Débuté dimanche 14 septembre, le 7e Mondial du Fromage de Tours s’achève ce mardi au Parc des Expositions de Rochepinard. Tous les deux ans, cet événement chapeauté par le fromager tourangeau Rodolphe Le Meunier réunit toute la profession pour trois jours de salon professionnel parsemés de concours. Evidemment les fromages français y figurent en bonne place, mais c’est aussi l’occasion de découvrir ce qui se fait ailleurs dans le monde, du parmesan italien… au cheddar malgache.
Il se balade dans les allées du Grand Hall avec un drapeau rouge-vert-blanc dans son sac à dos, et un autre cousu sur sa tenue. Samuel Mimouni est originaire du Beaujolais mais cela fait plus de 20 ans qu’il a refait sa vie sur la grande île de l’Océan Indien, Madagascar. « A la base j’y suis parti pour un voyage de 3 mois en 2001 mais je suis resté bloqué 6 mois à cause d’une crise politique. Quand je suis reparti en mars 2002 j’étais frustré de ne pas avoir pu faire plein de choses et je suis revenu quasiment dans la foulée avec l’envie de faire plein de choses dans ce pays » nous dit ce « quinqua très mur » autour d’une table, au beau milieu des odeurs d’époisses ou de parmesan.
A la base, Samuel Mimouni n’était pas destiné à une carrière fromagère. « J’étais mécanicien et chauffeur de bus sur Lyon, Mâcon et Villefranche-sur-Saône puis j’ai fait l’armée et je suis sorti avec un diplôme de moniteur d’auto-école. » Jusqu’à ce qu’il ait « un coup de mou de la France » et commence les expériences à l’étranger au beau milieu des années 90 : Pays-Bas, Suisse Allemagne… et donc Madagascar où il commence par gérer un hôtel avant d’ouvrir un restaurant, L’Insolite, dans la ville d’Antsirabe, cité de plus de 250 000 habitants qui est située à 1 500m d’altitude, au sud de la capitale Tananarive.
« Antsirabe c’est le grenier de Madagascar, une ville prospère pour manger où j’ai pu sourcer les meilleurs produits en circuit court » raconte Samuel Mimouni incluant le fromage dans cette liste. Apparue pendant les années 60, la production locale reste faible dans un pays où l’on élève surtout le bétail pour la viande. Longtemps, on trouvait essentiellement des fromages d’importation avec une omniprésence de La Vache Qui Rit qui allait jusqu’à repeindre des maisons entières avec ses publicités. Ces dernières années, elle perd du terrain et on assiste à une multiplication des professionnels du secteur même si la dégustation reste réservée aux fêtes ou à une frange aisée (les premiers prix démarrent à 6-7€ le kilo quand le SMIC dépasse à peine 50€ par mois).
Le Lyonnais a assisté à cet essor et s’est mis à y participer directement à partir de 2016, lorsque son principal fournisseur a cessé son activité. Il suit une formation axée notamment sur la mozzarella et l’aventure commence : « Je suis tombé amoureux de la fabrication et je me suis acharné au point que les Italiens venaient acheter leur fromage chez moi » se souvient-il.

Camembert, brie, cheddar, tome… Samuel Mimouni maîtrise aujourd’hui 70 sortes de fromages différents, certes inspirés de spécialités européennes mais rendues uniques par l’utilisation de produits malgaches, du poivre sauvage au brède mafane, une plante qui a la particularité de faire vibrer la langue quand on la mange. De plus, malgré l’importation de vaches européennes dédiées à la production laitière, leur croisement avec les zébus locaux rendent le lait de Madagascar unique. Le goût s’en ressent.
Une concession tout de même : pas question de travailler avec du lait cru, le respect des règles d’hygiène n’étant pas assuré à Madagscar. Donc Samuel Mimouni pasteurise tout et contrôle la qualité depuis son laboratoire. Pour son approvisionnement, il dispose d’un réseau de paysans lui fournissant environ 400l de lait par jour, et bientôt 800 dans le cadre de son développement. Un approvisionnement qui a nécessité un long travail car « les agriculteurs ont souvenir 1 à 3 vaches qui fournissent 15l de lait par jour », voire moins lors des périodes de sécheresse où elles mangent et boivent peu, entraînant « une famine de la vache ».
La patience du fromager semble avoir été récompensée grâce au concours d’une entreprise leader dans le transport de lait. Et pour assurer une qualité optimum il paye l’équivalent de 50 centimes le litre aux producteurs… pas loin du prix français et donc bien au-dessus du salaire minimum, de quoi s’assurer le respect alors que là-bas les « vahazas » (le surnom des expatriés) n’ont pas toujours la meilleure réputation.
En complément, Samuel Mimouni n’emploie d’ailleurs que des Malgaches, avec une belle histoire. Fille de la cheffe de son restaurant, sa principale fromagère Herinandrianina Randriatahiana a débuté à 17 ans : « Elle bossait chez moi comme nounou et a demandé à apprendre un métier. Je ne pensais pas qu’elle avait le gabarit mais elle m’a prouvé le contraire. En 5 ans c’est devenu sans doute la meilleure technicienne de tout le pays. »


Ainsi, la Fromagerie des Hautes Terres gravit progressivement les échelons. Elle travaille avec de nombreux restaurants de chefs malgaches et a ouvert deux crèmeries sur Antsirabe et Tananarive (prix moyen des produits : 10€ le kilo). De quoi se créer une petite notoriété sur place et en dehors des frontières, notamment via les réseaux sociaux. A force, ça a donné envie à Samuel Mimouni d’expérimenter l’envoi de ses fromages en concours.
Conseillé par des Meilleurs Ouvriers de France et ses fournisseurs français de ferments, il tente le coup et c’est là qu’arrive la sélection au Mondial du Fromage de Tours dont il repart avec 4 médailles : deux d’or pour sa tome au brède mafane et le Masoandroa (fromagé orangé affiné 12 mois). Son cheddar au piment gorria fumé a obtenu une médaille de bronze. L’argent pour le Tany Mena, un bleu orangé.
S’il rêve d’amener un jour ses spécialités sur des tables de palace et ne rechigne pas à l’export, le fromager vahazas voulait avant tout recevoir une validation de ses pairs pour la qualité de son travail d’autodidacte et augmenter encore ses ventes dans son pays d’adoption. Son prochain projet : faire un partenariat avec d’autres fromagers d’Antsirabe pour créer une Indication Géographique Protégée à Madagascar, avec donc une spécialité qui aurait des critères de qualité. Comme quoi il n’y a pas que le chocolat, le miel ou les délicieuses mangues malgaches qui méritent de finir dans nos estomacs.








