Chambray).

Mais alors pourquoi on voit tant de monde se lancer dans les concours culinaires ? Chaque participation demande du temps. Il ne s’agit pas juste d’amener une production réalisée au quotidien. Quand on s’inscrit on réfléchit sur sa recette, on fait des essais, on recommence… C’est un fort investissement en temps, voire en matières premières que ce soit pour les particuliers ou les pros. Du temps que l’on n’a pas forcément, en particulier dans les entreprises. « Cela pousse à se surpasser » commente Olivier de Contentin, propriétaire de la boulangerie Les Gourmets de St-Cyr-sur-Loire, qui a déjà fait la démarche de participer en son nom… ou d’envoyer ses salariés ou ses apprentis, ce qu’ont fait aussi des participants de la tarte tatin. « C’est pour les encourager à faire plus » et peut leur permettre de les challenger, casser la routine, les motiver, voire se faire repérer. Dans un domaine où il y a parfois un meracto des talents, ce n’est pas rien.

Gagner un prix lors d’un concours, c’est aussi l’éventuelle promesse d’augmenter ses ventes. « Ils viennent chercher la première place pour s’afficher et gagner de l’argent et ça marche vraiment » affirme Daniel Rouballay, qui chapeaute les jurys charcutiers. On se souvient par exemple de longues files d’attente devant la boulangerie Au Tours des Gourmandises du quartier Strasbourg à Tours lorsqu’elle a été primée pour sa galette des rois, sans parler des Délices de Pierre de Château-Renault qui s’est carrément imposé lors d’un concours national organisé à Joué-lès-Tours. Ses ventes et sa notoriété ont décollé dans la foulée. Une nuance tout de même : « On peut faire des kilomètres pour une galette des rois, mais pas forcément pour un croissant » glisse Olivier de Coutentin.

La présence d’un diplôme dans une déco, ou d’une médaille en vitrine peut tout de même rassurer la clientèle, la fidéliser, l’encourager à tester de nouveaux produits ou faire la différence entre deux commerces d’un quartier. Voilà sûrement pourquoi beaucoup de monde tente sa chance, avec souvent plus d’une vingtaine de candidatures.

A noter qu’en général, les lauréats d’un millésime ne peuvent pas concourir l’année suivante, pour faire tourner les honneurs. Avec le temps, cela permet d’identifier des pépites dont le nom revent régulièrement comme la charcuterie Dubourg de Saint-Avertin, auréolée d’un grand prix du Salon de l’Agriculture après 3 médailles d’or obtenues pour ses rillettes de Tours. Mais aussi Fessard à Chambray, très souvent dans le top 3 des concours de sa profession et que l’on nous dit déçu voire presque inquiet quand il se retrouve distancé par ses confrères. On voit également émerger des entreprises, y compris en dehors de l’agglo et en zone rurale comme la boulangerie Valter et Flora de Civray. Dans un autre domaine, l’impact commercial d’une médaille sur une bouteille de vin a été très bien documenté, même si leur multiplicité et certains abus, dont des concours un peu opaques, ont pu brouiller le message.

Ainsi, organiser un concours ne s’improvise pas. En Indre-et-Loire, ils sont en particulier montés par la Fédération des Boulangers-Pâtissiers, la Fédération des Charcutiers, les confréries ou l’IEHCA (auxquels s’ajoutent des challenges 100% amateurs comme à Zodio Chambray-lès-Tours ou une boulangerie de Savonnières). Notre rédaction s’y était également essayé avec des tests à grande échelle sur les chocolats, les houmous et les cookies.

Pour garantir une certaine objectivité, la règle tacite c’est d’avoir une méthodologie transparente et éthique. Par exemple, la Fédération des Boulangers d’Indre-et-Loire s’ouvre à ses adhérents et non-adhérents pour ses compétitions comme la galette. Ensuite, il s’agit de convoquer un jury diversifié : professionnels des métiers de bouche, de la restauration et du journalisme + des consommateurs. A la tarte tatin il y avait aussi la première adjointe de la ville de Tours Alice Wanneroy, déléguée aux sujets liés à l’alimentation, pour qui l’association des collectivités à ce genre d’événement est positif : « Cela encourage l’innovation et cela peut nous pemrettre de faire des ponts, par exemple avec la restauration collective dans nos cantines » explique l’élue. Le réseautage entre professionnels est également mis en avant par nos différents interlocuteurs.

En tout cas, faire partie d’un jury, c’est un travail qui ne se fait pas à la légère. A la Villa Rabelais, les fiches comportent par exemple une dizaine de critères. On ne vient pas juste pour manger et critiquer. Il faut observer le visuel, la texture, la cuisson, l’équilibre des ingrédients… Cela nécessite donc rigueur et ouverture d’esprit, ême si tout le monde n’a pas une formation culinaire – et tant mieux, car cela biaiserait les choses ; n’oublions pas que les produits sont avant tout dégustés par le grand public donc par tous types de palais. « J’aime bien être jurée, je suis admirative des gens qui se lancent. Il y a de l’originalité et des gens de talent » commente Clémence Pastroll, gérante du café-pâtisserie Beurre Noisette de Tours et dans l’équipe lors de la dégustation des tartes tatin.

Tarte tatin salée avec des rillons ou de la pomme de terre, recette aux fruits exotiques ou avec de la crème… La catégorie consacrée aux recettes revisitées a clairement suscité pas mal d’inventivité… et des débats intéressants pour savoir jusqu’où on pouvait aller dans ce genre d’exercice (le salé, autorisé ?). Chaque année, le concours de la galette des rois de Touraine propose également une catégorie de recette originale (avec un thème imposé) mais sinon ce sont plutôt les recettes brutes qui sont recherchées. Et donc l’art de réaliser une recette à la perfection.

Après, il faut bien garder en tête que le concours reste une indication sur une production à un instant T. Qu’il y a des talents qui ne participent jamais à ce genre d’opération (c’est le cas pour Clémence Pastroll de Beurre Noisette, très reconnue pour la qualité de ses produits mais qui ne se sent pas l’âme d’une compétitrice).

Ce qu’il faut retenir, c’est que dans un monde où l’importance de bien manger grandit autant que la méfiance dans les produits transformés, ce genre d’initiative permet de mettre l’accent sur le travail/l’effort artisanal. Par ailleurs, gagner un concours, c’est aussi une pression car l’on suscite forcément des attentes sur la qualité de ses matières premières, ou encore le juste prix d’une création. Mais c’est avant tout l’expression d’une passion, « un moteur » comme le confie le vainqueur de la tarte tatin revisitée Philippe Massalon. Ou « un hommage » comme l’a glissé la lauréate amatrice de la recette traditionnelle Estelle Vauconsant qui a travaillé avec son père, ancien boulanger. Au final, le plaisir de la cuisine et le désir du bien-manger sont les plus importants et c’est sûrement pour toutes ces raisons que nos articles d’Info Tours sur les différents palmarès sont toujours des succès d’audience.

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