Regards #89 « Ma vie avec John F. Donovan »

Facebook
Twitter
Email

Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.


Ma vie avec John F. Donovan (Drame canadien)

Titre original : The Death and Life of John F. Donovan

De Xavier Dolan

Avec Kit Harington, Jacob Tremblay, Natalie Portman, Susan Sarandon, Thandie Newton

Rupert Turner a la vingtaine lorsqu’il sort un livre, recueil de ses correspondances écrites entretenues, durant son enfance, avec son idole. Un acteur de série télévisée incarnant un homme aux pouvoirs surnaturels. De ses six à ses onze ans, le petit Rupert tenait tous ces écrits secrets, même vis-à-vis de sa mère. Avec cette dernière, il vivait seul et replié sur lui-même, se sentant incompris et en souffrance. Au collège, on n’était pas tendre avec lui. On le savait précoce et déjà acteur. A part, raillé, introverti, écrire était pour lui le meilleur des échappatoires. Quand Rupert adulte rencontre Audrey Newhouse, une journaliste bien réfractaire à l’interviewer, la parole se libère. Il revient sur ses onze ans, sur ce qu’il a vécu, sur ce qu’il a su que John F. Donovan vivait jusqu’à ce que l’on apprenne son décès, et sur combien leurs échanges ont eu un impact sur leur existences respectives.

Voici le septième film du jeune prodige Xavier Dolan, et son premier en langue anglaise. Ma vie avec Jon F. Donovan offre des récits imbriqués qui font écho à sa propre vie. Il mêle le réel à la fiction, la dimension autobiographique et l’intime à un double portrait. L’intrigue repose ainsi sur deux histoires liées de loin (de l’Angleterre aux Etats-Unis), celles d’un enfant et d’une star qu’il idolâtre. Le réalisateur traite de nombreux thèmes. Des affres de la gloire (la stagnation et la dépression de John dans sa vie d’artiste). De points communs entre Rupert et John – essentiellement le mal-être. Du voyage intérieur, salvateur, par le biais de l’écriture. Le film parle également d’amour, avec une beauté tendre. De celui, magnifique et hyper sensuel – mais contrarié – entre deux hommes. Et de celui entre une mère et son fils, au sein d’une relation où l’incompréhension calfeutre la complicité, où une dureté en surface cache une admiration et un attachement profonds. Le petit garçon, c’est le double de Xavier Dolan – qui projette avec une grande subtilité ses obsessions comme la précocité, le rapport à la mère et la difficulté d’être soi. Tout va se révéler, pour Rupert comme pour John avec leurs mères respectives. Comme ce fut le cas dans Mommy (2014) – le duo Anne Dorval/Antoine-Olivier Pilon – et Juste la fin du monde (2016) – Nathalie Baye/Gaspard Ulliel.

Rupert et John ressemblent tous deux à Dolan. Physiquement beaucoup, déjà, et sur de nombreux points personnels. Dolan a écrit, étant petit, à son idole Léonardo Di Caprio, qui ne lui a jamais répondu. Et comme Rupert, il vivait seul avec sa mère, avec laquelle il avait une relation complexe. Il rêvait de devenir acteur, se cherchait dans son identité, s’est montré tenace et empli d’espoirs qu’il n’a jamais perdus. Jusqu’à devenir le plus jeune cinéaste surdoué de sa génération, admiré et distingué par le public comme dans le milieu du cinéma. « Personne n’a à prendre votre place puisque celle-ci a été créée pour vous », dit un vieux monsieur travaillant à la fermeture nocturne d’une brasserie – où John s’isole et lui confie son désespoir absolu. D’autres messages retentissent encore. Comme celui, organique, que Grace Donovan (Susan Sarandon) affirme à son fils : « Tu penses que nous ne venons pas de la même planète. Et bien moi, je viens de CETTE planète. Et toi, du viens de mon ventre … ». Et puis, la honte à ne pas avoir sur nos choix – d’orientation sexuelle, d’accomplissement artistique … Si Dolan a toujours exprimé qu’il aimait les hommes – il a fait son coming out à l’adolescence – John s’interdit, quant à lui, de vivre une histoire avec le beau Will. C’est la première fois que le cinéaste montre la complexité d’assumer cette identité propre, visiblement incompatible pour John avec la célébrité. Jugement, regard des autres, qu’en dira-t-on ? John est une star malheureuse qui n’assume pas ses choix, ou peut-être, même, qui est dans l’incapacité de faire des choix. Il se bat trop tard, il est trop fragile et peu sûr de lui. Xavier Dolan semble nous dire : battez-vous au plus vite, maintenant, foncez. La vie est une urgence.

On ressent également la puissance avec laquelle il a scénarisé et mis en scène un petit garçon évoluant avec sa mère (Sam – Natalie Portman). Touchés en plein cœur, on se pose des questions bouleversantes, sur Rupert, et sur un enfant en général. Que se passe-t-il dans la petite tête et dans le petit cœur d’un jeune garçon de 11 ans ? Sa vie sociale, les copains, les méchants, les garçons, les filles, la sexualité, les rêves … : Que ressent-il ? Souffre-t-il ? Se cache-t-il, garde-t-il tout pour lui, vit-il des traumatismes à côtés desquels on passe ? Et y sommes-nous pour quelque chose ? Il y a tant d’informations et de questions qui taraudent. C’est à la fois si intime et si ouvert. L’émotion est vibrante. Le suspense, passionnant.

Le talent du jeune québécois de 29 ans est incommensurable. Son ton est très personnel et sa sincérité immense. L’esthétisme de ses œuvres est dingue, hyper travaillé, et pourtant il y a une véritable épure générale, pas de surplus, pas de superflu : tout a toujours sa place. Le discours, les dialogues ont du cran et du courage. Le scénario foisonne en apparence mais il est précis, et Dolan sait toujours parfaitement où il va et où il veut nous mener. Ses œuvres, toujours ultrasensibles, transportent. Ma vie avec J.F Donovan est une fresque romanesque très rythmée. Comme à l’accoutumée, les comédiens sont filmés avec un amour très palpable. On retiendra que le registre de l’enfance est le plus puissant des thèmes abordés. Les mères et leur « normalité » donnent matière à une réflexion profonde. Enfin, il y a la sublimation habituelle avec laquelle le réalisateur œuvre, grâce à la photo, à la lumière, aux floutés, aux gros plans, aux détails. Les plans sont tellement stylisés … Et le tout est soutenu par une superbe BO signée Gabriel Yared, ainsi que des sonorités pop.

Ce film est un gigantesque cadeau filmique de la part d’un cinéaste virtuose, authentique et passionné. C’est poignant, merveilleux et inoubliable.

Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet) et aussi dans les cinémas CGR de l’agglomération (toutes les informations utiles sur leur site internet).

Facebook
Twitter
Email

La météo présentée par

TOURS Météo

Inscription à la newsletter