Le lièvre et la tortue : une fable régionale

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Dimanche dernier, les urnes ont rendu leur verdict. Les Français se sont plus déplacés qu’au premier tour pour ces élections régionales. Et les motivations étaient diverses : faire barrage au Front National, remords de ne pas s’être déplacé la semaine précédente mais aussi ne pas laisser les deux partis de gouvernement (LR et PS) voler une éventuelle victoire de l’extrême droite. Aujourd’hui la carte des régions n’a que deux couleurs, rose et bleu. Le Bleu Marine attendra et ses électeurs avec. Sept régions pour la droite et cinq régions pour la gauche. Il y a quelques semaines, pas un seul expert ou observateur n’aurait misé sur ce résultat. Et puis au milieu de ce combat droite-gauche, la Corse qui a connu une révolution passée presque sous silence. Elle sera gouvernée par les indépendantistes. En région Centre Val-de-Loire, la gauche rassemblée de François Bonneau sauve les meubles avec une petite avance de près de 10 000 voix. Une victoire acquise grâce à la Touraine.

Comme à chaque élection, c’est Jean qui rit et Jean qui pleure. Dimanche soir vers 21h30, la gauche avait le sourire, la région reste à gauche. A droite, la mine des mauvais jours et des mauvaises heures à attendre le résultat des grandes villes de la région Centre : Orléans, Chartres et Tours. Dans la ville de Saint-Martin, il n’y a pas eu de miracle. Pourtant, les électeurs tourangeaux se sont plus mobilisés. La droite républicaine manquait de plus de 4 000 voix au premier tour mais la mobilisation et les « phoning » de l’entre-deux tours n’ont pas suffi. A gauche, le rassemblement a eu l’effet escompté et la mobilisation a fait le reste. Le Front National lui aussi sauve les meubles, il s’inscrit durablement comme la troisième force politique nationale. Mais qu’a-t-il pu bien se passer pour qu’une victoire presque acquise avant les attentats du Bataclan pour la droite se transforme en défaite d’une courte tête ?

L’avant-course

Mardi 7 avril 2015, Tours fait la « Une » des journaux télévisés. Jean Germain vient de se suicider le matin de l’ouverture du procès des mariages chinois. Cet après-midi là, il y a conseil municipal à Tours mais aussi réunion du PS à Orléans avec François Bonneau. Les socialistes de la région sont assommés par la triste nouvelle. Mais la vie continue, François Bonneau décide de partir en campagne pour les élections régionales qui auront lieu dans huit mois. Un mois avant, les élections départementales avaient donné une majorité à la droite dans les six départements de la région Centre (Indre-et-Loire, Indre, Cher, Loir-et-Cher, Loiret et Eure-et-Loir). La gauche sortante de F. Bonneau n’avait donc rien à perdre à partir si tôt… Si ce n’est l’usure d’une campagne dont beaucoup n’avaient que faire au printemps de cette année 2015. C’est au rythme de la tortue que le président sortant commence sa campagne.

Philippe Vigier va partir tard et vite, le lièvre « centriste » ne doit pas s’essouffler

A droite, les municipales de mars 2014 et les départementales avaient été un franc succès, laissant présager des jours sombres à la gauche gouvernementale et donc aux présidents de régions sortants. La dynamique était là mais tellement fragile. L’été passé, Philippe Vigier réfléchit à son entrée en campagne. Il met du temps. Les négociations sont difficiles avec les partenaires. Qui sera tête de liste entre lui et Guillaume Peltier ? Exit Hervé Novelli qui n’a pas démérité comme patron de l’opposition régionale entre 2010 et 2015. Le chantre de la droite forte sera préféré à l’ancien ministre. Mais c’est le député de l’Eure-et-Loir et chef de file des députés centristes à l’Assemblée qui mènera une liste au grand écart entre le Modem et la frange la plus à droite de « Les Républicains ». Philippe Vigier va partir tard et vite, le lièvre « centriste » ne doit pas s’essouffler. Mais son fardeau est lourd. Le poids d’un Guillaume Peltier d’abord et le manque d’explication d’un Modem qui a souvent été girouette ces dernières années, ensuite.

La course

L’automne politique voit donc Philippe Vigier et François Bonneau s’affronter par listes départementales interposées. Les têtes de listes dans les six départements seront donc les têtes de pont d’un bilan à gauche et d’une ambition de victoire à droite. La gauche comme à l’accoutumée part divisée. Les Verts veulent exister comme alternative sans oublier qu’ils fusionneront, quand même, avec les socialistes au deuxième tour. La gauche de la gauche, avec les communistes en tête, pense peser dans la balance électorale face à une gauche sociale-démocrate. Les stratégies nationales ne sont pas toujours déclinables au niveau régional et cela François Bonneau le sait bien. En face, la droite se gargarise de cette division, les sondages lui sont très favorables. On stigmatise un mauvais bilan du président sortant et de son équipe. A Tours, on dit la gauche mal en point après les victoires de Serge Babary et de l’union de la droite aux municipales et trois des quatre cantons aux départementales. Il ne pouvait pas y avoir de revers, pas d’anicroches.

Et soudain tout s’arrête

Et puis, un soir de novembre, les parisiens sortent. C’est le début du week-end. Il fait doux sur la capitale. Le temps est aux concerts et aux bons verres de vins sur les terrasses de café. Et soudain tout s’arrête. Le bruit des armes automatiques remplace celui des rires, des verres qui trinquent ou des guitares qui crient des notes de « métal ». Au Bataclan, des silences, des odeurs de poudres et des gémissements d’agonisants font rentrer notre pays dans une nouvelle ère et la politique avec. Les élus décident d’arrêter la campagne des Régionales. Pour les futurs électeurs, le cœur n’est plus aux discours sur l’avenir des lycées ou du transport ferroviaire en région Centre. Les élections régionales viennent de prendre un nouveau visage.

Le bulletin de vote deviendra le moyen d’expression d’une exaspération, d’une volonté de dire non aussi au « ni-ni » ou témoin d’une peur de l’autre et du chômage

Passé le temps du deuil et de la colère, les jours défilent et rapprochent les candidats du mois de décembre. La France et ses habitants reprennent leur vie mais ils n’oublieront jamais. Le Front National ne fait pas campagne. Les images d’assauts et les enquêtes en cours font le reste. En région Centre, les électeurs regardent médusés sur les écrans télé les visages de ceux qui ont été tués et massacrés. Des jeunes entre 20 et 30 ans, français. Alors, la campagne va devenir poussive et sans rythme. François Hollande est en « guerre ». Manuel Valls muscle son discours. La gauche reprend vie en même temps que chacun essaye d’oublier. En Indre-et-Loire, on peaufine son programme à gauche. A droite, on évince et on parle plus ruralité qu’urbanité. On oublie que les réservoirs de voix sont à Tours et Orléans. On pense que l’on fera barrage au FN dans les campagnes. On drague les chasseurs et les agriculteurs. Claude Greff, tête de liste « Les Républicains » fait le job. Elle parcourt de long en large le département. Ses camarades en font de même dans les autres territoires du Centre. Jean-Patrick Gille prend les rênes de la campagne du PS allié aux amis de toujours, le Parti Radical de Gauche. Le Président Hollande remonte dans le cœur des Français. Nos Rafales sont les outils vengeurs d’un peuple en colère. Le FN ne parle toujours pas ou très peu. Et vient le temps de déroger, pour quelques temps, aux principes fondateurs de la République pour assurer la sécurité de la nation. L’Etat d’Urgence sera réglé sous les dorures du Château qui a fait la gloire du Roi Soleil. La campagne reprend. Ces élections régionales ne seront pas comme les autres. Le bulletin de vote deviendra le moyen d’expression d’une exaspération, d’une volonté de dire non aussi au « ni- ni » ou témoin d’une peur de l’autre et du chômage.

En Région Centre, le soir du 6 décembre bouleverse élus et observateurs de la vie politique. Les sondages sont favorables à la droite et au FN. En ce soir de la Saint Nicolas, le Centre est bleu marine au 5/6ème. Seule résiste l’Indre-et-Loire qui dans la course contre-la-montre, porte le maillot rose. Qui l’aurait cru. Rapidement, on comprend que la ville de Tours sera l’arbitre d’un match qui sera serré avec une inconnue de taille : le report ou non des voix des électeurs FN vers des partis plus traditionnels. Commence alors l’entre-deux tours… A droite, on fait les marchés, on twitte, on parle sur Facebook, on fait des selfies pour dire « qu’on y est » et on tient meeting à Orléans. A gauche, on veut désormais y croire. Et si François Bonneau restait président de la Région ? On bat le pavé, on distribue 100 000 tracts entre les deux tours. On investit l’Hôtel de Ville de Tours pour un meeting où toute la gauche est réunie dans un amour vache. On finit la campagne, le vendredi 11 décembre vers 23h00 à la sortie du concert de Voulzy-Souchon. Les futurs élus de gauche mouillent la chemise. Les militants font aussi défaut.

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La photo finish

A 21h30, dimanche dernier, les électeurs ont choisi. Rapidement on comprend que le score à Tours va faire basculer les premiers chiffres. Philippe Vigier est en tête. Le lièvre court ses derniers mètres. Vers 21h15, les bureaux de vote de la ville qui a vu naître Balzac rendent leur verdict. La gauche arrive largement en tête dans la ville d’un maire consensuel à l’étiquette « Les Républicains ». Un score qui étonne : 48,84 % pour François Bonneau et 32,59 % pour Philippe Vigier. 6 700 voix d’avance dans une ville qui a voulu le changement en 2014. Certains à gauche expliquent que le socialisme municipal vient de renaître. Pas si sûr. Les Tourangeaux veulent du résultat et n’ont pas voulu attendre de digérer une augmentation des impôts et des salles municipales désormais payantes. Des considérations loin des compétences régionales et pourtant.

L’axe Marc Fesneau (Modem) – Guillaume Peltier (LR) n’est pas compris par un électorat de droite modéré

On essaye de trouver des excuses et on entend ici et là à droite « A Orléans, c’est pareil ! ». La faute donc à une ambiance nationale et surtout au mariage de la carpe et du lapin autour de Philippe Vigier. L’axe Marc Fesneau – Guillaume Peltier n’est pas compris par un électorat de droite modéré. Il y aussi les courageux, adjoints du maire, qui avouent que la droite a fait une mauvaise campagne. A 22h00, plus de doute, Tours est le juge de paix : François Bonneau est réélu grâce à « la belle endormie » jadis appelée « le petit Paris ».

L’après course 

Les vainqueurs de gauche ont leurs problèmes de riches. Quelles vice-présidences pour les plus méritants et les partenaires qui ont fait gagner F. Bonneau. Les Verts sont ambitieux, très ambitieux. Leur leader, Charles Fournier, avait averti le président réélu au meeting d’entre-deux tours à Tours. Mais qui sera le premier vice-président ? La coutume régionale est écrite depuis longtemps, c’est une tourangelle ou un tourangeau qui devrait prendre la place. Seulement voilà, la victoire est l’apanage de tous. Le maire de Blois, Marc Gricourt, s’y verrait bien. Une erreur si François Bonneau devait prendre cette décision. Il doit une fière chandelle au 37 pour son élection. Cathy Munsch-Masset a ses chances. Isabelle Gaudron moins, malgré son élection pour un quatrième mandat. Pierre-Alain Roiron, maire de Langeais, veut aussi une part du gâteau. Il y a aussi les petits partenaires qui montent. L’étonnante UDE représentée par Pierre Commandeur lorgne aussi sur un poste. Le partenariat est à ce prix.

L’opposition, elle aussi, va prendre à nouveau ses quartiers. Philippe Vigier ne siègera pas. Dommage. Un boulevard pour Guillaume Peltier qui va prendre le leadership d’une droite décomplexée aux côtés de conseillers régionaux UDI et Modem.

En face, 17 conseillers régionaux FN viendront narguer les représentants des partis de gouvernement dont certains élus ne sont pas dérangés par le cumul.

La suite de cette fable politique reste à écrire. Déjà, la présidentielle est en ligne de mire. Une élection en chasse une autre. Déjà les têtes tombent et les petites phrases refont surface. A Tours, le calme est revenu pour un temps. En janvier, la droite locale doit organiser ses élections internes. Les Républicains pratiqueront à nouveau la démocratie participative pour élire leurs instances locales. Une nouvelle année commencera avec son lot de vœux. Les Français et les Tourangeaux n’en souhaitent qu’un seul : celui d’être entendu…

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